Le crime de la cour

nicolas-petroux

Les coups brusques frappés à la porte me tirèrent d'un mauvais rêve. J'entendis des pas – c'était Maude qui allait ouvrir, puis la voix d'un homme mais je ne compris pas ce qu'il dit.

- Entrez, dit-elle, je vais le chercher... il doit dormir.

Et je vis Maude entrer dans la chambre et me sourire. Je me levai, la suivis jusque dans le hall, et me retrouvai en face d'un type entre deux âges, revêtu d'un long imperméable beige comme je croyais qu'il n'en existait que dans les séries américaines. Il se présenta.

- Inspecteur Cartoux. J'enquête sur le meurtre qu'il y a eu dans la petite cour la nuit dernière.

Je frissonnai tout en regardant sa bouche épaisse s'ouvrir puis se refermer.

- Les habitants du quartier, visiblement, ne vous aiment pas beaucoup. Ils ont tout de suite pensé à vous lorsque je leur ai parlé du meurtre.

- Que s'est-il passé ? Demandai-je. Je n'étais pas au courant...

L'inspecteur me raconta que son enquête était confrontée à des difficultés inattendues. En particulier, quand il était arrivé sur les lieux du crime, le cadavre avait disparu. Il expliqua que c'était probablement dû à un cafouillage au sein de leurs services. Les hommes en charge de la garde du corps s'étaient volatilisés avec le cadavre ; soit que le meurtrier ait réussi à les détourner de leur tâche d'une quelconque manière, soit qu'ils aient eux-mêmes commis un manquement grave à leurs obligations de service. Toujours est-il que ces hommes avaient disparu, alors même qu'ils étaient les seuls à avoir vu le corps de la victime. Barnes les avait envoyés dès qu'il avait reçu un appel certes anonyme mais dont la provenance fut localisée dans le quartier.

- Tout ça me paraît bien louche, dis-je... Êtes-vous vraiment sûr qu'il y a eu un meurtre ?

Il rigola.

- Vous vous foutez de moi ? Que faisiez-vous la nuit dernière, Monsieur Pétroux, entre une heure et deux heures du matin ?

Je me mis à rire à l'idée qu'il ait pu me soupçonner.

- Eh bien figurez-vous que je dormais. Avec ma femme.

- Elle ne pourra guère le confirmer, si elle dormait également...

Puis il se mit à noter quelque chose dans son petit carnet, avant de regarder autour de lui, probablement à la recherche d'indices. De toute manière, il pouvait chercher tout ce qu'il voulait, j'étais blanc comme neige. Il me dit qu'il voulait boire quelque chose. Un thé. Je dis à Maude que j'y allais, car j'étais attaché à l'égalité dans la répartition des tâches au sein du couple, et quand je revins près de dix minutes plus tard je crus la voir en train de souffler quelque chose dans l'oreille de l'inspecteur. Je clignais des yeux, et la vis derrière lui en train de lui ôter son imperméable pour le mettre sur le porte-manteau.

- Oh ce n'est pas la peine, je ne comptais pas m'attarder...

Et il avala d'une traite son thé.

Je ne comprenais pas que l'on puisse aimer le thé. Mais les goûts changent, et peut-être qu'un jour je deviendrai comme lui...

J'avais l'impression que Maude et l'inspecteur Cartoux étaient liés par une secrète connivence, ce qui évidemment ne contribuait pas à me mettre à l'aise. D'un simple regard, il fit comprendre à Maude qu'il voulait son imperméable.

- Oh, déjà ? Dit-elle.

- J'aimerais vous emprunter votre mari, dit-il dans un sourire mystérieux.

Elle sourit sans rien dire, puis il s'adressa à moi.

- Venez avec moi sur les lieux du crime. Cela vous rafraîchira peut-être la mémoire...

A ces mots, je fus saisi d'une terrible angoisse en même temps que d'une envie d'exploser de rire. Il perdait son temps, ce con. Il perdait son temps à questionner un innocent pour retrouver un cadavre qui par bien des aspects semblait imaginaire. Qu'espérait-il de moi ? Ce pouvait très bien être un faux policier qui, dans sa folie, prenait plaisir à interroger les gens, pour assouvir un besoin de dominer, d'effrayer.

- Montrez-moi votre carte d'officier de police, dis-je sur un ton maîtrisé.

Il me regarda les sourcils relevés, comme pour dire que je ne faisais que m'enfoncer avec ce genre de questions débiles, et il sortit de sa poche intérieure un document dont je fus incapable de dire s'il était vrai ou faux, puisque c'était la première fois que j'en voyais un de la sorte. Je me sentais ridicule.

- Allons, suivez-moi Monsieur Pétroux, je veux seulement vous poser quelques questions.

Et Maude referma la porte derrière nous.

Nous arrivâmes dans la petite cour qui était encastrée entre les deux immeubles de brique rouge. Il n'y avait aucunes traces de pas sur le gravier jaunâtre. Dans un coin stationnait une caravane blanche, dans laquelle tout le monde supposait qu'un vieux avait habité auparavant, mais nul ne savait s'il était encore vivant. En tout cas, cela faisait des années que Madame Hargraves, la concierge, ne l'avait pas vu.

Il n'y avait d'autres traces sur le gravier que celles que nous faisions en marchant.

- Voyez, dit l'inspecteur, le meurtrier a pris soin d'effacer toute empreinte... si vous étiez à sa place, où auriez-vous caché le cadavre ?

Je pris un air expert.

- Pas dans la caravane, trop facile. Peut-être dans les égouts. Le cadavre aurait eu tôt fait d'être dévoré par les rats, et les restes se seraient dispersés dans les canalisations.

Je ne sus ce qu'il pensa de ma réponse, mais il griffonna quelques mots sur son carnet, qu'il rangea ensuite dans une de ses poches. « Il a tellement de poches qu'on pourrait chier dedans », pensai-je en souriant. Je ne sais pas comment il interpréta mon sourire, mais je craignis un moment qu'il me prit pour un véritable psychopathe.

- Comment savez-vous avec certitude que le meurtre a eu lieu à cet endroit ? Demandai-je.

Il sourit.

- Parce que l'appel anonyme le précisait. Et puis, entre nous, c'est l'endroit idéal pour commettre un meurtre... aucune fenêtre ne donne sur cette cour. Il arrive que des sans-abris se battent ici... les habitants ne seraient donc pas surpris d'entendre crier...

- Certes... dis-je. Comment le type est mort ?

- Oh, tout à fait classiquement. Par balles.

- Vous avez une description de la victime ? Peut-être que je la connais.

Et je pris peur en pensant que cela pouvait être mon frère, ou mon père, ou un de mes amis d'enfance...

- On ne sait pas grand chose de lui, malheureusement. C'est là que cela devient difficile pour moi. Tout ce que je sais, c'est que c'est un type entre deux âges, et que l'épaisseur de sa bouche pourrait laisser supposer de lointaines origines Africaines, malgré la blancheur de sa peau.

- Euh... non, ça ne m'évoque personne... mis à part vous ! dis-je pour essayer de détendre l'atmosphère.

- Mais je ne suis pas mort, dit-il sans sourciller.

Et il me dévisagea. Il regarda ma bouche.

- D'après les éléments dont je dispose, la victime est morte à peu près à l'endroit où vous vous trouvez maintenant.

Il fut si rapide que je n'eus pas le temps d'être surpris lorsqu'il sortit son revolver pour en poser le canon sur mon front.

Le coup de feu retentit au moment où Maude, dans le salon, regardait avec amertume une photo d'elle avec sa mère, prise il y a quelques années de cela. « Au moins il ne me trompera plus, ce salaud » pensa-t-elle.

L'inspecteur Cartoux regarda mon corps tomber lentement sur le gravier, le haut du visage à moitié arraché par une de ses munitions gros calibre. Il sortit son téléphone.

- Allô, Barnes ? … J'ai retrouvé le corps.

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