Le Dernier Souffle du Siam

absinthe

SYNOPSIS

« Le plus jeune fils d'Andrew Murray, ambassadeur des États-Unis en Thaïlande, vient de disparaître dans des circonstances alarmantes. Nous suspectons les rebelles de la région de Pattani d'en être à l'origine, les États-Unis ayant récemment apporté un soutien financier au gouvernement thaïlandais pour lutter contre ce mouvement séparatiste. Si je t'ai choisie pour enquêter, réjouies toi, c'est en vertu de tes tendances nocturnes : À peine majeur, Ayden Murray est connu pour ses frasques dans les casinos et les boites de nuit de la capitale. Cela fait maintenant quatre jours qu'il n'est pas rentré à l'ambassade et qu'ils n'ont reçu aucune nouvelle de lui. Ton avion décolle dans deux heures pour Bangkok. »

Satisfait de la concision de son exposé, Lester se tourne enfin vers moi avec sur les lèvres ce sourire que tout amateur d'art associerait à celui de Mona Lisa. Comme à son habitude, il rayonne.

« ...Est-ce que tu as des questions ? »

Je me lève et m'avance pour venir planter mon regard dans le sien. Seule une distance indécente sépare encore ma bouche de la sienne quand d'un geste indolent je resserre le nœud de sa cravate et murmure ma réponse qu'il semble aspirer entre ses lèvres.

« Aucune, patron. Juste une remarque... Je ne suis pas aussi impatiente que tu l'as toujours pensé. Sinon à l'heure actuelle cette cravate n'afficherait surement pas un plis aussi impeccable. »

Cette enquête mènera Jazz beaucoup plus loin que prévu. C'est sur les traces de sa mémoire qu'elle se dirige, vers ses origines, et vers un naufrage risqué dans les vapeurs toxiques des nuits torrides de Thaïlande. Elle y explorera sa part d'obscurité entre les casinos étoilés aux dessous pervertis et les bas fonds de la ville, encore imprégnés des dernières vapeurs d'opium.


L'HEROINE

Jazz Hamilton

In : Vive, brulante, impatiente. Capacité d'adaptation hors norme. Facilement dépassée par son désir de nouvelles expériences. Verve tantôt habile, tantôt fleurie de grossièretés. Tendance maniaco-dépressive. Ombrageuse. Probables pulsions suicidaires.

Out : Relative petite taille. Origines asiatiques. Longue chevelure noire, regard bleu roi se colorant de mauve lorsque le désir s'y loge. Silhouette forgée par la capoeira et l'aïkido. Démarche féline.

Je suis née un lendemain de cuite.
La femme qui m'a mise au monde n'était pas ma mère, juste la matrice chargée à l'héro qui aurait mieux fait de serrer les cuisses un certain soir de Mai. Neuf mois plus tard, c'est l'hiver de Las Vegas qui m'enfanta. Ma mère, c'était ma ville aux temps froids, et mon sang, c'était le vent dans ses rues. Un pote disait que j'avais toute l'instabilité du Verseau. Pour moi, je ne devais jamais être qu'orpheline ascendant feu-follet.

Je suis née enfant de rien, d'avant mes neuf ans je ne garde aucun souvenir. Juste un brouillard d'impressions confuses, violentes, qui se mêlent et s'enlisent dans l'obscur brouhaha que je nomme mémoire. Vouloir en attraper une bribe, c'est comme chercher à enfermer le chat du Cheshire. De la femme auteure de mes jours et du porc qui lui planta ma graine, je ne sais rien de plus que ce qu'ils m'ont dit au foyer : Elle était immigrée asiatique, alcoolique et prostituée. Je suis née un lendemain de cuite, dans les nuées persistantes de la gueule de bois d'une vie entière.

Mon adolescence est un vaste champ de ruines. Nous sommes tous dans la fosse aux lions et ensemble, nous fonçons droit dans le mur, les yeux fermés. Toujours les yeux fermés : La vitesse est plus grisante.

Il ne faut pourtant pas croire que j'étais forgée à l'Éther. Je savais où je mettais les pieds, j'avais la débrouille dans les veines. J'ai commencé ma carrière par toutes sortes de petits trafics, cannabis ou bijoux dérobés aux passants dans les transports en commun. Puis je passais aux cambriolages. J'ai appris très tôt à tutoyer le Vertige. J'ouvrais les portes verrouillées comme le citoyen lambda ses boites de thon.

Bien sûr, ils ont fini par me mettre en cage. J'avais tout juste vingt deux ans, et le sourire de la lune pour seul piètre ange gardien. C'est pourtant cet instant que choisit le destin pour me rencontrer : Il prit la forme de Lester Pratt, la quarantaine sémillante et le sourire du diable. Entre autres casquette, chasseur de tête pour le compte de la CIA. C'était quitte ou double : Je le suivais, ou je plongeais... Depuis maintenant cinq ans que je travaille pour lui, je n'ai jamais su ce qui l'avait conduit à venir traquer les va-nu-pieds de Vegas, l'homme aime à entretenir un certain mystère. Et je le lui rend bien. Si à la suite d'une formation tumultueuse je dois avouer que je n'ai toujours pas réussi à intégrer complètement les principes de hiérarchie et d'obéissance, je fais mon boulot. La rue a été la meilleure des écoles. J'entretiens avec fièvre l'espoir d'avoir trouvé ma voie sur cette terre d'illusions. Car tout est mensonge ici bas. Alors je ne crois en rien, sauf à ce reflet que me renvoie le miroir. Derrière, il y a une louve dont les crocs ne sauraient définitivement se repaître de leur faim de vivre. Telle une louve, je n'ai pas de roi.

SCENE D'ACTION


Vaille que vaille, j'avais ouvert les yeux à treize heures tapantes, ce qui en soi peut déjà être considéré comme un fait d'arme aux vues de la fine soirée de la veille et de la bouteille de Sang Som vide qui orne la table basse de ma chambre d'hôtel. Bientôt une semaine de planque, et toujours aucune trace de celui qu'on m'avait renseigné sous le surnom d'Eiko. J'avais donc bien naturellement décidé de m'accorder une petite pause d'une nuit en compagnie du barman, et si Eiko décidait de se pointer à ce moment là, c'était que mon leprechaun m'avait bel et bien abandonnée.
Une vague nausée au ventre, je me plante devant la fenêtre de la salle de bain pour y contempler le navrant paysage de la rue déserte sous la pluie de mousson. Les minutes défilent comme des heures, l'inaction me rend malade. À part un léger mal de crâne, rien ne vient troubler le néant mental dans lequel je sombre peu à peu, totalement insensible que je suis au Spleen qu'aurait pu ressentir quelque poète français devant pareille grisaille. La fibre romantique est loin d'être l'objet du communisme intellectuel qui se fait un devoir de partager plus ou moins équitablement la connerie sur terre.

Le 47 soi Sak Saroen reste obstinément inanimé, et je me laisse gagner par la torpeur de l'attente. Je ferme les yeux, tempe contre la vitre, laissant le bruit cinglant des gouttes sur le carreau soigner le mal qui me ronge.

C'est un léger cliquetis qui m'extirpe de ma somnolence. Je dresse le cou, parfaitement immobile et tous mes sens en alerte alors qu'une décharge d'adrénaline claque dans mes veines. Quelqu'un vient d'entrer dans la chambre. Silencieuse comme la brise, je me plaque contre le mur de faïence et tend l'oreille vers la porte entrouverte. Des pas feutrés glissent sur la moquette, on approche. Je me maudis intérieurement d'avoir laissé mon Browning dans la table de chevet alors que je détecte l'entrée d'un nouvel intrus, puis d'un troisième. Je suis faite comme la dernière des vermines.

Quand la porte de la salle de bain s'ouvre, un petit homme encagoulé apparaît. Je lui agrippe violemment la nuque et lui fracasse le crane contre le rebord du lavabo tandis qu'une balle perce la baignoire dans un fracas métallique insoutenable. Il s'effondre. Je m'empare de son revolver et bondis dans la chambre, vidant le chargeur sur le second homme à ma portée. Chaos. Bruit de chute, bris de verre. J'ai juste le temps de me jeter au sol derrière le lit que déjà les balles sifflent autour de moi. La lampe de chevet explose, jonchant le sol d'éclats de porcelaine fine où ma main gauche s'entaille profondément. La troisième silhouette se rue sur moi. Nous roulons sur la moquette, luttant avec acharnement. Il tord mon bras et me force à lâcher mon arme alors que la table de chevet se renverse. Du pied, il écrase ma main blessée. La douleur m'irradie tout le bras, je hurle de la rage de l'amazone prise au piège et me débat avec haine, me tord, m'arcboute sous sa poigne. Il est déséquilibré. Je l'accueille d'un brusque coup de tête en arrière et je sens son nez craquer contre mon crâne. Un flot de sang poisseux se répand sur na nuque, sa prise se relâche. J'en profite pour me ruer vers le tiroir de la table de chevet et m'emparer de mon pistolet que je braque immédiatement sur sa joue. Il s'immobilise. Seule sa respiration saccadée vient maintenant troubler le silence qui s'est brusquement abattu sur la pièce. Je me penche et lui arrache sa cagoule avant d'agripper le col de sa chemise.

« ... Qui t'envoie ?! »

Il ne répond pas. Il me fixe de ses yeux sombres, ne laissant transparaître aucune émotion sur son visage couvert de sueur et de sang. Il sourit. Soudain il saisit mon poignet et presse la détente. Les murs blanc se maculent de pourpre liquide.

SCENE EROTIQUE


« Comme le dit Stanley à Livingstone... Mademoiselle Hamilton, je présume ? »

La migraine frappe mon crâne comme si tous les tambours de l'Apocalypse s'y étaient donnés rendez-vous. Les cordes scient mes poignets et mes chevilles nues, je suffoque sous l'étau des liens qui m'enserrent la poitrine. Je lève un regard haineux vers lui ; il me fixe de ses yeux verts irisés et un sourire narquois courbe ses lèvres. Le tatouage de serpent qui glisse sur son cou semble ramper sur sa peau, se faufilant avec une sensualité morbide hors du col de sa chemise entrouverte. Lorsqu'il parle, sa voix grave et chaude semble caresser mon épine dorsale.

« Je vous préférais pourtant le nom de Ginko, bien plus exotique à mon oreille. À ce souffle haletant qui filtre de vos charmantes lèvres, je crois deviner vos efforts à vous libérer... Si vous me dites ce que je veux savoir, je pourrai vous y aider. »

À ces mots, il sort un poignard au tranchant effilé qu'il caresse de la pulpe de son pouce. Pour seule réponse à sa question muette je laisse un léger ricanement de défi monter dans ma gorge et se déployer dans l'atmosphère oppressante en un éclat de rire. Et je lui crache au visage. L'ordure. Ainsi, il savait depuis le début.

Il reste impassible, essuyant lentement l'offense d'un revers de manche. Soudain je reçois la paume de sa main en pleine figure. Une brulure vive irradie ma mâchoire alors qu'il serre mon visage dans sa poigne d'acier et vient figer son regard d'émeraude dans le mien. À cet instant je ressens plus que jamais les liens qui me vrillent les chairs, et ce contact en devient presque voluptueux. Les secondes s'égrènent. J'ai chaud. L'âpre contact de ses doigts agrippant mes joues me fait désormais l'effet d'une torture délicate. Peu à peu je me fais naufragée volontaire dans la mer houleuse de son regard, je me sens tomber. Longtemps. Ma voix se fait murmure.

« … Et si nous concluions d'abord ce que nous avions amorcé ? »

Sans attendre il plaque violemment ses lèvres sur les miennes dans un baiser dont l'ardeur tient plus de la morsure et auquel je réponds avec fougue. Ses doigts agrippent les nœuds des cordes, et ne parvenant pas à les dégager, les tranche de sa lame. Une sanglante estafilade se dessine sur mon épaule et attise mes sens, seuls mes poignets restent désormais entravés. Saisissant mes cheveux dans son poing il me force à me relever, m'embrassant toujours, alors qu'il laisse tomber l'arme au sol pour enserrer mon sein gauche avec vigueur. Le contact de sa peau m'électrise. Quelques pas en arrière et me voilà plaquée au mur. Sa langue recueille avidement les gouttes de sang qui suintent de ma blessure avant de la mordre. La douleur vive me galvanise, ma robe se déchire sous son offensive et je me livre entièrement à son interrogatoire licencieux. Toute résistance me quitte, je ne suis plus qu'une poupée entre ses doigts qui fouillent désormais avec hâte mon intimité trempée du désir d'abandon. Qu'il me baise, qu'il me viole, qu'il me souille... J'oublierai tout le reste. Je laisse échapper un râle de plaisir déchirant alors qu'il me soulève brutalement pour pénétrer mes chairs palpitantes de son sexe rigide. Sous ses assauts, je deviens liquide, bouillonnement, lave en fusion. Je ressens chacun de ses coups de reins comme autant de profanations grisantes des portes de ma jouissance. Elles s'effondrent rapidement, et l'orgasme ravageur s'exhale dans mon cri de libération.

Comme pour endiguer cet ouragan d'atroces délices, il me plaque alors face au sol sans ménagement et agrippant les cordes qui me lient toujours les poignets, achève son œuvre dans une ultime volée de coups de boutoir.

Il s'effondre à coté de moi. Les échos de son râle de plaisir résonnent toujours dans la pièce obscure quand d'une soudaine contorsion j'envoie mon genou s'abattre à l'angle de sa mâchoire. La violence du coup le laisse K.O. assez longtemps pour me permettre de ramper jusqu'au poignard et me libérer.

« Et Livingstone lui répondit d'aller se faire foutre. »

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