Le diseur de bonne aventure

John Le Caméraman -Alors là, il y va un peu fort le Bob. C’est incroyable, ou il sait ou il invente pour meubler l’antenne. Est-il acteur ou journaliste ? Nous joue-t-il une pièce pour nous faire patienter ? En vingt ans de métier, je n’ai jamais vu cela. Il aurait pu me prévenir quand-même, je ne sais plus ce que je dois filmer. A la  fin du speech, ou il sera viré ou il aura fait le plus gros coup journalistique du siècle ? Je ne sais plus ce que je dois faire et comme toujours, en ces moments-là, il y a personne dans l’oreillette. Ils nous tarabustent sans cesse pour solliciter notre attention mais aujourd’hui, ils doivent boire les paroles de Bob et ils se fichent bien mal de ce que je balance à l’antenne. Bob nous dit qu’il savait ce qui allait se passer aujourd’hui, il est complètement barge… Je ne joue pas à ce jeu-là, je lui laisse la parole.

Bob -« Tout cela est un secret de polichinelle, un de mes amis des Renseignements Généraux m’avait alerté que le Grand Manitou allait se faire piéger. Le Fmi est une poudrière, le Guignol en chef ne veut plus cautionner les rapines des Gédéon et autres Grandcoquin, il fallait que cela saute.
La crise financière de 2008 n’était qu’un signe avant-coureur de la crise monétaire qui va secouer le monde. En 2008, les états ont joué les pompiers pour secourir les banques. Ils croyaient qu’avec l’argent sorti de leurs tuyaux, ils allaient éponger la dette. Une enfant de cinq ans comprendrait que cela ne marche. On n’éponge rien en rajoutant un liquide. Les états ont tant gaspillé qu’ils sont au bord du gouffre.

Ils ont demandé à Gépéto de faire danser Pinocchio pour faire croire que tout allait bien, pour que cela dure encore un peu, peut-être que tout reviendrait comme avant, juste un peu de temps pour que les riches soient encore plus riches.
Mais celui qui tire les ficelles ne veut plus cautionner cette mauvaise farce sur fond de billets verts. Les états sont surendettés, le dollar ne vaut plus rien, l’euro est une chimère… Tout cela pue la mort. Il a sommé les administrations militaires de rapatrier leurs soldats. Le budget militaire des forces engagées en Irak est supérieur au Produit intérieur brut du pays. La Chine prête de l’argent au consommateur occidental optimiste pour qu’il continue à acheter des produits chinois emplis de la misère du monde… La liste est longue, chacun voit des abus invraisemblables étalés sous ses pieds et espère en lui-même que cela dure. Pourvu que ça dure, la politique de l’autruche…

Gépéto a rechaussé ses lunettes et a dit aux marionnettes que la fin de la récré était sonnée et qu’il fallait se remettre au boulot. Le programme était simple : annulation de la dette, plus question d’emprunter, l’argent ne serait vraiment gagné qu’une fois dépensé, interdiction de mettre de l’argent de côté. Ceux qui étaient en haut du mât de Cocagne se voyaient mal prendre un nouveau départ. En coulisses, ils ont choisi de prolonger la kermesse et d’enfermer le surveillant dans les cabinets.

Le Grand Timonier a des failles, tout le monde le sait, sa femme aussi. D’ailleurs, il s’aiment ces deux là, cela crève l’écran, c’est insupportable. Bien des femmes s’offusquent mais elles ont jalouses, elles fermeraient les yeux pour être aimées de la sorte, pour avoir des projets plus vastes que l’horizon, pour avoir de tels sourires, de tels échanges. L’amour ne se satisfait pas de la médiocrité. Leur couple n’est pas médiocre, il n’est pas trahi. Grâce à eux, les navigateurs amoureux ont compris que la vieille formule latine inscrite sous la boussole «Reste-là, sois aigri et aime moi » ne mène nulle part.   

Il était de notoriété publique que notre homme avait recours aux charmes de créatures de rêve. Il rémunérait leur temps au même taux qu’il était payé, c’était son sens de l’équité. Il a appelé une de ses amies par téléphone, elle était malade, elle lui a envoyé une de ses sœurs lui porter le réconfort dont il avait besoin mais les grandes oreilles de l’administration fédérale ont intercepté le message, le gérant de l’hôtel a été menacé et une femme de chambre (une agent du Fbi) est entrée dans la chambre du Grand Chef avant l’arrivée de celle qu’il attendait. Il y a eu méprise, il trouvait aussi qu’elle simulait vraiment bien, c’était la peut-être la première fois que c’était exactement comme il le souhaitait. On connaît la suite.

On lui a mis le marché en mains : « Tiens, signe ta démission, un avion t’emmène où tu veux », une formule all included qui ne marche pas mal autour de la Méditerranée. Le piège s’est refermé mais le grand fauve se débat, il a de la ressource. Il ne se voit pas tourner dans une cage sous les ordres de la dompteuse.

Et maintenant je vais vous dire ce qui va se passer, quand le juge va interroger le terroriste, il répondra : « Si je peux vous donner un dernier conseil, allez retirer vos économies de la banque à laquelle vous avez accordée votre confiance car il n’est pas sûr que vous revoyez vos étrennes. C’est pour m’empêcher de dire la vérité qu’on m’a emmené dans cette galère, ils croyaient m’empêcher de parler mais je ne suis pas corruptible».

John - Complètement malade le Bob. Je n’ai jamais vu un numéro pareil. Il va terminer ses jours aux frais de la princesse à délirer sous une camisole.

                     Au même instant, une horde sort du tribunal et court sus aux guichets des banques. Les passants suivent le mouvement. Les distributeurs de billets sont pris d’assaut.

Bob- Mesdames et Messieurs, ce que nous vivons est absolument…
Dernière nouvelle : On nous signale qu’un coup de feu a retenti dans l’enceinte du tribunal, l’accusé aurait reçu une balle en pleine tête. Rectification, l’accusé aurait subtilisé l’arme d’un policier qui se trouvait là et se serait suicidé.

John à Bob : Continue à faire le guignol, la caméra est en plan fixe sur toi,  j’ai une course à faire, ma femme me demande de passer à la banque et de lui acheter quelques diamants avant de rentrer.