Le dôme vert

Sylvie Palados

Lorsque la porte de pierre s'écarta, livrant, pour la première fois depuis trente-cinq siècles, passage aux rayons du jour, une bouffée d'air brûlant s'échappa de l'ouverture sombre, comme de la gueule d'une fournaise. Les poumons embrasés de la montagne parurent pousser un soupir de satisfaction par cette bouche si longtemps fermée...

Fébrilement, nous allumèrent nos torches, et sans un mot, entrèrent. La nuit fut si profonde, si froide, qu'un frisson me parcourut l'échine. Une peur presque animale me saisit ! Nos pas ne résonnaient pas, le silence était total. Nos yeux s'habituèrent au halo des torches et c'est déçus que nous commençâmes notre exploration.

Le sol était recouvert d'une sorte de duvet de couleur indéterminée. Nos chaussures étaient comme happées par ce support léger qui pourtant n'émettait pas de poussières ! C'était étrange, jamais nous n'avions vu ce genre de sédiment, si du moins ça en était ! Je fis un prélèvement pour le retour...

les parois de la caverne étaient profondes et hautes. Elles étaient néanmoins lisses, aucune aspérité n'émergeait. Nous pouvions avancer sans aucun danger. Nous en avions explorés tous trois des lieux mystérieux, dangereux, mais jamais nous ne nous étions retrouvés dans un lieu aussi aseptisé ! Hormis la porte extérieure qui trahissait la main de l'homme, tout ici semblait naturel. Était-ce un ancien lit de rivière qui s'assécha ? Une caverne qui abrita nos ancêtres ? Aucun indice, aucune strate apparente, aucun dépôt de calcaire, aucun dessin sur les parois, rien, désespérément rien !!

la caverne descendait doucement vers l'est. Nous étions à l'aise au milieu de cette immensité de roche. Nous arrivâmes à un coude qui se rétrécit d'un coup, nous obligeant à nous mettre en file indienne. Réajustant notre matériel d'exploration nous continuâmes de descendre dans cette atmosphère feutrée. Déjà une heure s'était écoulée et nous avancions toujours. Le duvet s'épaissit soudain, nous marchions sur un épais tapis maintenant, mais nos pieds semblaient comme maintenus au-dessus, impossible d'en mesurer l'épaisseur qui semblait augmenter au moment où les parois paraissaient se rapprocher !

Avant de tomber sur un nouveau couloir plus petit, nous décidâmes de nous arrêter pour nous reposer. Aucun courant d'air ne parcourait cette grotte. Aucun animal non plus n'y vivait semblait-il, pourquoi avoir condamné une grotte stérile ? Quel secret enfouis au tréfonds de la montagne, méritait d'être oublié des hommes ? En tout cas, ce ne sera pas ce soir que le mystère sera levé !

 

 

 

Le dôme vert

 

 

Nous nous installâmes pour passer la nuit. L'espace était suffisant pour nous allonger sans nous gêner. L'atmosphère était fluide, presque palpable. Il semblait sortir de nos bouches comme de la bruine. Pourtant ce n'était pas humide. Nos mains passaient au travers comme des fantômes. Nous nous amusions à parler pour voir où cela allait. En fait ça n'allait nul part. Ça s'évaporait comme par magie. Cet air fluide ne tombait pas au sol, de même il ne s'envolait pas vers le haut, il disparaissait aussitôt que né ! Décidément que de mystères à essayer de comprendre !

Mais revenons à la porte magistrale qui en cachait l'accès. Elle était monolithique. Elle avait été taillée pour épouser parfaitement les contours de l'entrée. Seules les lignes rectilignes, encadrant des signes ovoïdes, trahissaient l'intelligence humaine. Vingt-trois siècles d'oublis, de tentatives d'inexistences, nous avaient conduits laborieusement à elle ! Tout avait commencé il y a si longtemps pourtant, déjà dix ans ! Dix longues années à découvrir uns à uns des signes semblables à ceux tracés sur la porte, disséminés à travers le monde...

Deux, découverts dans un tumulus en Grande-Bretagne tout d'abord, près de Stonehenge. Puis un autre au milieu d'une pierre Maya. Encore deux autres dans les vestiges de Troie, puis plus rien durant cinq ans. Le doute alors, personne ne voulu croire à une suite logique de signes. A un code comme je le pressentis à l'époque. Puis une surprise dans la vallée des Reines en Egypte, une suite de cinq signes différents mais toujours ovoïdes, toujours taillés de la même manière, sur le même support, du stuc. Je décidais d'établir une liste fidèle de ces représentations afin de poursuivre mes recherches. Et la rencontre avec mes acolytes ! Des fous d'histoires étranges, mystérieuses, sacrées. Des dingues de l'Inconnu, de la Vérité comme ils aimaient à se définir. Ils m'amenèrent leurs recherches bien plus avancées alors, et je pus interpréter ces signes comme une carte au trésor. Nos dernières trouvailles nous amenèrent ici, loin de tout, en plein centre de nul part, au pied de la montagne maudite...

la nuit fut peuplée de rêves plus insensés les uns que les autres. Il était temps de se lever. Vite prêts nous ne nous fîmes pas attendre pour poursuivre nos investigations. Nous continuâmes notre descente inexorable vers une noirceur toujours plus oppressante. Nous touchions au but je le sentais. Tout mon être était en alerte. Cet air indéfini, sembla se liquéfier. Il emplit nos poumons d'un froid incisif nous obligeant à mettre notre équipement de plongée pour pouvoir respirer. Quel étrange spectacle que trois hommes marchands avec des torches et portant un masque et des bouteilles d'oxygène dans un boyau de pierre complétement exempt d'eau !!

Combien de temps encore allions-nous pouvoir tenir ? La matinée touchait à sa fin et nous avancions toujours. Nous ne nous étions pas préparés pour un parcours si long, si à midi nous étions encore bredouilles, alors il faudrait bien faire demi-tour et revenir plus tard avec du matériel plus performant.

C'est alors qu'elle vint à nous !

Le dôme vert

C'était comme un soleil au milieu de la nuit. Une lumière tamisée, irisée de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel ! C'était comme un voile vaporeux qui se promenait devant nos yeux, plissant à chacun de nos mouvements. C'était étrange, magique ! Cet air fluide était beaucoup plus dense que dans le boyau. Nous le soulevions en passant au travers et pourtant il ne se déchirait pas, il virevoltait ! Passé notre première surprise nous restâmes cois ! Une immense grotte s'étalait devant nos yeux, baignée de cet indicible voile. Nous n'en voyions pas le bout. Mais elle était unique ! Elle était parée d'un vert éclatant. Chaque montant de cette caverne, chacune de ses parois était recouverte d'une plante ligneuse. Rien de semblable à ce qui existait là-haut dans notre monde. Cela ressemblait à un genre de liane pourvu de feuilles veloutées et oblongs.

La lumière semblait venir de partout, aucune ombre ne s'alignait sur les parois végétales. D'où que nous nous tournions, aucune obscurité n'existait ! La végétation luxuriante semblait épaisse que de quelques centimètres, toutes les feuilles avaient le même diamètre. Tout était parfaitement identique, harmonieux ! La palette de vert était infinie ! Je voyais pour la première fois des nuances dont je n'imaginais pas l'existence...

Le duvet qui nous avait accompagné jusqu'ici avait laissé place à cet entrelacs de verdure où apparaissait parfois des formes ovoïdes de couleurs variées. Des fleurs semblait-il, mais encore jamais vues ! Un seul pétale encadrant le pistil, un spectacle époustouflant ! Toutes les couleurs semblaient cohabiter étrangement, pourtant, je ne vis nulle part de blanc ou de noir...

Il nous était impossible de prélever quoi que ce soit, les plantes glissaient entre nos doigts. On aurait dit qu'elles nous esquivaient, elles glissaient dans cette fluidité aérienne qui nous baignait ! Nous décidâmes de repartir après avoir pris plusieurs photos et retournâmes à l'obscurité. Nous étions sonnés, abasourdis par tant de merveilles. Nous étions électrisés, nous ne fîmes aucun arrêt, juste des pauses de quelques minutes. Nous ne comptâmes pas les heures à marcher comme des automates, perdus dans nos réflexions, jusqu'à la sortie à l'air pur au milieu des étoiles!

Avions-nous rêvés ? Avions-nous eus des hallucinations ? Nos photos ne nous rendirent que des flashs ! Alors d'un commun accord nous refermâmes ce monolithe millénaire rendant à la montagne maudite son antre édénique !

 

 

 

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