Le Fantasme De Jade

liron

Nicolas me tourne le dos, il écrit à son bureau. Je traverse la pièce à petits pas, le plus discrètement possible. Sur la table basse devant le canapé, il a déposé le paquet de feuilles que je dois lire, et m’a préparé une tasse de thé fumant. Je devine à l’odeur qu’il s’agit de ce thé asiatique qu’il affectionne tant, un truc bio sans théine. Humant l’odeur (genre PAIC citron), je reste philosophe : c’est comme dans le sexe, tant que tu n’as pas essayé, tu ne peux pas dire que tu n’aimes pas.

Je ne sais pas trop comment m’installer sur le canap’. J’opte pour une position lascive, mi-allongée, le dos appuyé contre un bras du canapé. De cette façon, je peux regarder Nicolas sans qu’il me voie. Eh eh, futée ! J’ai les jambes nues, étendues, moulées dans une micro jupe noire Aquaverde, plus courte encore que celle de Julia Roberts dans Pretty Woman. Je bascule mes ballerines l’une après l’autre. Elles tombent sur le sol et Nicolas se retourne. Il sourit de me voir si décontractée. J’attrape son manuscrit. Je suis fin prête pour commencer la lecture. En théorie.

Parce qu’au lieu de cela, je ferme les yeux.

Nicolas quitte sa table de travail et se dirige vers la cheminée qui crépite à côté du canapé. Il se baisse pour attraper une bûche et la jette dans le feu. Je sens la chaleur d’une toute nouvelle flamme prendre forme. Il cherche à s’asseoir à côté de moi, lève mes jambes et les repose sur ses cuisses. Je me redresse et viens sur lui à califourchon. (Je lui dis que c’est issu du breton, « kall », et signifie testicules ?)

Nicolas ne prononce pas un mot. Je brise le silence, sans casser l’ambiance :

« Ferme les yeux, s’il te plaît. »

Il s’exécute. J’approche mon visage du sien. De mes joues, je caresse sa peau, doucement. Mon souffle et le sien ne font qu’un. Je pose un baiser délicat sur chacune de ses paupières baissées. Elles clignent, sans pour autant s’entrouvrir. Je déboutonne lentement le haut de sa chemise. Les chevrons lui vont mieux que le sweat Abercrombie. Sexy chic.

Je plonge à la découverte de son cou et commence à lécher sa peau. Son odeur m’enivre. (Axe ??) Je garde moi aussi les yeux fermés. J’avance à tâtons dans mon exploration. Je laisse couler mes doigts à l’intérieur de sa chemise. Je fais valser les boutons un par un. J’écarte le tissu qui tombe dans son dos. Objectif atteint, chemise ôtée. J’ouvre les yeux pour apprécier la beauté de son torse viril, que j’embrasse.

Nicolas frémit. Il se laisse faire. Je prends mon temps. J’encadre son visage de mes mains, et avance mes lèvres jusqu’à rencontrer les siennes. Je bouillonne de désir pour lui. Il le sait et me rend cette esquisse de baiser d’un élan passionné. Sa langue est mouillée. Nos salives se mêlent. Il ouvre les yeux, son regard flou n’est plus innocent. Il a pris une décision. Cette fois, il ira jusqu’au bout de ce que lui dicte son instinct. Sauvage et tendre.

M’allongeant contre les coussins du canapé, il murmure : « J’ai envie de toi. »

Je ne réponds pas, je pose seulement un doigt sur ses lèvres charnues. Au seuil de sa bouche, il s’amuse à le sucer. Il recule un moment pour apprécier la distance qui le sépare de ma jupe et observer l’étendue du travail qu’il lui faut accomplir pour me la retirer.

Je commence à me déshabiller. Il m’arrête, écarte ma main et s’empresse lui-même de poursuivre. Il baisse la fermeture Éclair qui laisse apparaître une culotte couleur menthe à l’eau en coton, bordée de dentelle. Il fait glisser la jupe le long de mes hanches, jusqu’aux chevilles, la tire sous mes pieds puis la jette sur le parquet. Soulevant à peine mon t-shirt, il plonge sur mon ventre pour le couvrir de baisers appuyés. Mes muscles se tendent. L’excitation naissante. Je retire ce vêtement devenu tout d’un coup absurde et encombrant. Il m’aide à faire passer le t-shirt au dessus de ma tête. Il me serre contre lui, torse contre poitrine. Comme je suis quasiment nue, je légitime l’égalité des sexes et déboutonne son jean. Il soulève légèrement son bassin pour me guider. Un, puis deux, hop ! trois, allez ! quatre boutons qui virent. Nicolas se lève du canapé, se débarrasse une bonne fois pour toutes de son pantalon. J’ai le corps en émoi. Je frissonne.

« Alors Elsa ? »

Je sursaute.

« Pardon ?

- Qu’en penses-tu ?

- Hum ? »

Mais euh ! Laisse-moi, Nicolas. On y était presque !

« Tu vois à peu près les personnages se dessiner ? »

- Oui, je les sens bien, les personnages.

- Super. Tu ne bois pas ton thé ? Tu l’aurais préféré sucré peut-être ?

- Non, c’est parfait comme ça. J’attends seulement qu’il refroidisse un peu.

- D’accord. Je te laisse te replonger dans ta lecture, tu as l’air si concentrée. Ça fait plaisir à voir ! »

Plaisir, le mot me brûle.

Pourquoi me fixe-t-il ainsi ? Merde, je dois avoir la coiffure en désordre. Je passe ma main dans mes cheveux pour lisser une hypothétique mèche rebelle. Je ferme les yeux de dépit. Il tourne la tête et se repenche sur son ouvrage. Pourquoi semble-t-il si indifférent à moi ?

Je pense cela et pourtant je le surprends à parcourir chaque centimètre de peau de mes jambes nues.

Quand j’ouvre les yeux, je contemple Nicolas debout, il a retiré son jean. Il s’approche de moi… Nous voilà assis en face à face sur le canapé, nos jambes entrelacées. Je déglutis. Il vient m’embrasser à pleine bouche ! Je sens ses mains expertes dans mon dos dégrafer mon soutif’. Quelle audace ! Il se détache à présent et Nicolas le dégage de mes épaules, laissant apparaître mes seins nus. Il les touche, les caresse, les baise. Il se saoule de la douceur des petits tétons dressés. Il est enivré par cette vue charnelle. Intime. Je me cambre instinctivement, faisant tomber ma tête contre le bras du canapé. Il dépose un nouveau baiser dans mon cou. Ses mains se promènent au bas de mon ventre et je n’en peux plus. Je retire ma culotte puis lui baisse son caleçon. Je regarde son membre tendu (pourvu que ça dure !), et l’invite d’une main en moi. Cash. Sans autre préliminaire. Je suis mouillée, il est excité. L’entrée en matière est profonde et le plaisir intense. Je m’abandonne à lui, à cette jouissance délicieuse.

Oh. La vache ! À l’imaginer me faire l’amour sur ce canapé, je sens l’orgasme monter. Trop bon. Je me redresse et attrape la tasse de thé devenu tiédasse. J’ai les joues en feu. Ou autre chose… Je le veux !

Le piment de notre situation, c’est de ne pas savoir, taire ce qu’on aimerait faire, alors que pour moi c’est très clair. Ma bouche, mes yeux, mes seins le réclament ! Et lui ? Non, ça ne se fait pas, ce n’est pas possible, il y a sa femme. Quel âge peut-elle avoir ? Deux fois le mien ?

 

J’entame à présent la lecture. Si, si ! En diagonale, faut pas déconner. Nul son dans la pièce si ce n’est le feu qui pète gentiment de temps en temps. Alors que je commence paisiblement à lire, j’entends le portable de Nicolas vibrer. Il répond : « Oui, Aude ? … Non, je suis occupé… Bien sûr, avec les filles, à ce soir. » Sans m’accorder la moindre attention, il raccroche et se remet au travail.

Je replonge dans ma lecture. Je relis quatre fois la même réplique. Mais qui sont « les filles » ? Je ne veux pas déranger Nicolas tant il a l’air concentré. Mais quand même, j’aimerais savoir.

Je ne suis pas jalouse d’elle. Au contraire, elle me ferait presque de la peine l’épouse délaissée, l’Aude qu’il ne regarde plus, qu’il ne désire plus. Je ne la crains pas. Seul ce que l’on ne connaît pas nous fait peur. Alors, je suis envieuse de toutes les femmes qu’il a croisées sur sa route, de toutes celles qui portaient une jupe courte, qui lui montraient leurs jambes, de celles qui offraient à ses yeux un décolleté généreux. Oui, je suis jalouse de ces inconnues qu’il a pu désirer. Ces anonymes assises en face de lui dans un train, celles qu’il voit traverser la rue sous un soleil de printemps, ou celles qu’il a rencontrées pour son travail, ces vénus qu’il a eu envie de baiser à la va-vite entre deux portes. J’ignore à quoi elles peuvent ressembler, pourquoi il aurait eu envie d’elles, quel détail a un instant attiré son regard. Ce sont elles qui me font peur parce que je ne sais pas qui elles sont, parce qu’elles n’ont pas de visage, elles ne sont que corps et séduction gratuite.

Je reprends la lecture du manuscrit. Cette fois pour de bon. L’écriture de Nicolas me plaît. Et dire qu’il a écrit ces mots en pensant à moi ! Mon cœur chavire, sa chair m’attire. Je lis, je poursuis, je fantasme encore. Une ivresse fiévreuse a pris possession de mon être. Toute l’admiration que j’éprouve pour lui, je vais la lui avouer. Le corps parle bien mieux que les mots, alors nos gestes iront à l’essentiel. Sans crier garde, Nicolas entre dans ma vie. On dirait qu’il sait lire en moi, il découvre mes secrets, mes désirs inavoués. Et les siens, quels sont-ils ? Que cache-t-il ? À quoi rêve-t-il ? À qui ? Aude ?... Hum. J’en doute. À moi, qui sait ?...

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