Léon

leon2

Synopsis

Léon a 45 ans. Il vit reclus dans son petit appartement parisien. Il était agent de sécurité mais lors

d' une altercation qui a mal tourné, neuf mois plus tôt, une mise à pied pour faute grave a été décidée à son encontre. L'épisode s'est soldé par son renvoi définitif et le retrait de sa carte d'agent de sécurité, obligatoire pour travailler.

Son licenciement sans indemnisations l'a rapidement mené vers des difficultés matérielles et il ne parvient plus à payer son loyer. Alors les huissiers déposent régulièrement des P.V dans sa boite aux lettres et dernièrement, il a trouvé un avis d'expulsion.

Quant à sa vie affective, c' est un désert qu'aucune romance heureuse n'a jamais démentie.

Ce régime de banqueroute rebondit sur sa santé et son humeur se délite au fil des cuites alcoolisées et des accès de désespérance. Mais Léon semble bizarrement immunisé contre ce malheur ordinaire. Indifférent, il ne se révolte plus et observe le manège de la fatalité sans se préoccuper de son sort. Il se laisse aller à s'enivrer exagérément devant la télé, et quand il ne lève pas des poids par soucis d'hygiène, il surfe sur des sites pornographiques. Deux fois par mois, il se paie les services d'une animatrice de téléphone rose à laquelle il est fidèle: Lola.

Elle glisse sa voix de velours jusqu'à sa paume occupée au va et vient de circonstance, et ça le console quelques minutes, même si souvent, les intonations et le timbre trahissent le mépris que la fille éprouve.

Une bière dans une main et l'aigreur pour tout horizon, Léon survit dans ce quotidien morose sans croire en sa chance.

Mais contre toute attente, lui aussi a son étoile et si le présent charrie des litres de noirceur, il se réserve une possibilité d'évasion, un bol d'air: la poésie.

Enfant, malgré la fureur du père et les moqueries des autres collégiens, Léon lisait de la poésie à l'heure de la cantine et cette passion ne l'a jamais quitté; alors quelles que soient les conditions du parcours et l'état de l'équipage, Léon se laisse flotter quelques heures par semaine sur ce dériveur onirique sans bien savoir ou il va.

Un jour, il tombe sur un texte singulier. Un poème simple et fragile qui le touche particulièrement . L'auteur a gardé son identité secrète et a mêlé sa plume à un recueil collectif. En le lisant, Léon est transporté dans une dimension inconnue ou chante la voix douce et mélodieuse d'une femme. Il est saisi. Foudroyé. Les tonalités qui s'en dégagent, empreintes de sonorités magiques et mystérieuses, l'envoutent immédiatement. La voix du poème parle d 'amour et de bonheur, elle le hante, l'obsède et l'appelle. Il hallucine la voix au point du jour et elle ne le quitte plus jusqu'au soir, berce ses nuits, anime des rêves enfouis et oubliés. Le timbre délicat se pare d'un visage et il lui prête un corps langoureux, offert aux modulations qui se donnent. Il tombe littéralement amoureux de cette femme de papier et projète de la tenir dans ses bras mais très vite, il doit se faire une raison: cet amour est une condamnation vouée à l'impossible. Et si l'existence de cette passion sur-réelle tourne à l'obsession, il doit s'en prémunir s' il ne veut pas virer fou à lier.

Pourtant, une nuit, il rêve la femme du poème si parfaitement qu'au matin, quand il la cherche à ses cotés, il croit sentir son souffle. Alors la promesse de sa peau se fait chair et il la sent en vraie, touche le satin de ses seins et de ses cuisses éventails, l'aime comme il ne savait pas qu'on peut aimer ...

Quand il se réveille de cette nuit fabuleuse et ouvre les yeux, il est seul, face au vide.

Elle était là pourtant, il en est sur, elle se pressait contre lui et ils s'aimaient, à se rouler de plaisir, lové serré dans un songe heureux.

Il divague plusieurs jours à pleurer la perte de son rêve et l'insomnie le gagne. Il l'attend.

Malheureusement, si la femme du poème appartient à la féerie du sommeil, elle n'apparait jamais au delà des songes.

Léon perd les pédales quelques temps et se désespère, mais rapidement, il se ressaisit. La déraison est à éviter en toutes circonstances lui a t-on seriné durant l'enfance et il se défend de cette étrange passion à coup de rage et de raisonnement. Il en arrive à la conclusion pragmatique que ces manifestations poétiques sont de pures illusions. La bière surement. Un égarement d'alcool à retourner le sens. Ou un début de dépression …

Il jette tous ses livres de poésie et déchire le poème coupable, qu'il brûle à la faveur d'une allumette. A regrets.

Oui, certes, mais le lendemain, en bas de chez lui, il croise une jeune femme singulière qui lui tend délicatement la main, la paume ouverte. Elle lui sourit, il y avait longtemps qu'on ne lui avait pas souri de la sorte. Jamais peut-être. Un sourire tendre et offert. Gratuit! Presque aimant... Et soudain il la reconnaît. C'est elle, celle de la nuit, la femme échappée d'un poème ou de sa folie... Et quand elle ouvre la bouche pour réclamer une pièce ou un ticket restaurant, « pour me dépanner d'un petit contre temps monsieur, je vous rembourse dès que je peux c'est promis», Léon en est sur: c'est elle, celle qui lui parle, la voix du poème!

Elle a pris corps, et Léon se demande s'il ne devient pas complétement fou.

Pourtant, au cours des jours qui s'alignent sages et immuables, l'incroyable vérité déclinera ses secrets: la fille du poème lui réserve encore de nombreuses surprises qui dépasseront tout ce qu'il aurait put imaginer!

Et si la chance qu'il n'espérait plus lui ouvrait enfin les bras?

Chapitre 1

Voilà cinq minutes que l'animatrice à l'autre bout du fil le mène en bateau. Dès qu'il sent le plaisir s'intensifier un tant soit peu, la garce lui balance une réplique contrariante et il débande aussitôt.

Déjà, la journée avait mal commencé!

Levé à l'aube pour participer à une formation de « comptage » dans les transports en commun, il était ressorti laminé par ce qui fut ni plus ni moins, une séance d'humiliation.

Si dénombrer, additionner, actionner le compte mouton manuel d'un doigt mécanique collaient parfaitement avec ses dispositions intellectuelles, le nouveau traitement réservé aux travailleurs pauvres l'avait effaré. En arrivant à l'heure pile, huit heures précisément, une foule se pressait déjà devant les portes. Pour la plupart, des personnes de couleurs et d'origines étrangères, avec une majorité de noirs et il se fit cette réflexion désinvolte: jamais avant ce jour il ne s'était retrouvé entouré d'autant de noirs! Pourtant, il vivait dans un quartier cosmopolite à forte concentration africaine.

Le parcage inconfortables auxquels ils furent soumis immédiatement fut la deuxième surprise de ce recrutement atypique et furtivement, il s'était demandé si il y avait un lien de cause à effet à déceler dans ce dispositif brutal. Un test de motivation sans doute! Ou un avant goût du traitement que dorénavant, les nantis exerceraient sur les chômeurs et autres étrangers nécessiteux, crise oblige. Agglutinés pendant plus d' une heure dans le sas d'entrée, serrés comme des sardines prêtes à se faire griller l'honneur contre quelques euros, les quelques mille cinq cent recrues hard-discount déplacées en masse par cet institut de sondage au chiffre d'affaire de soixante millions d'euros, patientaient silencieusement, sans un mot de contestation ou de révolte. Au pire, voyait-on quelques furieux s'en prendre à un voisin, car il sentait trop fort du bec ou des aisselles, ou que son encombrant sac leur écrasait les reins à chaque micro avancée que la foule effectuait dans le silence. Certains d'ailleurs ne tardèrent pas à jouer du coude pour se frayer une place avantageuse, au premier rang, et on les voyait se faufiler effrontément dans la foule compacte et figée. Les plus sérieux serraient contre leur poitrine un attaché case de circonstances et ils avaient pris soin de cirer leurs souliers, comme si quelqu'un aurait l'idée farfelue de regarder leurs pieds! Pour Léon, sujet aux crises de tachycardie depuis l'accident qui l'avait amputé de sa légitimité sociale, l'épreuve fut éprouvante et il ne dut son salut qu'à une minuscule bonne-femme d'origine maghrébine.

Volubile, elle commentait leurs conditions de détention.

-Mais vous, vous êtes blanc, et français, ça devrait aller avait-elle affirmé devant l'air catastrophé de Léon.

-Oui, oui, merci... avait il bafouillé.

Voilà! C'était dit! Il n'avait même pas l'excuse d'être noir, étranger ou sans papier!

Sa déchéance était totale.

Si la petite femme le distrayait partiellement des soubresauts inquiétants de son cœur, Léon craignait un mouvement de foule et il s'était promis de la protéger si la masse des chômeurs devait mettre en péril son intégrité. De se sentir utile l'avait passablement ragaillardi. Une réminiscence inattendue de son métier sans doute. Léon avait officié dans la sécurité et la protection d'autrui pendant plus de vingt ans , mais à l'heure d'aujourd'hui, il ne pouvait plus exercer.!

Les postulants les plus motivés doublaient les moins voraces de plus en plus effrontément à mesure que l'heure tournait, à coup de menaces et d'œillades méchantes, quitte à frapper, taper, cracher pour passer le premier et décrocher le job. Chahuté entre toutes ces peaux noires et affamées, Léon avait senti reflué cette phobie génante du contact et des noirs, dont son père avait fait un sacerdoce. Mais en bon républicain, il avait modéré cette peur archaïque de l'étranger: à n'en point douter, ils étaient tous frères dans cette galère.

Au bout d'une heure, on les avait enfin laissé entrer par flux maitrisé et il fallut quarante minutes supplémentaires pour installer cette longue procession de postulants honteux sur les sièges disposés à leur endoctrinement.

La suite fut conforme à l'accueil et le formateur, Sébastien, ne jugea pas opportun de cacher son mépris à cet auditoire dévoué ; il s'adressa aux importuns grossièrement, comme s'ils étaient dénués de tout jugement, martelant des rappels au calme et à la civilité aux recrues sages et attentives, ne pas donner de coups de pieds ni insulter les voyageurs ou mettre le feu étaient les consignes du jour, ces actes de rébellion semblant d'après lui leur principal objectif.

Succinctement, leur tâche consisterait à compter les usagers en se tenant postés aux fermetures des portes dans le sens de la marche, pour la sécurité.

Bien sur, les chefs d'équipes seraient tout puissant durant l'opération et il faudrait se plier aux ordres pour être affecter à une autre gare le lendemain;  il était de plus hors de question de s'alimenter durant la prestation et inimaginable de téléphoner ou d'uriner sur les quais.

Léon songeait au salaire qui tiendrait les huissiers à distance quelques semaines alors il se tâtait sérieusement pour partir quand la petite maghrébine lui proposa de faire équipe :

-Je compte ceux qui montent, vous ceux qui descendent, ça vous va?

-Oui, c'est parfait avait approuvé Léon.

La femme minuscule semblait rétrécir au fur et à mesure que le guet-apens se refermait sur eux et dans un réflexe enfantin, ils se raccrochaient l'un à l'autre! Maintenant, il devait donc endurer ce recrutement par solidarité en plus de rester par acquit de conscience: a-t-on jamais vu un homme d'honneur abandonné le navire?, même si dans son cas, son équipage ne comptait qu'une femme minuscule et pauvre.

Une heure et demi plus tard, quand il fut temps de distribuer les plannings, on leur asséna le coup de grâce. Passé les mille premiers ordres de mission distribués, il fallut se taper une dernière contrariété: les cinq cent derniers, ceux qui n'avaient pas osé jouer du coude et dont faisaient partie Léon et la petite femme, repartiraient bredouille et sans dédommagement pour la formation.

-Vous êtes les derniers à être rentrer! Fallait être là plus tôt au lieu de vous plaindre, grogna un chef de terrain agressif.

-Mais on était là, on attendait parquer dans le hall, debout et serrés comme une botte d'asperges, c'est vous qui ne nous laissiez pas entrer!, se défendit une femme d'une bonne cinquantaine d'années, de ces mamas en boubou dignes et maternelles dont on rêve de partager la cuisine généreuse et les rires bruyants.

-Et puis, se permit Léon, les conditions de sécurité n'ont pas été respectées. Il y aurait put avoir un mouvement de foule et des blessés, peut-être même des morts! Et la sécurité, croyez-moi, je m'y connais: c'est mon domaine!

-C'est pas grave ça, rétorqua le salarié, nous avons des assurances pour ce genre de problèmes et si vous n'êtes pas content, fallait partir! Notre institut est une entreprise privée, on fait ce qu'on veut!

Léon sentit l'envie folle de lui balancer son poing dans les dents, juste là d'où les mots venimeux giclaient le dédain. Mais il ravala le coup et en réaction, fit preuve d' une audace surprenante!

N'écoutant que sa colère, Léon remonta la file des demandeurs prêts à tout et chaparda deux plannings et des badges sur la table ou les employeurs officiaient. Avec sa carrure de bodybuilder et son regard furieux, personne n'osa contredire cet élan de révolte, le dernier sans doute, au pied duquel il abandonnerait les armes quelques heures plus tard, mais ça, Léon ne le savait pas encore.

Bien qu'affectés à deux gares différentes, la petite femme lui en fut reconnaissante:

-Je prierais pour toi mon frère! Qu'est ce que tu veux que je demande à Allah?

-Heu, je sais pas....

-Je prierais pour que tu ne manques de rien et que tu sois aimé alors. Tu as une femme?

-Non.

-Alors je prierais pour que tu trouves une femme.

Et ils se quittèrent sur ces bonnes paroles, non sans se souhaiter bonne chance et toutes ces choses heureuses qui n'arrivent jamais.

Léon  est rentré bien triste et morose de cette embauche alors pour se détendre, il a hâté l'heure de sa première bière et l'unique rendez-vous sentimental de son existence avec Lola, animatrice de téléphone rose

Signaler ce texte