LE FAUTEUIL
Françoise Duterrage
Le bois exprime sa douleur par des craquements, exaspéré par les caprices du temps . Le vent le bouscule, la pluie le harcèle. Des marques de couteau couvrent le dossier, telle une blessure qui ne se cicatrice pas. Sur les accoudoirs, des traces de brûlures semblent former des initiales à peine visibles. Des brindilles de bois viennent le frapper sous la colère du vent. Il a coulé plus de temps que d'eau avant qu'une vieille dame ne lui témoigne un peu d'intérêt. Depuis qu'elle a fait l'acquisition de cet objet qu'elle bichonne, répare à la moindre blessure, elle lui confie toutes ses émotions. Elle prend soin, chaque matin, de le déposer dans un coin de la pièce à l'abri des regards indiscrets. Chaque soir, elle s'y assied délicatement pour se délester du crépitement du bois dans l'âtre de la cheminée. Ce fauteuil représente pour elle un trésor inestimable, car la seule chose qui lui appartenait était une montre ancienne qu'elle n'avait jamais quittée. Lorsqu'elle la regardait, les souvenirs s'engouffraient dans son esprit jusqu'à ce qu'un bruit quelconque la rappelle à la réalité. Son âge très avancé la rend un peu sénile à certaines heures de la journée. Le fauteuil devient alors l'enfant qu'elle na jamais eu. Le soir, au coucher, elle le couvre, lui parle, le rassure et laisse la lampe de la pièce allumée. Le matin, étonnée, elle ferme la lumière en essayant en vain de se remémorer les derniers moments passés dans la pièce. La couverture déposée sur le fauteuil jonche le sol, laissant apparaître toute la jeunesse du fauteuil. Il était maintenant devenu sa seule raison de vivre, sa seule raison d'aimer. Autrefois, elle apprivoisait les autres. Aujourd'hui, elle devient une proie facile pour celui qui lui témoigne une amitié intéressée. Elle parcourt les jours sur lesquels se déverse un parfum de regret jusqu'au cœur de ses rêves. Cependant, elle parvient à vivre simplement, sans demander davantage, sans rien attendre, sauf peut-être le sourire d'un enfant