le frère Eugène

Christian Gagnon

Conte à rebours: l'école primaire, là où j'ai appris à bien perdre mon temps.

1959, septième année du primaire, les profs portent tous des robes, et ce sont des hommes. En plus ils sont tous frères, et leur plus grand frère a un sacré cœur. J'imagine que c'est pour ça qu'on les appelle les frères du Sacré-Cœur. A cette époque, nous étions tous des enfants qui seraient un jour remplacés temporairement par des adultes. On avait une septième année pour rester enfants le plus longtemps possible. Aujourd'hui, les enfants ils naissent tous adolescents.

 

Les frères, leurs robes traînaient toutes à terre, ce n'étaient pas des kilts, on ne pouvait pas voir ce qu'ils cachaient en dessous. Et puis ils étaient tous petits, des rats, des rabougris tout habillés de noir, bas noirs et souliers noirs pour faire ton sur ton. Le frère Eugène, le prof de septième, c'était un corbeau : il était grand, il devait chausser du douze, il avait inventé les Docs Marten. Et puis il marchait en sautillant comme le corbeau qu'il était, son bec de nez vers le bas pour mesurer ses pas. Le frère Eugène il ne voulait pas perdre pied mais il perdait le ciel; et peut-être qu'il avait peur que son père en haut le zieute comme s'il était Caïn, peut-être qu'il avait quelque chose sur le cœur le frère Eugène.

 

Il portait au cou une croix presque aussi grosse que celle du Christ et il jouait au boulier compteur avec son chapelet. Je ne sais pas si sa famille était trop petite, mais nous étions trois à qui il avait fait visiter le juvénat de l'Ancienne Lorette pour nous convaincre de joindre sa fratrie au secondaire. Pas difficile, deux patinoires, des jeux de Mississipi, une salle de billard, on était trois cons vaincus.

 

Et puis un midi, tous les trois, nous étions de l'autre côté de la rue de l'école, là où aujourd'hui t'as le droit de fumer; nous nous échangions des cartes de hockey. Aujourd'hui je suis athée, je ne crois plus au hockey. On s'échangeait des cartes enveloppées dans du papier ciré et couchées sur une palette de chewing gum rose poudre. J'échangeais Henri Richard pour Jean Béliveau, j'allais avoir le club Canadien au complet, en blanc et rouge en plus. Et là, venue de derrière et de partout, il y a la main d'Eugène Scissorhands qui me coupe l'épaule! Ipso facto, Eugène le SS confisque les cartes; heureusement la palette valsait dans nos bouches, pas touche! Rien à dire, rien à faire, Eugène faisait la loi.

 

C'est là que j'ai commencé à douter : le Bon Dieu pouvait-il être méchant? Fin des classes, le frère Eugène nous accueille dans sa chambre pour nous féliciter d'avoir choisi le même passage à l'adolescence que lui, le juvénat. Sur le mur derrière lui, crucifiés à la gauche et la droite du Christ, Henri Richard et Jean Béliveau! C'est avec tout mon ego que j'ai annoncé au frère Eugène que mon père m'avait inscrit au collège classique de Jonquière. Avant de quitter momentanément mon enfance, je lui ai collé mon chewing gum sous son bureau de prof. Je n'ai jamais eu besoin de défroquer.
  • alô Christian, les écoles pour filles n''échappaient pas à la version "femelle" d'"Eugène de La croix" mais les cartes de hockey se substituaient par de folles pensées qu'on nous confisquait à coups de "petites sottes", +++ mon ami

    · Il y a presque 6 ans ·
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    suemai

    • au fait, hilarant ton corbeau lol

      · Il y a presque 6 ans ·
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      suemai

  • Je l'ai trouvée fort inquiétante cette histoire-là… Moi, je fréquentais "l'immaculée conception". Les sœurs étaient méchantes mais surtout les unes envers les autres.

    · Il y a presque 6 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

  • Dans l'Eugène y'a pas d'plaisir :)

    · Il y a presque 6 ans ·
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    Mario Pippo

  • Quelle maîtrise des images de l’enfance ! Entre nostalgie et amertume. Bravo ! :o))

    · Il y a presque 6 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

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