Le gout amer de la vengeance.

eden-paragallo

J'arrivai dans les bois qui longeaient la ville tels des remparts, à la tombée de la nuit. Je les sentais, ces êtres morbides, ces métamorphes vicieux et avides de pouvoir. Je pouvais entendre, en eux, leurs cœurs de pierre taper dans leur poitrine. Je pouvais percevoir le ruissellement de leur sang chaud à travers leurs corps. Ils étaient là, ici et ailleurs en même temps, partout à la fois. Une odeur de loups; une odeur de meute embaumait les bois entiers.

Et moi, je demeurai silencieuse et imperceptible, telle un fantôme errant. J'attendais patiemment. La bête qui était en moi grondait sombrement. Elle ne demandait qu'à dévorer leurs âmes sans scrupules, une à une. Elle n'existait que pour étancher une soif de vengeance interminable. Immortelle et insaisissable. Invisible et imperceptible.

J'étais là, dans les hauteurs d'un grand arbre, scrutant l'ennemi dans ses moindres mouvements. Des loups éclaireurs allaient probablement être envoyés pour suivre ma trace. Si tant est qu'ils la trouve.

Il y a des années de cela, j'étais une enfant innocente et puérile, en quête de grandeur et de justice. Aujourd'hui, j' étais un monstre assoiffé de vengeance, une barbare sanguinaire combattant pour une cause perdue. Mon seul but était de voir brûler, un à un, chaque foutue créature surnaturelle de cette meute qui se pavanait avec l'arrogance à la gorge et le pouvoir au bout de leurs griffes.

En haut de mon perchoir- le corps dissimulé sous une cape aussi sombre que le paradis d'Hadès, un petit sourire qui annonçait des nuits futures pleines de sang et de revanche, les muscles tendus par l'excitation, l'adrénaline envahissant peu à peu mes sens et mes membres, la main droite crispée sur le manche de mon poignard, prête à dégainer à tout moment- j'écoutais leurs paroles, les bruits qu'ils faisaient, tout, jusqu'aux sons des bois, le sifflement léger des feuilles des arbres réveillées par la brise nocturne.

La nuit allait être longue. La traque n'était qu'un début. Il fallait agir, rapidement mais à pas de velours. Il fallait trouver le serpent et lui couper la tête avant qu'il ne fasse d'autres victimes.

La lune montait au centre d'un voile infini, noir et parsemé d'étoiles scintillantes. Tout semblait tranquille, pour le moment. Une partie de la meute de Kaylee se reposaient dans la grande maison située à quelques mètres de ma planque pendant que le reste montaient la garde. Une atmosphère très légèrement inquiétante était palpable; comme s'ils éprouvaient l'étrange sensation que quelque chose les épiaient, une chose invisible mais dangereuse, tapie dans l'ombre de Dame Nature et que cette dernière ne lâcherait qu'au moment opportun.

Un bruit suspect me tira de ma réflexion. Un craquement de branche résonna dans le silence. Je regardai attentivement en dessous de moi, mon arme à moitié sortie de son fourreau. Les battements de mon cœur s'accélérèrent petit à petit mais se calmèrent à la vue d'un des éclaireurs qui revenait de sa ronde. Un autre homme arriva à sa rencontre:

" Alors?" demanda le premier arrivant.

" Il y a de nombreuses traces vers la sortie de ces bois."

" De quoi proviennent-elles?"

" Un animal de taille moyenne, sans doute un loup ou un renard."

" Va avertir Kaylee. "

Le premier se dirigea vers la maison pour informer l'alpha, le second resta posté dehors. Le calme plat revint.

Je souris en repensant aux paroles de l'éclaireur. Mon fidèle compagnon de chasse n'était plus très loin. La partie allait pouvoir commencer.
 

Un hurlement sourd retentit dans la nuit noire. Il interrompit tous les hommes en un sursaut de glace. Zeus était prêt à attaquer :

"  Vous avez peur, murmurai-je avec un sourire sarcastique. Et vous avez bien raison. "

Mon ami arriva à pas de loup. Je sentais son souffle chaud, distinguais ses yeux d'ambres qui flamboyaient dans l'obscurité. J'entendais les battements de son cœur, le bruit léger que faisaient ses pattes griffues sur le sol de terre humide. Sa respiration faisait de l'écho dans le froid.

Et enfin je le vis. Enfin il était là. Un grognement aussi puissant qu'un coup de tonnerre résonna dans les bois. J'observais la scène, patiente et fière; excitée et amusée. La Mort allait frapper. Hadès aurait bientôt de nouveaux esclaves.

La bête allait et venait, aussi rapide qu'une araignée en chasse, aussi souple qu'un fauve en pleine course. J'entendais un des bêtas de la meute crier des ordres à moitié compréhensibles aux autres. Ces derniers se regroupèrent, armés de leurs griffes, les crocs sortis, sentant la Mort approcher doucement. Et elle entra … sans prévenir. Le premier pion était posé sur l'échiquier, l'adversaire était prêt. Maintenant c'était à nous de jouer.

Une ombre dans l'ombre, je descendis de ma cachette d'un saut. Je lus sur leur visage une expression de perplexité mêlée à de la peur. Je restai de marbre, la concentration à son apogée, le corps dissimulé sous ma cape, le visage couvert par mon masque de fer.

Puis vint le moment tant attendu. Mon arme à la main. Ma main gauche atteignant la hachette qui se trouvait accrochée de l'autre côté de ma ceinture. Le temps, qui semblait avoir ralenti jusqu'à même s'arrêter, repris son cours, devenant de plus en plus rapide et flou. Un à un je les massacrais, égorgeais les loups garous les uns après les autres, mon compagnon sur les talons. Ses crocs luisaient tels des lucioles. Ils claquaient au rythme des cris de l'ennemi, ne leur laissant aucun répit, ne cédant à aucune pitié.

Quand le massacre prit fin, je laissai tomber cape et masque au sol et m'avançai vers la batisse en pierre, Zeus à mes côtés.

Elle devait servir de quartier général. Pourtant, ma mère ne semblait pas être là. Je ne sentais pas son odeur.
Zeus passa la porte d'entrée ouverte alors que je restai immobile. Cette maison me rappelait douloureusement celle de mon enfance; celle dans laquelle mon frère et moi avions failli brûler vivants. Un souvenir des plus sombres que ma mère ne manquait pas raviver à chaque occasion.
Je sortis de ma rêverie et pénetrai, à mon tour, dans la maison fantôme. Les lumières avaient été laissées allumées. Mais le lieu n'avait pas été habité depuis longtemps à en juger par l'odeur de moisissure dans les murs et la poussière qui reposait sur la plupart du mobilier. J'appelai mon compagnon et nous quittâmes les lieux.
"Pas de vengeance pour cette nuit." Pensais- je, déçue.
Elle savait que je viendrai les traquer. Cette meute n'en était pas une. C'était un leurre. Elle me manipulait. Mais c'était pour mieux me poignarder par la suite.
Le ciel noir se couvra peu à peu de nuages et la pluie se mit à tomber petites gouttes. Je repris le chemin de la maison sans prendre la peine d'éliminer les cadavres non- humains qui jonchaient la terre humide.

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