le grand soir ?

zab1881

Le grand soir ?

Après la grande secousse qui a dévasté les deux tiers de l'Europe, les nations ont fermé leurs frontières afin d'éviter l'afflux de recapés mourant de faim. On prévoit à présent en guise de réplique géologique une inondation du territoire qui n'épargnera que quelques centaines d'hectares dont la localisation est devenue le plus grand des secrets d'Etat. Les estimations les plus sérieuses évaluent à cent mille le nombre de Français susceptibles d'être accueillis sur le nouvel Eden ultra secret.

C'est ainsi qu'en France, l'élection présidentielle de 20102 s'est dotée d'enjeux particulièrement concrets.

Pour le dire vite, il en est ainsi :

la droite libérale a prévu de sauver d'abord les femmes, les enfants et les capîtaines d'industrie.

Ils seront plus de cent mille ?

So what ?

On soupçonne que les gros nantis seront mieux nantis que les autres... Deux siècles de capitalisme rageur y ont accoutumé. Ca passe très bien dans la bouche molle et répugnante de ministres qui halètent sur tous les écrans les grandes vertus de l'humanisme.

La gauche, quant à elle, a mobilisé une dream team ultra compétente chargée d'organiser une immense loterie; les survivants auront été choisis grâce aux seules lois du hasard.

Les rumeurs qui bruissent sur la toile disent déjà qu'on n'aurait pas pu faire mieux que cette sélection préalable. Elle est éligible au Prix Nobel de la Paix 2012.

Quant à l'extrême droite, elle taille dans le lard bien gras des noirs, des juifs, des arabes, des jaunes - DEHORS !

Le Bureau Politique a pris conscience que les minorités colorées qui mangent le pain des Français sont minoritaires. Aussi s'attache-t-il à caractériser de nouveaux ennemis : les vieux, les malades, les orphelins, les divorcés, les gays, les drogués, les marginaux - il ne faut plus que cent mille Français purs. La sélection est dure mais juste.

En attendant le scrutin puis l'inondation, les Français sont sur les dents, exaspérés à la perpective d'une mort vraisemblablement prochaine.

Les liens familiaux et amoureux se resserrent, il y a des orgies communautaires, de nombreux suicides collectifs. Les historiens qui ont encore le courage de s'intéresser à autre chose que leur propre survie établissent des parallèles entre leur propre modernité et les grandes épidémies qui sévirent au Moyen Age.

On se demande qui peut bien souhaiter éliminer parmi les siens les vieux et les fragiles mais c'est comme on le craignait : l'extrême droite arrive en tête lors du premier tour - 28 pour cent des voix !

Dans la rue, dans les refuges, les hôpitaux de fortune qui ont fleuri sur l'ensemble du territoire encore intact, rares sont ceux, cependant, qui osent avouer la nature de leur vote. Il y a bien quelques lynchages de Roumains, des bruissements d'ordures devenues audibles quand on monte dans une barque communautaire afin de rallier tel quartier émergeant d'un chaos liquide et qu'on subit les bavardages d'autrui bavant dans son portable "je suis dans une barque, je peux pas parler mais tout ça c'est de la faute des ...hum... tu sais bien qui..."

Sur les écrans, cependant, la voix triomphale des vainqueurs pratique l'antiphrase "Mon meilleur ami est juif, je lui souhaite d'être accueilli dans ce nouveau paradis qui attend les meilleurs d'entre nous."

Ils ont vingt ans, ils ont trente ans ou quarante ans; ils rêvent depuis des lustres d'exterminer la bête immonde et le moment est bien choisi.

Ils ceignent leur buste de bombes miniaturisées, coordonnent leur sacrifice.

Grâce à eux, les leaders de l'extrême droite ont tous été fauchés.

L'avenir est devenu moins sombre.

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