Le jardin des possibles
hel
Le Papatayo, la grande Duduche, Alex, et du pourquoi il n'est pas nécessaire d'apprendre aux poissons à nager.
a.
La grande Duduche est là, sur son tabouret. On la voit, on cherche un nom, une image. Elle a quelque chose du flamant rose dans la posture mais flamant rose ça porte vers le trop majestueux encore. Elle c'est surtout sur le bord des yeux, quand ce n'est pas du gris pailleté ou un de ces bleus à vous glacer sur place.
La grande Duduche, quelque chose d'un oiseau dépenaillé, d'un échassier qui titube, quelque chose de la chouette aussi, sur le haut de sa paupière molle. De la mouette dans son rire. Des pas d'oiseau maladroit. Et puis un de ces chemisiers qui laisse tout à transparaitre quand on ne voudrait rien de rien en voir, et aussi sa jupe en skaï des mêmes mercredis, jeudis, vendredis… à l'infini des infinis mêmes soirs. Autour toujours les rires qui fusent. Les mots acres. Les mains grassouilles qui glissent, sur ses épaules dans d'imaginaires élans, vers ses cuisses l'air de rien. Quelque chose comme ça, parfois, dans le très imbibé, qu'on fait mine d'ignorer. Mais le plus souvent l'amusement, à ses dépens forcément. Quelque chose qu'elle cristallise, même qu'elle y met du sien cette grande Duduche.
Presque on aurait pitié, puis un mot vient, s'échappe de sa bouche et voilà que non. Elle est méchante en plus du reste qu'on n'ose pas dire exactement. Acre. Frelatée. Amère. Bête de chez bête. Une caricature grandeur nature. Mais là comme les autres. Seule comme les autres. Et peut-être bien moins ivre et plus lucide que les autres, aussi surprenant que cela puisse être. Et là toujours, jours après jours, moquerie après moquerie, là quand même.
b.
Il faudrait imaginer cela comme ça…
(Il serait d'ailleurs bien mieux de se le faire chuchoter que de le lire vraiment.)
Un grand ciel bleu sombre qui tire vers la nuit mais sans la toucher encore ni y tremper pour de bon. Le doré joli des petits pavés sous les semelles et des talons en équilibre. Un parfum dans l'air qui a l'odeur d'une certaine ivresse, et des silhouettes, des corps qui se croisent tout plein du même silence. Les lampadaires encore timides. Et puis à petit, plus de bruits, plus de nuit, quelques rires qui flottent, et soudain les corps silencieux de la minute d'avant dans la même représentation, comme le pantomime d'un quelque chose d'heureux pareil à la devanture du Papatayo.
Des lettres qui se décrient du jaune à l'orangé soulignées d'un rouge feu, quelque chose d'exotique sous les branches peintes, des tonneaux en guise de table avec de grand tabourets à barreaux ou la grande Duduche aime à caler ses bottes de sept lieues. Un mirage, une fabrication de l'esprit une fois la porte passée. Mais on ferait semblant que ce n'est pas si lugubre que ça en à l'air pour de vrai, et on y arriverait avec la musique qui joue fort, et les rires pour de faux, même si on se rappelle plus, encore, pourquoi, on y vient, pourquoi on y est, juste là tout englué d'une odeur de gin et de de sueur.
J'y danse, tangue, fredonne. J'y oublie la main tendue d'Henri, parce que ça fait trop peur, parce que saisir au vol serait avouer quelque chose, parce que je ne sais pas vraiment faire autrement que de danser sur le fil. Sauf de rares très rares fois.
c.
On entre pas au Papatayo volontairement. Pas la première fois. Peut-être même pas la seconde ou alors vraiment on le fait pas exprès. On y échoue juste. La première fois fait toujours suite soit à un désir déçu, refoulé, d'un autre endroit qui ne veut pas de nous, soit encore à une errance, sorte de hasard, d'avant autre chose qu'on oubliera coulé quelque part entre les spots criards, un vieux coin de banquette rouge, la musique qui pulse au cœur et le froid d'un soir sinistre qui attend derrière la porte et chuchote au corps de se garder au chaud en tout bien toute léthargie.
Le Papatayo a pour lui et la situation et ses bras grands ouverts la plupart du temps, même si d'un regard Sonia anime tel un chef d'orchestre le ballet des rares refoulements au-travers des bras mastoc du mastodonte posté à l'entrée. Au-dessus du comptoir même miettes de miettes de vie avortées au propre comme au figuré et à toutes les autres sauces possibles. Brassées, mélangées, frappées, absorbées. Derrière le comptoir : Sonia. Cuir, blond platine, visage curieusement poupon, regard comme désir, et encore mère, confidente, maquerelle, avec cadence de l'éponge qui absorbe en arabesque douces et de la main ferme qui pousse les verres. Un personnage.
Mais à la vérité, et même si cela ne fait pas tout, quelque chose de la présence tient à la gracieuseté des verres. Pour peu de les prendre au comptoir et de sinon savoir sourire se forcer le faciès de temps à autre, voire de tenter quelques rires épanouis les soirs de grand zèle.
— En fait on serait un peu comme des putes non ? je lance comme ça à Alex, une fois d'un verre mal digéré.
— On est tous des putes à un moment ou un autre.
Ça c'est Alex. Alex entièrement, mais juste d'un œil glissé par la lucarne.
— Puis on couche pas…pause/regard au verre, au plafond, à ses mains/regard autour/regard qui englobe des corps d'hommes/ regard qui caresse des corps de femmes/.. on couche ou pas ?
— Hum…jusque-là, on, on couche pas. Mais on pourrait.
— On pourrait si on voudrait.
— Voulait ?
— C'est pas pareil ?
— Tentative de début de réflexion/regard à la grande Duduche tout en froufrous frétillants/ abandon de tentative d'aucune réflexion/ conclusion : Peu importe.
Peu importe puisque si on ne coule pas tout à fait on surnage bel et bien.
« Dans la merde » dirait Alex, mais ce serait plus pour le mot et la posture que l'exactitude.
Tu sais que quand tu fais dans le cynisme , tu es pas mal non plus :) ce troisième volet est à la hauteur du précédent, avec de jolis petites expressions, des analyses et un rythme qui donne corps au texte ... on sent que tu y prends un réel plaisir ... merci à toi Mamz'Hel
· Il y a plus de 7 ans ·marielesmots
Si je prends pas de plaisir c'est pas la peine ;) contente que cela te plaise toujours
· Il y a plus de 7 ans ·hel
Voila, ils sont là ...et bien là...c'est pinçant et enrobant. Magie de ton écriture, plaisir de lecture qui donne chair à ces marionnettes. C'est beau.
· Il y a plus de 7 ans ·lyselotte
Merci lyselotte, ravie que tu le vois/ressentes ainsi.
· Il y a plus de 7 ans ·hel