Le journalisme se fait bananer

Mokrane Kab

Une nouvelle provocation d'un journal, à travers un de ses titres, déclenche encore une polémique. 

Petit rappel s'il en est besoin, le journal Minute titre sur Taubira : « Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane. » 

Bien que je désapprouve le titre, véhiculant un discours faussement ironique mais véritablement haineux, je suis plus réservé à l'accueil que l'on devrait faire sur cette Une. Tout simplement parce que la publicité que lui engendre toutes les indignations fait de lui un journal martyr. Cela va pousser la curiosité des gens à aller voir et lire. Et bingo ! En passe d'être mort, sinon moribond qu'il était, le revoilà relancé, pointé du doigt certes, mais bel et bien sauvé des eaux. Comme quoi la curiosité est parfois malsaine. Surtout quand on la titille. 

Pour s´en convaincre, il suffit de voir dans tous les journaux que le site du journal incriminé est saturé ou que les ventes ont explosé. 

Le patron de cette feuille de chou plaisante sur la publicité que lui rapporte tout ce battage médiatique. Il va jusqu'à se comparer au journal Charlie Hebdo qui fait ses choux gras sur des Unes provocatrices.

De plus, il me semble que les réactions instantanées des politiques et des journalistes se réfèrent à la non-dénonciation ou celle si molle de la fameuse phrase d'un élu frontiste comparant encore une fois C. Taubira à nos cousins très éloignés. Comme la victime s'est plainte de ne pas avoir été soutenue, on en fait des tonnes pour se rattraper. Au risque de permettre au coupable de surfer sur le buzz provoqué. Personne ne prend de recul et tout le monde fonce tête baissée. En premier lieu, les journalistes, neutres et dont le devoir est d'informer sans entraver.

Le devoir d'informer ne dispense pas les journalistes d'être professionnels. L'immédiateté de l'information provoque ça et là des réactions pas toujours contrôlées et pas assez analysées. On ne peut plus avoir de recul nécessaire pour juger des choses quand on est noyé par le flot d'informations.

Et puis, le journalisme actuel vous dispense de penser puisqu'il fait tout à votre place. À vous de prendre place à côté du média qui vous sied le plus et d'applaudir le spécialiste qui transcrira au mieux votre pensée. Libre à vous ensuite, au bureau ou au bistrot de reprendre cette analyse et de la faire vôtre.

L'information est prédigérée et prête à vous être servie sur un plateau. De télévision de préférence.

Mais pour revenir au sujet qui nous occupe, faut-il interdire ce journal qui se croit malin “comme un singe„ de surfer sur la vague raciste qui touche l'Europe entière ? 

Si la question se pose, la réponse est moins évidente. Ou alors, il faudrait commencer par interdire les partis extrémistes, punir les politiques qui jouent avec les nerfs de la République et les médias qui font de la surenchère sécuritaire. 

Madame Taubira a du travail. Les prisons qu'elle essaye de désengorger ne finiront pas de se remplir. Avouez que ce n'était pas son but de départ et que ce serait radical.

Les jours et les heures sombres des années noires de l'histoire de l'Humanité sont apparents. Entre ceux qui dénoncent le racisme ambiant et demandent qu'on coupe la tête de la bête immonde, et ceux qui crachent sur les fondements de la République, il y a ceux qui bon an mal an essayent de défendre les valeurs de démocratie et de paix. Ces derniers ne sont plus audibles parce que pas assez extrêmes, pas aussi extrêmes que les deux premiers. Qui suivre alors ? 

Ce n'est pas un match ni un tournoi, mais bien une guerre d'idées, de concepts. Chacun essaie de rallier le peuple à ses idées, à son drapeau. C'est une guerre idéologique. Guerre entrecoupée de publicité bien entendu. Cette guerre se pose au niveau des idées et des valeurs que chacun s'autorise à défendre au nom de l´amour de la Patrie, elle s'impose à tous tous les jours dans toutes les formes de média. Et pour gagner cette guerre, tous les camps s'autorisent les pires mensonges, les plus viles calomnies, tout pourvu que ça passe et que ça vende.

Au fait oui, ne passons pas à côté de l'essentiel; le but ultime de tout ce battage, de toute cette frénésie, c'est de vendre sa feuille de chou. La sienne et pas celle des autres. Du coup, tous les coups sont permis. Même un pauvre lama a droit à son heure de gloire. C'est pour dire...

Le peuple qui se bat tous les jours pour survivre ne peut que compter les points dans cette frénésie médiatique. 

Un jour on lui dit que la France souffre de trop d'étrangers qui profitent du système. Puis un autre, on lui serine que c'est mal de penser à l'autre, l'étranger toujours, comme un envahisseur, un profiteur. Qu'il faut être humain. Et enfin un autre jour, on lui dit que tout cela n'est que du vent et que ce qui compte c'est le tramway de Bordeaux ou les barrages pour le Brésil.

A qui profite donc toute cette soupe médiatique ? À qui profite le crime ? Bien malin qui saura répondre.

Le journalisme est devenu la météo de demain. Il souffle le chaud et le froid. Et il décide de ce qui est bon ou mauvais pour les citoyens. Il défend ses amis et distribue le pouvoir, non, pardon, les bons points aux hommes politiques et aux industriels. Ces derniers sont d'ailleurs très souvent leurs amis et accessoirement leurs patrons. Ce qui n'empêche pas ces patrons-là d'être aussi amis avec les politiques et vice versa.

Et pendant ce temps, les usines ferment, les ouvriers meurent et les riches ont les poches pleines. L'Europe de la rue se radicalise et celle des politiques s'occupent de nos toilettes. Ils dissertent sur les chasses d'eau. Oui, ce qui intéresse les instances européennes c'est de mettre au diapason toute l'Europe dans les commodités. 

Peut-être une façon de nous dire que les problèmes les plus graves se noient plus facilement dans la m...

Pour terminer sur une note positive, peut-être pas pour tout le monde, devrions-nous nous inspirer de cette phrase de Saint-Just : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » ? Avouez encore une fois que c'est un petit peu radical, non ? 

  • Les journalistes sont de plus en plus en situation de précarité, pigistes serait le terme approprié. Comment avoir de la qualité quand il leur faut faire dans la quantité pour vivre? Le journalisme est touché par les objectifs et le chiffre comme dans beaucoup d'autres secteurs économiques. Vendre, vendre en réduisant la masse salariale pour que le consommateur n'ait pas de hausse de tarif significative mais que la marge augmente...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Singe

    Brigitte Delaperelle

  • Le problème est que ce racisme s'infiltre de plus en plus dans les mœurs, et il devient ordinaire. Voir parfois justifié... On revoit de temps à autre les fantômes du nazisme : faut dire que la crise a toujours été propice pour les extrémismes...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Muraco.nashoba

    ahqepha

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