Le ragoût de babiroussa

tryphon

Le ragoût de babiroussa

Synopsis

Cette histoire, située dans la deuxième moitié du XXème siècle, est celle d’une jeune aventurière, Stanie, qui s’embarque, sous l’œil mi-bienveillant, mi-goguenard d’un improbable sorcier, dans une quête utopique, celle d’un mets aux vertus magiques : le ragoût de babiroussa. Au terme des péripéties de son voyage, qui lui apportera surtout une éducation sentimentale et sensuelle, autant que gastronomique, la belle Stanie rencontrera peut-être la mort, ou l’amour.

Chapitre 1 : La rencontre de l’esprit d’un sorcier, enfermé au musée sous l’apparence d’une statuette, et d’une innocente jeune étudiante, Stanie qui n’a d’autre horizon que les murs gris du pensionnat dans lequel elle est enfermée.

Chapitre 2 : Au retour du musée, Stanie discute avec ses amies d’un avenir qu’elle imagine monotone. Son espoir réside dans la rencontre du prince charmant qui hante le cœur de toutes les jeunes filles. Le sorcier parvient à s’incruster dans sa vie.

Chapitre 3 : Au terme de ses années de pensionnat, et de brèves études de secrétariat, Stanie s’engage dans cette profession, sans grand attrait pour elle. Pour meubler sa vie, elle développe une passion pour la cuisine, seul moyen pour elle de découvrir les cultures les plus diverses.

Chapitre 4 : Des amies tentent d’entraîner Stanie vers des plaisirs fugaces et dangereux. Ses rêves la poussent plutôt vers les voyages lointains, malheureusement inaccessibles.

Chapitre 5 : Sous l’influence du sorcier, Stanie tombe amoureuse d’un beau jeune homme. Malheureusement, elle s’aperçoit rapidement que ce n’est pas le prince charmant dont elle rêvait, et la rupture ne tarde pas.

Chapitre 6 : Au décès de sa grand-mère, Stanie hérite de quelques ressources financières, mais surtout d’un étrange almanach, souvenir de son grand-père. On y parle d’un mystérieux ragoût de babiroussa, un mets qui aurait des vertus magiques.

Chapitre 7 : Réunissant son courage et ses économies, Stanie se décide à entreprendre le voyage autour du monde dont elle rêve depuis toujours. Elle partira de Marseille, la porte de mondes inconnus et fascinants. De délices gastronomiques en découvertes gustatives, et de rencontres romantiques en initiations sensuelles, elle suivra sa bonne étoile que guide le sorcier. Très vite, cependant, elle tombe entre les pattes de mauvais garçons.

Chapitre 8 : Les bandits veulent emmener Stanie en Corse, mais des problèmes de navigation les conduisent à l’Île d’Elbe. A défaut de spécialités de cochonnailles elle y dégustera du rizotto au poulpe. Mais l’île est petite, et les brigands toujours présents.

Chapitre 9 : Un jeune et beau pêcheur espagnol mène Stanie aux îles Baléares. Elle y trouve une jeunesse oisive très occupée à noyer son ennui dans les plaisirs nocturnes. Les spécialités de tapas ne parviennent pas à la dépayser.

Chapitre 10 : Poussant toujours plus en avant, notre héroïne aborde les rivages de Madère. Son goût de l’exotisme, gustatif comme sensuel, commence à s’y satisfaire. Mais elle est encore bien loin du ragoût de babiroussa tant convoité.

Chapitre 11 : Au terme d’un voyage tumultueux, Stanie franchit l’Atlantique pour atteindre les Antilles. Plus de piment, dans les plats comme dans les hommes qui croisent son chemin.

Chapitre 12 : Le sorcier conduit Stanie toujours plus loin. Aux Malouines, elle se heurte à une déconcertante cuisine anglo-saxonne et à un flegme britannique glacial. Mais ce n’est rien à côté du froid qui l’attend dans les régions les plus australes.

Chapitre 13 : Echappant aux dangers de l’Antarctique, Stanie échoue sur l’île de Pâques, à la grande joie de son sorcier. Toujours pas de traces de babiroussa, cependant les statues qu’elle y admire lui font espérer en une issue favorable de sa quête.

Chapitre 14 : En passant par les Galápagos, et leur faune appétissante, mais protégée, Stanie arrive à Tahiti. Elle y jouit de multiples douceurs, aptes à charmer tous ses sens.

Chapitre 15 : Sous l’injonction du sorcier, Stanie reprend la mer. Une violente tempête la jette sur les côtes d’une île qui semble déserte. Toutefois, notre héroïne touche au but : des traces dans la boue suggèrent la présence de babiroussas.

Chapitre 16 : L’île est loin d’être aussi déserte que Stanie ne le croyait. Une tribu y vit, avec ses coutumes très particulières. Son seul contact avec le monde extérieur : un fier légionnaire qui a déserté, las des conflits de toutes sortes. Une grande fête est organisée en l’honneur de Stanie.

Chapitre 17 : Le clou de la fête, c’est la préparation du plat typique et sacré : le ragoût de babiroussa. Le sorcier qui a rejoint les siens ne se tient plus de joie. Mais la préparation du mets traditionnel réserve bien des surprises.

Chapitre 18 : Au cours du festin, Stanie commet l’irréparable, elle transgresse les lois de sa tribu d’accueil, suscitant la fureur du sorcier. Pour échapper à son sort funeste, Stanie prend la fuite dans la forêt hostile qui couvre l’île. Poursuivie par les guerriers en colère, elle est bientôt rattrapée.

Chapitre 19 : Le sort de Stanie est décidé lors d’un jugement solennel. Comme précisé, l’île est éloignée de toute terre connue, et les habitudes modernes ne s’y sont pas encore implantées. L’héroïne devra goûter au ragoût, mais pas comme elle l’avait initialement pensé.

Chapitre 20 : C’est ici que tout se dénoue. Stanie va-t-elle succomber, victime de ses errements ? Parviendra-t-elle à se surpasser et à survivre aux obstacles qui se dressent sur sa route ? Et trouvera-t-elle l’amour ?

Chapitre 1. Tourgou ou la malédiction des ancêtres.

– Par la barbiche de mes ancêtres, quelle puanteur ! grommela Tourgou. On se croirait dans le dépotoir d’une tannerie mal aérée.

Les narines du vieillard frémissaient d’indignation, agressées par les effluves nauséabonds que dégageait sa voisine. Un subtil mélange de naphtaline, d’encaustique et de champignons dans un état bien avancé, nuancé d’une senteur indéfinissable, mais apte à couper l’appétit du gargantua le plus affamé, emplissait peu à peu l’espace réduit que les deux protagonistes partageaient avec une ballerine de Bali au commerce certes bien plus agréable.

– Soyez poli, vieux bouc écorné, lui répondit sans ménagement l’intéressée. Si vous croyez que votre odeur rappelle de quelconque façon un bouquet de roses fraîchement cueillies, vous vous enfoncez le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Sans compter vos manières, que ne désavouerait pas le plus mal embouché des gnomes barbus qui hantent nos forêts.

Tourgou ne réagit pas aux persiflages de sa colocataire. Depuis le temps qu’il la fréquentait, il s’y était habitué, et prenait même un malin plaisir à susciter les réactions vigoureuses de la matrone Africaine. Les journées étaient longues, il fallait bien briser leur monotonie par quelques joutes verbales qui lui offraient l’agrément de sentir rajeunir.

Les bavardages qu’il partageait avec son autre compagne, la danseuse, étaient d’une toute autre nature. Tourgou ne désespérait pas de séduire la belle et s’essayait sans relâche à lui prodiguer les compliments les plus joliment tournés qu’il lui était possible de composer. A longueur de journée, ce n’étaient que sourires, rodomontades, assurances de sa dévotion absolue et propositions grivoises. Reconnaissons toutefois qu’en ce domaine, les talents du vieux beau s’étaient révélés jusque-là fort limités et que le succès escompté n’avait jamais été fidèle au rendez-vous. En plus de laisser la Balinaise de marbre, ces simagrées avaient le don d’exaspérer l’Africaine, rendant la cohabitation des plus mouvementées.

Encore était-il heureux qu’il ne leur eût pas fallu pourvoir à l’entretien des lieux, à la préparation de repas communs ni à la répartition de quelconques tâches qu’elles soient d’ordre ménager, professionnel ou administratif. Le petit personnel était là qui veillait au bien-être relatif des trois personnages pittoresques qu’un hasard malicieux avait réunis en ce lieu. La tâche ne se révélait d’ailleurs pas insurmontable : les trois compères étaient plus sobres que chameau de Gobi, leur statut bureaucratique avait été réglé une fois pour toutes depuis belle lurette et les opérations de nettoyage de leur lieu de vie se résumaient à quelques coups de plumeau à poussière prestement expédiés. Quant à leurs obligations professionnelles, il y avait bien longtemps qu’elles ne préoccupaient plus que la mémoire des intéressés, pour le plus grand bien, sans doute, de ceux qui y avaient un jour eu affaire.

Restaient à meubler les longues heures d’ennui s’égrenant à la vitesse des grains d’un chapelet qu’aurait égrenés une bigote bégayante. Lorsqu’il ne s’amusait pas à taquiner sa voisine de gauche, qu’il ne s’épuisait à s’amouracher de celle de droite, Tourgou passait son temps à observer les passants qu’il jaugeait de l’œil critique que seul possède un amateur éclairé de curiosités savantes. L’intérêt — très relatif — de cette occupation dépendait fortement du jour de la semaine, de la météo ambiante, de la saison. Ce matin-là, il y avait eu fort peu de passage, au grand désappointement de Tourgou. Tout au plus quelques badauds, cherchant refuge contre un brouillard humide d’arrière-saison, avaient frôlé la vitre derrière laquelle se tenaient le vieillard et ses voisines, mais sans même y prêter attention. Leur rendant la politesse, Tourgou ne leur avait pas accordé le moindre signe de courtoisie. Un grand escogriffe s’était ensuite avancé d’un pas nonchalant. Aux bizarreries de son accoutrement, composé de pantalons en velours côtelé d’un beau violet, assorti d’une chemise d’un éblouissant vert fluo, et à son appareil photographique porté négligemment en bandoulière, Tourgou avait bien pensé qu’il s’agissait d’un touriste, vraisemblablement débarqué d’outre-Atlantique. Il s’apprêtait à lui décocher son sourire le plus charmeur, pour marquer sa grande ouverture d’esprit à tout ce qui venait d’au-delà des océans, quand il s’aperçut que le visiteur ne s’intéressait qu’à la danseuse asiatique. Certes, on ne pouvait nier que ses gestes élégants, sa parure de fête et le côté mutin de ses grands yeux bordés de noir avaient tout pour attirer l’attention du mâle le moins frivole, mais c’en était malgré tout insupportable pour la patience de Tourgou déjà bien malmenée.

– Par tous les diables de l’enfer, maugréa-t-il, ne te gêne pas, bonhomme ! Pas besoin d’être un grand clerc pour comprendre ce qui t’intéresse, en voyage. On dirait un gamin affamé devant la devanture d’un pâtissier, ou pire, un coq lâché en plein poulailler… Invite-là directement dans ta chambre, tant que tu y es. Crois-tu qu’avec tes airs de grand niais, tu aies la moindre chance d’impressionner cette jouvencelle ? Et quand bien même ce serait le cas, compte sur moi pour veiller au grain.

Heureusement, l’importun n’insista pas, poursuivant son chemin au grand soulagement de l’irascible jaloux.

En fin de matinée, ce furent deux vieilles demoiselles qui firent leur apparition, lorgnons en avant. Rigidifiées dans leur corset poussiéreux, empêtrées dans des robes qui semblaient sorties de gravures de mode du siècle précédent, elles faisaient assaut de commentaires sur tout ce que touchait leur regard acéré de chouettes en chasse. Tourgou s’apprêtait à les accueillir de son regard le plus accrocheur, quand elles tombèrent en arrêt devant les attributs masculins, ma foi suffisamment bien proportionnés pour qu’il ne soit pas possible de les cacher, et qui faisaient la fierté du personnage. Poussant de hauts cris, se voilant la face de leurs mains gantées de noir, les vieilles filles battirent précipitamment en retraite, non sans avoir toutefois pris un temps suffisant pour s’assurer de la nature exacte de ce qui avait frappé leur attention.

La matinée se terminait sans autre incident notable, quand le gardien fit son apparition quotidienne. L’homme, âgé de la soixantaine, ventripotent et largement dégarni, tirait fierté de son uniforme qui lui rendait un peu d’allure et de son képi dissimulant une calvitie assez mal supportée. Pour son bonheur, le labeur dont il devait s’acquitter ne dérangeait pas trop le rythme reposant de ses journées. En plus de surveiller de rares et inoffensifs visiteurs, il se contentait de passer un plumeau avec une légèreté inégalable pour remuer quelque peu la poussière recouvrant inexorablement les pièces du musée. Il terminait ainsi sa ronde, juste avant l’heure sacrée de l’apéritif, dans le couloir précédant la sortie, qui ne recélait pour tout trésor que la vitrine où Tourgou et ses compagnes faisaient le pied de grue dans l’espoir ingénu de retenir l’œil de quelque curieux.

Le regard fatigué du gardien s’attarda sur les trois pièces dépareillées. Leurs étiquettes, à moitié effacées, précisaient vaguement leur origine, mais nullement leur histoire. Qu’importait… Les collections du musée devaient prochainement être transférées dans de nouveaux locaux, où, faute d’espaces suffisants, seuls les objets de valeur culturelle, historique ou esthétique avérée trouveraient place ; Pour les autres, ce serait au mieux le bric-à-brac des réserves, au pire la décharge. Aucune chance que le masque africain y échappe : après trois traitements vermifuges énergiques, il n’avait toujours pas été possible de le débarrasser des larves qui y prospéraient en dégageant une odeur insoutenable. La marionnette indonésienne, faite d’un assemblage de simples tiges de bambou joliment colorées servirait de poupée à la fille du gardien, pour un temps probablement très bref. Quant à la statuette, il avait déjà été impossible de déterminer sa provenance. Représentant un homme dénudé, prestement affublé du titre de sorcier, elle avait été pêchée par le skippeur d’un navire égaré en plein Océan Pacifique, loin de toute côte connue. Son séjour en mer avait eu pour effet d’altérer toute caractéristique la liant à l’une ou l’autre civilisation et c’était pur hasard si elle avait fini par atterrir sur son étagère. D’une quarantaine de centimètres de haut, tout ce qu’on y reconnaissait, en dehors de la tête et des pieds, était constitué par une protubérance dont la taille atteignait la moitié de l’ensemble et d’une nature qui ne laissait planer aucune équivoque. Seul le directeur, par distraction ou myopie, avait considéré cet appendice comme un manche de bois par lequel manipuler la figurine, sans quoi il ne se serait jamais hasardé à la proposer à la curiosité de ses concitoyens.

Signaler ce texte