Le manuscrit, cet obscur objet du délire

jean-fabien75

Quand on veut être édité, il est bon de savoir où l'on met les pieds...

Pendant très longtemps, j'ai imaginé que si seuls 3% des livres publiés étaient le fait d'écrivains inconnus envoyant leurs écrits comme une bouteille à la mer, c'était à cause d'un verrouillage du monde de l'édition, rétif à l'idée d'inviter de nouveaux invités à la grande fête de la culture littéraire, où l'on se gavait de petits fours et de champagne rosé.
J'étais moi-même passablement meurtri dans mon amour propre de voir systématiquement refusé les manuscrits que j'envoyais aux différents éditeurs de la place parisienne (bande de salauds, ils savaient pas ce qu'ils rataient).

Je suis aujourd'hui assez persuadé que c'est beaucoup plus compliqué que cela.


La sélection d'un manuscrit
Il paraît qu'un éditeur comme Gallimard reçoit un manuscrit tous les dix minutes (sauf en mai, parce qu'il y a trop de jours fériés). Je me souviens d'un écrivain publié chez Grasset me dire que son Directeur éditorial avait sur son bureau 200 manuscrits à lire de gens qu'il connaissait déjà (pas des inconnus, hein ?, des gens qu'il connaît).
Dans ces conditions, il apparaît mécaniquement impossible pour un éditeur de lire lui-même les manuscrits qu'il reçoit, à moins de passer sa vie à ça et, donc, de ne point faire son métier d'éditeur, à savoir éditer.
Ainsi, les grosses maisons d'édition font systématiquement appel à des stagiaires ou des personnes externes de bonne volonté – voire refusent de recevoir des manuscrits, à l'instar du Diable Vauvert – pour les aider à gérer le flux entrant.
Il est donc rigoureusement impossible, en tant qu'inconnu, d'être lu par un professionnel de l'édition directement lorsque l'on envoie son manuscrit par la poste. Ce n'est pas par snobisme ou préjugé, mais bien du fait d'un problème insurmontable : trop de gens souhaitent devenir écrivains, et le marché n'est pas capable d'absorber l'ensemble de cette production (sans parler de l'incapacité des lecteurs à lire tout ça).
La conséquence est assez évidente : des grilles de lecture standard sont appliquées afin de noter les textes de manière plus ou moins objective et il est assez rare que l'on dépasse la 10ème page si le début du livre n'a pas convaincu le stagiaire ou la bonne âme beta lectrice.
Ainsi, 95% des manuscrits sont préalablement écartés pour des raisons diverses ou variées, mais souvent les même (intérêt de l'histoire, style, orthographe, etc.), sachant que l'on parle, en général, uniquement du début du roman. Il y a tant à lire qu'il serait dommage de perdre son temps à dépasser la 50ème page d'un roman dont les 49 premières ne nous ont pas convaincu (on a qu'une vie).

C'est donc un fait : lorsque le nombre de manuscrits devient trop important, il est tentant d'en écarter un max sur des critères aussi qu'objectifs qu'injustes du point de vue de l'auteur. Un exemple au hasard : les fameuses fautes d'orthographe.
Je me souviens avoir eu plusieurs discussions avec des auteurs sur ce sujet, car ils ne comprenaient pas que l'on écarte des écrits non encore édités (donc perfectibles dans leur tête) sur la base de choses aussi futiles que quelques fautes d'orthographe. Le problème est que la faute d'orthographe (à l'instar des clichés ou de trop nombreuses répétitions) est la preuve ultime qu'un manuscrit n'a pas été relu. Or, comme on le verra par la suite, un manuscrit non relu par une personne extérieure – la maman de l'auteur est donc exclue – est dans 100% des cas sans intérêt.


La réalité objective
Il se trouve que je lis énormément de manuscrits reçus par ma maison d'édition Paul&Mike (à une époque, je m'étais pris de tous les lire, jeune fou que j'étais), j'ai donc une vision, certes partielle mais basée sur un nombre conséquent d'embryons de romans, de la production moyenne des gens souhaitant être édités à compte d'éditeur chez un éditeur indépendant et de taille modeste.
La conclusion est malheureusement assez terrible : sur les plus de 200 manuscrits reçus par mail pendant une période de 18 mois (où les manuscrits étaient tous étudiés), seul un manuscrit a retenu notre attention (et au final, cette personne n'a pas été éditée, car c'était un recueil de nouvelles et certaines nouvelles n'étaient pas assez travaillées à notre goût). Ainsi, l'intégralité des livres publiés ont été reçus par d'autres moyens – personnes rencontrées lors de salon, introduites par un auteur de confiance, recommandation, etc.
Ce dont souffre, à mon sens, la majorité des livres que j'ai essayé de lire, c'est l'absence de style (quasiment l'intégralité des manuscrits sus cités en étaient totalement dépourvus) et le manque d'intérêt (défaut assez récurrent). Dans les défauts classiques viennent ensuite les manuscrits illisibles (orthographe hasardeuse, grammaire folklorique, etc.), sans oublier les inoubliables romans érotico-foireux (oui, « 50 nuances de Grey » c'est nul, mais le créneau est déjà pris).
Ce que l'on ressent à la lecture de la plupart des manuscrits – en plus d'un certain ennui – c'est la gêne. Je vais pas me faire des amis, mais soyons honnête, c'est souvent assez gênant de lire quelque chose qui a dû prendre du temps à l'auteur et où l'on se dit « mais mon Dieu, où veut-il en venir ? Quel est l'intérêt de raconter ça sur 300 pages ? ».
Je crois que le plus gênant est lorsque l'auteur disperse des clichés dans ses pages comme autant de preuves qu'il s'agit effectivement d'un livre (ben oui, si j'écris « la sueur froide me dégoulina dans le dos », ça fait peur, hein ? Et puis, ça fait polar, non ?). Je suis désolé cependant de dire que dès que je lis « mes poils se hérissent » ou autre poncif, j'ai juste envie de passer le manuscrit par la fenêtre. Où est l'originalité ? Où sont les mots – les vrais – de l'auteur ?
Et dans les 5% de manuscrits qui surnagent dans tout ça (qui sont correctement écrits, de manière personnelle, et où l'on est suffisamment intéressé à la lecture pour aller au bout), aucun coup de cœur ne s'est manifesté. Il manquait toujours un petit quelque chose, soit c'était trop classique, trop sage, trop déjà lu, etc.


Comment faire pour réconcilier éditeurs et auteurs
Alors, comment faire, me direz-vous pour réconcilier auteurs et éditeurs ?
Dans un premier temps, je pense qu'il est nécessaire pour les auteurs (j'en fais partie) de faire relire son manuscrit par des tierces personnes avant de l'envoyer à un professionnel.
Je suis toujours sidéré de lire des statuts Facebook d'auteurs annonçant fièrement « j'ai encore écrit 2 chapitres aujourd'hui, je suis bientôt au bout ». Mais au bout de quoi ? Le 1er jet d'un roman n'est que le début des emmerdes. Ce n'est jamais bon à ce stade mais bizarrement quasiment 100% des auteurs en sont satisfaits, cherchez l'erreur.
Le fait de faire relire permet de prendre du recul sur son texte et permet surtout d'en pointer les défauts. Lorsque l'on passe 6 mois ou un an à écrire un livre, on est tellement immergé dedans que l'on en détecte plus les carences.
Même Houellebecq possède un directeur d'ouvrage chez Flammarion qui l'aide à améliorer ses écrits, il serait assez étonnant que l'auteur inconnu n'en ait pas besoin.

Ensuite, il est nécessaire à mon sens de se poser la question de savoir comment on raconte l'histoire : la mise en scène, puis le style. Souvent, l'apprenti auteur pense qu'un événement magique se passe dès lors qu'il a inscrit le mot fin sur la dernière page, cet événement magique transformant son « œuvre » en livre. Eh ben en fait, non les gars. Je pense que cela se saurait sinon. Si l'on raconte juste une histoire sans se demander comment on va la raconter, il est assez probable que cela n'aura aucun intérêt (peu importe l'histoire).

Enfin, quand on lit plusieurs manuscrits par semaine, on est assez vite lassé visuellement parlant, bien avant de parler de l'histoire, il est donc important que le rendu soit neutre. Oubliez les polices exotiques, les mises en page foireuses, etc. J'ai tout expliqué ici :
http://bit.ly/1dgVqso

Voilà, je crois qu'on a tout dit, c'était l'article pour se faire des amis chez les auteurs.

Et pourtant, les gars, croyez-moi ou pas, mais connaître les principales raisons pour lesquelles on échoue est souvent une première étape nécessaire sur le chemin de la réussite. Rappelez-vous qu'on est jamais à l'abri d'un succès.
Jamais !

  • Hyper intéressant à lire !

    Par contre, je ne savais pas que des personnes lambda pouvaient demander à lire des manuscrits. çà me dirait bien !! Je vais me renseigner..

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Imga0154p

    eaurelie

    • Si vous êtes intéressée par le fait de lire des manuscrits, vous pouvez m'écrire à fabien@paulemike.com

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Jean fabien2

      jean-fabien75

  • Très bon article… convaincant. je connais quelques personnes de mon entourage qui…

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • transmettez, transmettez :-)

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Jean fabien2

      jean-fabien75

  • Bonjour, je voulais t'envoyer un message privé mais je vois que tu n'es pas abonné à moi!!! C'est quoi que ça veut dire ça? Que t'as jamais lu du Lyselotte??? Grosse lacune ! très grosse lacune (enfin je trouve).

    · Il y a plus de 9 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

Signaler ce texte