Le marchand d'odeur
icescape
Hier, je suis allé faire un tour chez le marchand d’odeur. J’ai emmené avec moi un ami qui n’y était jamais allé. Et chose plus incroyable encore, il ne savait même pas que cela existait. C’est vrai qu’elle ne paie pas de mine la boutique du marchand d’odeur. Elle est discrète avec sa petite devanture en bois peinte en grise. Au dessus de la porte, en lettres fanées, il y a juste écrit : «Marchand d’odeur depuis 1882». On la remarque à peine car elle est coincée entre deux magasins qui attirent tous les regards grâce à leurs vitrines surchargées jusqu'à l’écœurement. D’un coté il y a une grande librairie qui Fait la Nique Aux Convenances en étalant des montagnes d’exemplaires de livres à la mode. Comme celui qui, sous les OriPeaux terriblement markettés d’une couverture attractive, raconte les aventure d’un petit sorcier gentil et scarifié qui lutte avec innocence contre le mal. Ou comme celui qui explique comment une petite secte essaie de cacher que sa figure emblématique, archétype du voyageur de commerce modèle et émérite, s’est fourvoyé dans le stupre et la fornication. Sur une longueur De Vingt-six Coudes au moins, les couvertures vives s’étalent derrière la vitrine. Et de l’autre coté de chez le marchand d’odeurs, il y a la boutique aux couleurs criardes d’un maître tailleur qui vend au kilomètre des vêtements à la mode et qui, par ses prix Hachés, éMeu les victimes de la mode. Entre ces deux géants qui attirent l’œil le petit marchand d’odeur passe inaperçu, ainsi, mon ami à été très étonné quand je l’ai entraîné la bas.
Dès que l’on pousse la porte une légère odeur de bienvenue se répand dans la pièce pour accueillir les clients et indiquer au marchand, occupé dans l’arrière boutique, que quelqu’un vient d’entrer. Qu’est ce qu’une odeur de bienvenue ? Ce n’est rien de définissable avec des mots. C’est une vague senteur qui varie selon chacun et qui est propre à la représentation olfactive que l’on se fait du concept d’arrivée, selon son vécu. Pour les uns ce sera peut être le mélange d’émanations de locomotives surchauffées et de sueur de gens pressé que l’on trouve en descendant d’un train, dans une gare ; pour les autres ce pourra être le fumet d’une tarte aux pommes qui finit de dorer dans le four et qui chatouille les narines lorsque l’on arrive chez des amis pour dîner. Peu importe, cela rappelle toujours une arrivée.
Une fois entrés dans la boutique, on est toujours saisi par la vue des imposantes étagères en bois qui garnissent tous les murs et sur lesquels s’alignent des centaines de bocaux transparents. Sur chacun d’eux, il y a une petite étiquette qui en décrit le contenu de quelques mots manuscrits. Tandis que mon ami, fasciné, faisait courir ses yeux du sol au plafond pour embrasser l’incroyable collection de pots, un petit homme surgit du fond du magasin.
« Bonjour messieurs, nous lança-t-il jovialement. Comment vous sentez vous aujourd’hui ? rajouta-t-il en me reconnaissant.
- Ma foi, plutôt bien. Répondis-je flatté qu’il m’ait reconnu comme étant un fidèle client.
- Parfait, parfait. Je suis content de vous voir à nouveau ici. C’est un honneur de constater que vous appréciez ma modeste échoppe. Vous avez eu le nez creux de venir aujourd’hui, je viens de recevoir pleins de nouveautés. Vous m’en direz des nouvelles. Est ce que vous recherchez quelque chose de précis ? Etes vous venu me voir avec une idée en nez ou juste pour flâner ?
- Non, rien de précis. En fait je voulais faire découvrir votre boutique à un ami, dis-je en désignant mon compère.
- Très bien, très bien. Dans ce cas la je vous laisse nezambuler à votre guise. Si vous avez besoin de moi, je suis juste derrière, dit-il en désignant l’arrière boutique. J’ai une livraison à mettre en bocaux. »
Il jubilait d’un air enfantin et rajouta sur le ton de la confidence : « Il y a le vieux marquis de Tourneuil qui m’a commandé tout un stock d’essence de romantisme. Je mettrai mon nez à couper qu’il s‘est amouraché d’une nouvelle petite brebis et qu’il veuille la séduire en mettant toutes les chances de son coté ». Il me fit un petit clin d’œil de complicité et je ne pus m’empêcher de sourire à sa candeur.
Il s’éloigna en trottinant, flottant dans sa blouse grise trop grande pour lui. Avant de disparaître par la porte du fond il se retourna et me lança : « Et si vous voulez essayer certaines odeurs n’hésitez pas à vous servir des robinez-testeurs qui sont sur le comptoir. Vous savez comment ça marche, je vous laisse faire comme un grand. Vous n’êtes plus un nez-ophyte »
Lorsque je me retournai vers mon ami, je constatai qu’il promenai ses doigts sur les étiquettes des récipients qui l’entourait. L’air émerveillé il répétait à voix basse : « c’est incroyable, je ne pensais pas que ça pouvait exister, c’est incroyable… ».
Et il n’avait encore rien vu. Nous passâmes un grand moment à flâner le long des rayonnages en déchiffrant au hasard les inscriptions calligraphiées: «Odeur d’herbe mouillé par la rosée d’un matin de printemps/ Toscane (1996)», «Odeur de croissant au beurre le dimanche matin/ Paris (1959)», «Odeur de sainteté/ Rome (2005)», «Parfum d’iode et embruns de la manche/ Cancale-Bretagne (1984)». Toutes les exhalaisons possibles et imaginables s’alignaient la, invisibles, emprisonnées dans les réceptacles transparents.
« J’ai vraiment du mal à croire que toutes ces odeurs sont enfermés dans ces pots, s’exclama mon ami, septique. Ils ont l’air vides». Sans un mot, je me dirigeai alors vers le comptoir sur lequel était posé un petit panier rempli de robinez-testeurs. J’en saisi deux et retournai près de cet indécrottable incrédule. Je lui montrai comment utiliser le petit objet. C’était une sorte de petit robinet dont un bout était munie d’une valve et l’autre bout s’évasait en un petit entonnoir. Je vissais la valve sur un bocal au hasard, sur le petit joint discret qui en ornait la base. J’actionnai la petit bouton et lui dit de s’approcher pour respirer. Dans un léger chuintement un échantillon de ce qui se trouvait dans le pot se rependit dans l’air et il inspirât à poumons déployés. Sur le bocal était inscrit : « essence de nostalgie ». Mon ami fronça les sourcils en me disant :
- Ca sent la crème solaire. Et puis aussi, je crois, la barba papa… Ho, et il y a une petite odeur de chaud comme… comme une odeur d’appareils électriques en surchauffe.
Soudain, ses traits se détendirent et son visage se fendit d’un grand sourire.
- Ca me rappelle mes vacances à la mer quand j’étais plus jeune. Des souvenirs géniaux. Ces odeurs me font penser aux moments ou je rejoignais mes copains de vacances, le soir après la plage. On allait traîner en ville dans la salle de jeu vidéo. On passait des heures à jouer à des « shoot them all » en se gavant de bonbons, de crêpes et de barba papa. Mes meilleurs souvenirs de vacances d’enfant. J’avais presque oublié tout ça.
Il se pencha de nouveau pour aspirer une autre bouffée d’essence de nostalgie. Je savais que moi j’aurai senti tout à fait autre chose ce qui m’aurait sans doute transporté dans un temps lointain de ma vie. Faisant ressurgir d’autre souvenir heureux qui m’étaient propres.
Nous passâmes un moment à errer de fragrance en exhalaisons diverses au fil des bocaux en verres qui s’alignaient tout autour de nous. Après quelques essais dans une série de pots qui nous délivrèrent des remugles à nous retrousser le nez de hauts le cœur, nous abandonnâmes ce rayon qui semblait être celui des odeurs repoussantes et fâcheuses, en ricanant comme des gamins de ces mauvaises effluves qui portaient des noms pourtant assez évocateurs et qui auraient dus nous alerter et nous dissuader de les essayer : «Haleine de phoque/ Banquise arctique expédition scientifique- (1952)» ou «Argent sale/ Suisse-Bank compte 14327666 (2005)». Nous préférâmes errer un moment dans la partie consacrée aux arôme rares ou disparus, comme celui qui portait la mention : «Air pur/ ère pré-industrielle» ou cet autre : «Odeur disparue d’un 107 éme étage/ World trade center J-1 (10/09/2001)».
Le souffle court et la sueur lui perlant aux tempes blanchies, le petit boutiquier revint de la réserve et nous trouva dans les vapeurs de «air de petits bonheur simple/ New-York, salon des Watford 16h. Heure ou Watford junior (8 ans) retrouve quelques piécettes tombées sous les coussins du canapé familial (1979)» dont nous avions un peu abusés et dont la douce senteur nous enveloppait et nous renvoyait à nos propres petits bonheurs trop négligés.
- Voilà, dit-il. C’est chose faite. J’ai terminé d’empaqueter la commande du marquis. Maudis marquis qui me commande de telles quantités d’odeurs que la grosseur et la lourdeur des récipients requis pour les contenir me font douloureusement me rendre à l’évidence que les forces et la vigueur qui m’animent ne sont plus celles de mes vingt ans.
Il sortit de sa poche un mouchoir pour s’éponger le front et reprit:
- Mais je vitupère. Je vitupère et j’en oublie tous mes devoirs d’hôte et de commerçant. Alors mes amis, avez vous trouvé votre bonhair dans mes modeste rayons ?
- Modeste, modeste ! dis-je avec animation. C’est vous qui jouez de fausse modestie mon ami. Vous cherchez, en disant cela, à nous tirez le compliment qui démentira ce terme qui ne peux en rien qualifier l’étonnante et foisonnante collection que vous nous offrez la.
- Souffrez, messieurs, que j’use de quelques pendables artifices de langage pour vous entendre me complimenter sur mon travail et l’ardeur que j’y mets pour proposer à mes clients le meilleur et le plus large des choix.
- Sachez bien que vous n’avez point besoin de provoquer les compliment pour vous les attirer. Ils ne peuvent que naturellement venir aux lèvres de quiconque franchit le seuil de votre boutique.
- J’en suis fort aise et cela me ravit le cœur de vous entendre dire ces mots qui à eux seuls justifient ma peine.
Mon ami assistait avec amusement à cette petite joute verbale. Je lui avais en effet raconté que j’aimais entrer dans le jeu du vieux bonhomme et user comme lui de tournures de langages venus d’un autre temps que l’utilisation du SMS et autre e-mail n’avaient pas encore raccourci, appauvri et vidé de ses interminables et jubilatoires circonvolutions.
- Allons donc, reprit le boutiquier, fis de ces congratulations flatteuses. Avez-vous senti quelque chose qui vous donnerai envie de délier vos bourses pour acquérir quelques petits flacons ?
- Je vous reconnais bien la, dis-je avec un petit sourire. Tout beau flatteur que vous êtes, vous n’en perdez pas le sens des affaires.
- On ne se refait pas. Ame bien nez, ne varie jamais.
C’est donc avec plaisir que nous fîmes quelques menues emplettes dans le magasin. Mon ami se contenta d’acheter un peu d’essence de nostalgie car il avait aimé se sentir replongé dans ses jeunes années et il souhaitait réitérer l’expérience tranquillement chez lui. Quant à moi, je me fis plaisir en prenant un peu de fumet de plénitude que je respirerai le matin, au lever, pour pallier au petit coup de mou que je ressentais en ce moment. Ce remontant du matin ne pourrai pas me faire de mal en cette période ou je n’étais pas très en forme et un peu cafardeux. Rien de tel qu'un petit sentiment de plénitude pour attaquer une journée sous les meilleurs auspices. Tandis que l’aimable et attachant petit marchand était affairé à remplir des sacs de nos achats, mon ami eut l’œil attiré par un rideau rouge qui dissimulait un pan de rayonnage. Intrigué, il s’enquis auprès du vieil homme de ce qu’il cachait. Avec un sourire espiègle il lui répondit sur le ton de la confidence que le rideau masquait le rayon des odeurs interdites aux mineurs.
- Vous trouverez derrière cette tenture toutes les odeurs qui ont le pouvoir d’émoustiller les sens. Je suis obligé de les dissimuler un peu pour ne pas choquer les plus jeunes et effaroucher les âmes bien prudes qui ne sauraient apprécier à leur juste valeur ces affriolantes émanations. Ils les estampilleraient injustement comme étant immorales et tomberaient derechef sous leur vindicte puritaine. Mais revenez me rendre visite, et je me promet de vous laissez en nez à nez un moment avec ces effluves qui ne manqueront pas de vous mettre en émoi. Et sur cette alléchante proposition, il fit un clin d‘œil à mon ami qui lui promit de revenir très bientôt.
Au dernier moment, je demandais à acheter aussi une dizaine de bouffées d’essence de l’humour.
- C’est pour offrir, dis-je. J’ai un dîner demain soir chez des amis, et je n’aime pas arriver les mains vides. Connaissant mes hôtes, je suis sur que cela leur fera plaisir et les fera rire.
- C’est pour offrir ? Permettez moi donc de vous l’emballer, dit le vieil homme en vidant le contenu invisible d’un bocal dans un paquet en carton décoré d’un ruban. A vue de nez, je vous en ai versé un peu plus : Dix bouffées et demi. Je vous le laisse quand même ?
- Oui, répondis-je. Ne vous en faites pas. Ce sera très bien comme ça.
Munis de nos paquets, nous remerciâmes chaleureusement le petit homme pour son accueil et nous prîmes congés. Sur le trottoir, devant la boutique, mon ami se retourna et regarda longuement la petite façade discrète.
- Je n’en reviens pas. Jamais je n’aurai cru que cela pût exister. C’est un endroit extraordinaire, hors du temps et qui dépasse l’imagination.
- Oui, répondis-je, qui dépasse l’imagination.
On parle de moi ? (cf, "la cerise sur le gateau" de sistaj)
· Il y a environ 14 ans ·cerise-david
C'est un régal de te lire! Mais rageant de constater qu'il manque des phrases à la fin de certaines pages. Cela n'influence en rien le sens de la nouvelle mais j'avoue que prise dans la lecture je m'étonne dêtre agacée par ces mots effacés. C'est comme si quelqu'un m'avait chipé la cerise sur le gâteau.
· Il y a plus de 14 ans ·sistaj
Je suis d'accord avec Cerise. Parler parfum, c'est évocateur de Süskind mais... entre tes lignes, on se laisse quand même transporter. Quelle élégance ! Charmant récit. Bravo.
· Il y a plus de 14 ans ·bibine-poivron
Superbe récit qui me rappelle le Parfum mais qui se laisse lire avec beaucoup plus de délicatesse... pas d'assassin dans ce pays aux mille odeurs et ce n'est que mieux !
· Il y a plus de 14 ans ·cerise-david