Le Monde de la Dame -06- Eruption

Ver Du

Où l'on découvre ce qu'il advient du comte Van Dyck... et des autres.

La découverte

 

En cette matinée froide et humide, Luc et Jane faisaient la queue en attendant l'ouverture du guichet des catacombes. Jane était boudeuse, elle aurait préféré rester sous la couette en compagnie de son amoureux, mais celui-ci lui avait fait miroiter une visite avec une guide "extraordinaire" qui savait comment captiver l'attention des visiteurs. De plus, elle n'était pas parisienne alors c'était aussi pour elle l'occasion de visiter un nouvel endroit de cette ville magique qu'elle commençait seulement à découvrir. Malgré l'heure matinale de ce dimanche, la place Denfert-Rochereau commençait à s'animer et la file d'attente s'allongeait derrière eux. Certaines personnes trépignaient d'impatience en raison du léger retard de l'ouverture du guichet. Il était vrai qu'ils auraient été mieux à l'intérieur au sec. Ce léger crachin devenait désagréable. Devant eux, un petit garçon s'amusait à faire des grimaces à Jane qui lui répondait avec le même entrain. Cela lui permettait de passer le temps tandis que Luc feuilletait le prospectus publicitaire et la copie d'un plan qu'un de ses amis, fan des catacombes, lui avait donnés.

—      Que regardes-tu avec autant d'attention ?

—      Thibault m'a donné un plan clandestin et si on arrive à rester en arrière du groupe puis à s'éclipser discrètement, il paraît qu'il y a une salle mystérieuse à voir à quelques minutes de marche du parcours officiel.

—      Tu es fou ! Si on se perd ou si on se fait prendre ?

—      Avec cette carte et la boussole pas de risques de se perdre ! As-tu oublié que j'ai été scout ! Lui dit-il avec un clin d'œil. Et si on se fait prendre, on dira que l'on s'est perdu !

—      Bon d'accord ! Répondit Jane avec un sourire maladroit, mais en se disant que cela pimenterait peut-être cette matinée.

—      D'après le plan, il y a une sortie discrète pas loin de l'appartement, donc nous n'aurons même pas besoin de courir pour rattraper le groupe.

—      Décidément, tu avais calculé ton coup toi ! Rétorqua-t-elle un peu en colère. Tu aurais pu m'en parler avant !

—      Si je te l'avais dit, tu aurais refusé, tu es tellement frileuse quand il s'agit de faire des écarts avec les règles.

—      Et si je te plantais là ?

—      Je sais que tu ne le feras pas, j'ai vu ton œil briller quand j'ai prononcé le mot "mystérieuse".

Elle lui sourit, vexée de se savoir si transparente. La file commença à avancer et les premiers visiteurs se regroupaient autour de la guide qui allait les accompagner lors de leur descente dans les entrailles de la ville.

—      Souvenez-vous de ne pas vous éloigner du groupe et de rester sur le chemin balisé, certains aventureux trop curieux se sont perdus et ont parfois erré dans les souterrains pendant plusieurs jours avant d'être retrouvés par la Police ou les égoutiers…

Un "Oui !" général ponctua cette phrase de la guide qui précéda le groupe dans le tunnel qui s'ouvrait devant eux. Au moment où l'un des employés allait refermer la porte sur le dernier, un homme vêtu d'un imperméable et d'une casquette en feutre noir se glissa parmi eux, essoufflé.

Tandis que la visite progressait et qu'ils découvraient les secrets et légendes des souterrains parisiens, Luc chuchota à son amie de se tenir prête à ralentir, car ils allaient arriver à l'embranchement indiqué sur la carte. C'était justement le moment que le gamin avec lequel elle avait joué dans la file d'attente choisit pour s'attarder avec eux.

—      Romuald ! Viens ici ! Appela sa mère en fronçant les sourcils.

Luc soupira de soulagement. Il fit semblant de se tordre la cheville pour ralentir. Rapidement, la distance entre eux et les autres visiteurs augmenta. Luc murmura à Jane, c'est ici ! Ils ignoraient qu'à partir de cet instant leur petite vie tranquille allait prendre une toute autre tournure.

Ils progressaient lentement à tâtons dans l'obscurité des couloirs humides. Luc attendit qu'ils eussent franchi plusieurs angles avant d'allumer la petite lampe qu'il avait pris soin de prendre.

—      Si le plan de Thibault est juste, normalement après le troisième embranchement à gauche, nous devrions tomber sur une grille qui n'est pas fermée. Elle nous permettra de descendre d'une dizaine de mètres grâce à une échelle métallique et nous serons dans une ancienne galerie de mine de calcaire. Nous devrions trouver sur une paroi une rose des vents qui nous indiquera le chemin.

—      Si la carte est juste ! Et si elle ne l'est pas ? Ou si on ne trouve pas la rose ?

—      Il m'a dit de continuer tout droit vers le sud et nous atteindrons une bouche d'aération du métro qui nous permettra de sortir pas loin d'Alésia.

Ils trouvèrent la grille et Luc posa prudemment le pied sur les barreaux qui permettaient de descendre par l'étroit boyau. Arrivé en bas, il appela doucement sa compagne qui d'un pied moins bien assuré, descendit un peu anxieuse en se demandant à chaque fois si rien n'allait céder sous son poids. Elle serra fortement son ami quand elle le rejoignit.

—      C'est par là ! Regarde la rose ! lui dit-il en la précédant.

Il avait l'œil rivé sur sa boussole dans ce dédale souterrain. Tout à leur câlin, ils n'avaient pas remarqué le faisceau lumineux qui venait de parcourir le puits par lequel ils étaient passés. Après plusieurs intersections, changements de direction et d'autres escaliers qui les faisaient s'enfoncer de plus en plus profondément dans le sous-sol parisien, Luc s'arrêta et commença à compter ses pas au pied d'une volée de marches.

—      Ce doit être cette porte ! S'exclama-t-il.

Avec prudence, ils poussèrent le vieux battant de bois qui grinça dans l'obscurité.

—      Whaouh !!! s'écria Jane en découvrant une magnifique fresque sur le mur opposé.

Ils la contemplèrent en s'attardant lentement sur certains détails.

—      On dirait une fresque médiévale qui raconte une histoire un peu comme la tapisserie de Bayeux.

Jane sortit son téléphone et filma longuement la peinture en suivant le lent balayage de Luc avec la torche.

—      C'est magnifique ! Merci de m'avoir fait sortir du lit ! Je suis certaine que cela raconte une histoire.

Elle se retourna et embrassa son amoureux. Ils restèrent quelques minutes ainsi enlacés.

—      Nous allons devoir y aller, car la guide a dû se rendre compte de notre disparition et si on ne veut pas se faire choper, il faut que l'on sorte rapidement. D'après la carte, on est à moins de cent mètres d'une sortie dans un parking souterrain près de Montparnasse.

—      OK ! Je te suis. J'ai totalement confiance en toi, tu le sais, tu es le meilleur pour les jeux de piste et les courses d'orientation ! lui dit-elle avec un dernier baiser.

Au moment de franchir la porte, Jane remarqua dans la paroi de la salle une sorte de vieux coffre de bois entouré de sangle de cuir.

—      Qu'est-ce ?

—      Je ne sais pas ! Thibault m'avait juste parlé de la fresque, pas d'objets.

Luc s'approcha, et il put constater que le revêtement s'était effondré peu de temps auparavant.

—      Ce coffre a dû être caché ici dans cette niche il y a longtemps et l'humidité de la salle a eu raison de la solidité de l'enduit qui le masquait.

—      Prenons-le et nous verrons ce qu'il contient à la maison.

—      —Tu es sûre ? On devrait plutôt le confier à des professionnels qui sauraient comment l'ouvrir sans détériorer ce qu'il y a l'intérieur…

—      On l'ouvre et en fonction de ce qu'on trouve on avisera…

—      Bon OK ! Mais il faut filer.

Jane prit le coffre sous le bras et suivit Luc dans le dédale de couloirs pour remonter à la surface. Après quelques mètres, ils entendirent une exclamation derrière eux.

—      Sales petits voleurs… Je vous retrouverais…

Pris de panique, ils sentirent leur fréquence cardiaque s'affoler, ils se mirent alors à courir et débouchèrent enfin sur la porte métallique du parking dont le cadenas avait été forcé de longue date.

Ils reprirent leur souffle avant de sortir du parking et se perdirent dans la foule des voyageurs. Afin d'être discrète, Jane alla acheter des revues dans une des nombreuses boutiques de la gare et demanda un sac afin d'y glisser le coffre.

Quelques stations de métro plus tard, ils s'affalèrent dans leur canapé, encore choqués par la voix menaçante qui paraissait être sortie d'outre-tombe.

—      Crois-tu que ces mots nous étaient adressés ?

—      A qui d'autres ? Nous étions seuls dans ces souterrains !

—      Mais pourquoi "voleurs" ?

—      Peut-être à cause du coffre que tu as pris ?

—      Personne ne savait qu'il était là d'après ce que tu m'as dit…

—      Oui c'est bizarre !

—      Ça m'a fait un peu peur…

—      Oui ! À moi aussi ! Mais cela m'a donné envie d'en savoir plus sur le contenu de ce coffret. Mais je suis épuisé, nous avons notre compte d'émotion pour aujourd'hui. J'appellerai Thibault demain, il bosse dans un labo qui étudie les artéfacts antiques, il saura sûrement nous expliquer.

—      Oui ! Tu as raison.

—      En attendant, range-le dans le placard de l'entrée...

Jane déposa le coffret au fond du placard, derrière des sacs puis ils passèrent la fin de leur journée à visionner des séries américaines en grignotant sur le canapé. Leur escapade souterraine avait duré bien plus longtemps qu'ils ne l'avaient prévue et ils s'endormirent enlacés sur le divan, l'écran toujours allumé.


 

Ouverture

 

—      Bonsoir chérie ! J'ai eu Thibault, il est en mission dans le sud ! dit Luc en rentrant dans l'appartement.

—      Et alors que dit-il ?

—      Il m'a dit de prendre des photos du coffret et de les lui envoyer. Il regardera et nous dira que faire.

—      OK, je vais les faire…

—      Il est sur une mission où ils auraient fait une découverte étrange. Il est très occupé dans la journée, mais il prendra du temps ce soir pour examiner les images que tu lui auras envoyées.

—      Bien ! Répondit-elle en finissant de se sécher les cheveux.

—      Mon amour ! Tu sais que nous avons une soirée costumée ce soir. Tu as pensé à ton costume ?

—      Oui bien sûr ! J'ai un faible pour le comte Dracula et toi ?

—      Moi ! J'ai trouvé un costume de Diane chasseresse…

—      Deux immortels ! Sourit-il en l'embrassant.

—      Prépare-toi, il nous reste peu de temps, surtout si on veut envoyer les photos à Thibault.

—      Fais les photos pendant que je me prépare. Tu les feras mieux que moi.

—      Ok !

Pendant que Luc prenait sa douche et enfilait son costume de dandy vampire, Jane photographia le coffret sous tous les angles possibles. Aussitôt les clichés envoyés, ils se rendirent à leur soirée costumée.

—      J'espère qu'à notre retour Thibault aura eu le temps d'examiner les photos. J'ai remarqué une inscription en grec sur le coffre autour de la serrure.

—      Ne t'inquiète pas, il saura la traduire. C'est un peu son domaine.

—      Je sais. Tiens ! Regarde ! Élisa et Joss sont là aussi, au moins on ne va pas s'ennuyer.

Les deux jeunes gens entrèrent avec leurs amis dans l'appartement d'où s'échappait de la musique et des rires et ne pensèrent plus au coffre. Ils ne remarquèrent pas l'ombre dissimulée à côté d'un arbre non loin de l'entrée de l'immeuble dans lequel ils venaient d'entrer.

Quelques heures plus tard, ils étaient de retour dans leur appartement avec un message de Thibault. En entrant dans l'ascenseur, ils le partagèrent avec un homme à pardessus beige, dont les pans du col remonté masquaient le visage et qui montait au dernier étage.

—      Un peu bizarre ce type ! murmura Jane en sortant.

—      Oui ! Sûrement un nouveau locataire, je ne l'avais encore jamais croisé.

Ils allumèrent leur ordinateur et découvrirent le message.

"D'après les photos et les remarques de Laurence, le coffre à l'air d'être un coffre de la fin du moyen-âge ou d'être une copie d'un coffre de cette période. Quant à l'inscription en caractères grecs, c'est en fait une phrase latine écrite avec des lettres grecques : "Hicestlapisintroitusinviamsapientiae". Ce qui je pense veut dire : "Cette pierre est l'entrée du chemin de la sagesse". Mais c'est un latin un peu bizarre. Ouvrez le coffre avec précaution pour ne pas casser la serrure, mais au vu du latin utilisé, je pense que c'est une copie récente, en plus le bois n'a pas l'air très abîmé. Donc vous ne risquez pas d'endommager un trésor archéologique…

C'est sûrement une boîte de géocaching, il m'arrive d'en faire parfois. Ouvrez là et ensuite allez la remettre pour les autres joueurs. Mais ne vous faites pas prendre, passer plutôt par là où vous êtes sortis..."

—      Alors on l'ouvre ? s'enquit Jane.

—      Ben, d'après Thibault, il ne contient rien de précieux alors, allons-y !

Avec précaution, Jane fit glisser le verrou métallique un peu rouillé et entrouvrit le coffre. Une lueur bleue s'en échappait. Surprise, elle referma le coffre.

—      Qu'est-ce que c'est ?

—      Sûrement une sorte de diode fluorescente… Ne t'inquiète pas, ouvre-le.

Ils découvrirent alors, un parchemin maintenu enroulé par une lanière de cuir ainsi qu'une petite pierre bleue, mais dont la lueur avait disparu.

—      Regarde ! dit Luc en riant, la lumière bleue que tu as vue c'était juste la diode de ton téléphone pour te dire que tu avais reçu un message.

—      On regarde ce document ?

Luc dénoua avec précaution la lanière et ils virent encore une fois des lettres grecques.

—      Décidément, ces géocacheurs ne nous facilitent pas la tâche, mais je suis en train de me prendre au jeu. Si c'est comme pour l'inscription sur le coffre, il suffit de remplacer les caractères grecs par nos lettres et on devrait y arriver.

—      Et si c'est du latin ?

—      Les traducteurs informatiques sont là pour nous aider non ? Et si je me souviens bien, tu avais fait du latin au lycée…

—     Ne te fous pas de moi !

—      Je n'oserai jamais me moquer de toi, dit Luc en embrassant son amie.

—      Voyons ce que dit ce texte alors !

Pendant que Jane lui donnait les lettres, Luc écrivait le texte sur l'ordinateur. Plus il tapait et plus la traduction donnée par le traducteur, leur semblait étrange.

"Près du lieu où César fut vaincu
Entre le profond lac et le château
Au fond de la grotte
La porte de l'éternelle jeunesse
La pierre ouvrira."

—      Tu y comprends quelque chose ?

—      Non, mais ça me donne envie d'en savoir plus.

—      Je crois que nous allons devoir faire un voyage en Auvergne, tu n'as pas de la famille vers Clermont ?

—      Si, un vieil oncle excentrique, mais cela fait des années que je ne l'ai pas vu.

—      Bah ! Cela nous donnera l'occasion de lui rendre visite. Je scanne le parchemin, et demain tu iras remettre le coffre en place.

Ils remirent ensuite le coffre dans le placard et allèrent se coucher. La pierre qu'ils avaient laissée sur la table basse du salon à côté de la collection de galets que Jane ramenait chaque année de leur escapade de bord de mer ne semblait pas différente des autres.

Au milieu de la nuit, Luc ouvrit les yeux, un bruit étrange semblait parvenir de l'entrée. Il prêta une oreille attentive et il entendit des pas feutrés dans le salon. Il ne voulait pas affoler Jane et se leva en silence dans l'obscurité. Il entrouvrit la porte et vis alors une ombre se pencher sur la table basse. Il se jeta sur l'homme qui venait de ramasser une pierre, mais celui-ci vif et souple comme un chat esquiva le jeune homme. Il attrapa le coffret et sortit en courant de l'appartement. Au même instant, Jane à moitié endormie entra.

—      Que se passe-t-il ?

—      Je crois que l'on vient de se faire cambrioler ?

—      Quoi ?????

Elle alluma et regarda autour d'elle.

—      Il ne manque rien pourtant !

Puis elle vit la porte du placard de l'entrée ouverte et son contenu répandu sur le sol.

—      Le coffret ?

—      Oui je crois que c'est ce qu'il était venu chercher.

—      Regarde il me manque un galet, mais la pierre est toujours là.

—      Il a dû se tromper et il a ramassé un de tes galets.

—      Que fait-on ? On ne peut pas prévenir la police, vu comment on a trouvé le coffre.

Luc regarda la porte d'entrée et pensa à un professionnel, la serrure n'était même pas abîmée.

—      Cela devient de plus en plus mystérieux, pourquoi venir voler un coffret de géocaching.

—      Je ne sais pas, mais cela me donne de plus en plus envie de trouver cette porte. Je vais faire un message à Thibault avec le scan du parchemin et peut-être qu'il pourra nous en dire plus.

—      OK moi je retourne me coucher, je bosse tôt demain.

—      Et si on prenait quelques jours de congé ?

—      Toi tu veux percer ce mystère ?

—      Un coffre qui est une réplique, un parchemin avec une énigme, une pierre qui n'a rien de précieux et un mystérieux voleur… Tu ne crois pas que ça mérite une explication ?

—      Si ! Si ! Mais là je suis fatiguée… Elle entraîna Luc à sa suite dans le lit et fit taire ses objections par un long baiser.

Dans la semi-obscurité, aucun des deux amants n'avait remarqué la poussière bleuâtre sur le sol qui était tombée du long pardessus de l'homme mystérieux.


 

La Ferme

 

Quelques jours plus tard, les deux amants roulaient en direction de Clermont-Ferrand. Jane venait de reprendre le volant après une pause. Luc regardait sur sa tablette divers documents qu'il avait téléchargés pour préparer leur expédition. Depuis les évènements de la nuit où ils avaient ouvert le coffret, ils n'avaient plus recroisé l'inconnu à l'imperméable.

—      Que regardes-tu ? demanda Jane ?

—      Je cherche les endroits où il peut y avoir des grottes autour de Clermont-Ferrand.

—      Pourquoi penses-tu que c'est par là ?

—      Le lieu où César fut vaincu, c'est Gergovie.

—      Oui ça tout le monde le sait, mais pour les lacs et les châteaux, il y en a des dizaines dans cette région.

—      Je pense que mon oncle pourra nous en dire plus, il a toujours vécu ici.

Il se replongea dans sa lecture et passait de page en page en notant sur un petit carnet les éventuels sites intéressants. Jane restait attentive sur sa conduite, car le crachin qui tombait depuis leur départ de Paris se transformait peu à peu en neige fondue.

—      J'espère qu'il n'habite pas trop loin de l'autoroute !

—      Non, il est à Saint Nectaire. Normalement les routes sont toujours dégagées, et ensuite il devrait faire beau.

—      On verra bien…

Lorsqu'ils arrivèrent dans la cour de la ferme, l'oncle et la tante de Luc les accueillirent chaleureusement. Ils se mirent à table après qu'ils eurent déposé leurs affaires dans la chambre spécialement préparée pour eux.

—      Depuis le temps que tu n'étais pas venu, tu as bien changé !

—      J'avais quinze ans, la dernière fois ! Tante Claire.

—      —Et quand comptais-tu nous présenter ton amie ? Elle n'est pas auvergnate ! dit l'oncle Joseph avec un clin d'œil.

—      Non ! Reprit Luc alors que Jane rougissait en baissant la tête. Mais presque, ces ancêtres sont cévenols et ont fui la France pour s'installer en Afrique du Sud lors des dragonnades sous Louis XIV.

—      Oui ! Je suis un peu française malgré tout ! Dit-elle en ajoutant, mes parents possèdent aussi une ferme dans la province du Cap.

—      Bienvenue dans la famille ! Déclara Tante Claire en ouvrant les bras.

—      Qu'est-ce qui vous amène ici ? Tu as été très mystérieux dans ton message au téléphone."

Luc commença à raconter son histoire et plus il avançait, plus le visage de son oncle s'assombrissait.

—      Tu es sûr que tu as bien traduit ? Car je ne vois pas de grottes entre le château de Murol et le lac Pavin.

—      Ce sont peut-être d'autres lieux ?

—      Montre-moi ce texte et cette pierre.

Jane sortit la pierre d'un petit sac pendant que Luc allumait son ordinateur.

Tante Claire prit la pierre entre ses mains et la regarda attentivement.

—      Ce n'est pas une pierre de la région, ici on n'a que de la roche volcanique or celle-ci ressemblerait plus à une pierre de la plaine que de la montagne. De plus elle semble avoir été polie par les eaux.

—      Et si au lieu de traduire tel que tu l'as fait, tu écris : "Le profond lac, le château, au fond de la grotte entre, la porte de l'éternelle jeunesse ouvrira."

—      Vous avez appris le latin ? demanda Jane surprise.

—      Ma chère petite, avant de reprendre la ferme de mon grand-père, j'étais agrégé de lettres classiques, mais je préfère la compagnie des vaches à celles des élèves… Au moins elles, elles me rendent bien les efforts que je fais pour elles…

—      Mais alors la grotte pourrait être les grottes qui se trouvent en dessous de la ferme.

—      Pas impossible ! Oui je ne me suis jamais aventuré au fond de ces grottes qui sont plus des anciennes mines que des grottes naturelles, et du peu que j'ai pu en explorer jeune, je ne me souviens pas avoir vu de porte.

—      Je vois d'où tu tiens ton goût des explorations souterraines ! s'exclama Jane.

—      C'est de famille ! Oui je crois ! Et tous partirent d'un grand éclat de rire.

—      Ce qui m'intrigue c'est ce mystérieux cambrioleur. Méfiez-vous, car il est peut-être déjà dans la région.

—      Je n'ai vu personne nous suivre et la route pour arriver ici est assez peu fréquentée.

—      Oui tu as raison, mais j'ouvrirai les yeux demain quand j'irai aux champs et je connais bien les recoins du secteur.

—      Et si nous passions à table, l'aligot est chaud, ordonna Tante Claire en apportant le plat fumant sur la table déjà couverte de charcuterie.

Alors qu'ils profitaient des mets préparés par sa tante, Luc racontait sa rencontre avec Jane. Il relatait les nombreuses années pendant lesquelles il ne les avait pas vus. Il racontait son séjour en Afrique du Sud où il avait fini ses études et où avait commencé son histoire d'amour. C'était Jane qui l'avait poussé à revenir en France, car elle lui avait soutenu que Paris était la ville idéale pour faire connaître ses créations. Il avait eu du mal à s'adapter à la vie parisienne, mais il se plaisait dans son travail et Jane avait réussi à ouvrir une petite boutique où les touristes et les autres venaient acheter ce qu'elle fabriquait. Il la regardait fièrement en disant ces mots. Jane l'écoutait souriante.

—      Et pour un bébé ? Vous y avez pensé ? S'exclama Tante Claire.

—      Laisse-les vivre un peu ! Rétorqua l'oncle Robert Ta tante rêve de pouponner de nouveau des petits neveux…

Luc sourit, il savait que le couple n'avait jamais pu avoir d'enfants et qu'ils avaient toujours accueilli leurs neveux et nièces avec plaisir et amour.

—      On y pense, on y pense, mais on veut être sûr de pouvoir bien s'occuper de lui… dit Jane, en souriant à Tante Claire.

—      Je vous comprends, lui répondit celle-ci en lui caressant la joue.

Le repas terminé, ils se retrouvèrent seuls dans une chambre de cette grande maison. Ils entendaient les vaches mugir dans l'étable pendant que le vieil homme faisait une dernière tournée d'inspection de ses bêtes.

—      Qui va reprendre la ferme après eux ? demanda Jane.

—      Je ne sais pas exactement, mais je crois qu'une de mes cousines en a très envie, elle vient régulièrement les aider et finit ses études pour cela… En tout cas, tu as séduit ma tante.

—      Oui, je crois qu'elle m'aime bien.

—      Demain, je t'emmène découvrir les grottes qui se trouvent en dessous de la ferme… Ça va être sportif !

—      Même pas peur…

Ils rirent de concert et ils se couchèrent en rêvant à ce qu'ils allaient peut-être découvrir.

 


 

La Grotte

 

Après un petit-déjeuner copieux, ils descendirent les petits sentiers à travers bois que Luc avait si souvent parcourus pendant son enfance. Ils restaient attentifs aux bruits qui les entouraient. La forêt était silencieuse en ce début d'hiver et le moindre craquement de bois s'entendait de loin. Ils étaient rassurés, car ils semblaient seuls mis à part le ronronnement du moteur du tracteur qui traversait les champs sur le versant opposé.

—      Encore un tournant et nous arriverons à la première grotte.

Ils durent se frayer un passage au milieu de ronces qui avaient poussé en travers du sentier. Habitué à ces escapades, Luc avait pensé à prendre en plus d'une bonne lampe torche et de son inséparable boussole, une petite machette.

—      Ce qui est rassurant, c'est que si tu dois dégager le sentier, c'est que personne n'est passé par là avant nous.

—      Oui apparemment ! Avec mes cousins, nous avons dû être les derniers à passer ici…

De longues minutes plus tard, ils furent devant l'entrée d'une caverne. Luc était essoufflé par les efforts qu'il avait faits pour dégager des tiges parfois aussi grosses que son poignet.

—      Ce n'est pas une grotte naturelle ?

—      Non ! D'après des archéologues qui sont venus il y a des années, ce sont des sortes de carrières, mais personnes ne sait ni par qui ni quand elles ont été creusées.

—      Et elles sont profondes ?

—      Personne ne le sait exactement. Certaines légendes racontent que ces entrées permettent d'atteindre le château de Murol voire même que les souterrains traverseraient toute la région pour atteindre le château de Ventadour.

—      Je ne connais pas…

—      Au moyen-âge, la cour des vicomtes de Ventadour était réputée pour être l'une des cours les plus raffinées du royaume voire même d'Europe, tous les érudits s'y rencontraient.

—      Et Murol ?

—      C'est une forteresse du Moyen-Age, je t'y emmènerai avant de rentrer.

—      OK ! Entrons alors ! Voyons ce que nous réservent ces grottes.


 

La Guerrière

 

À des centaines de kilomètres de là, dans un vieux manoir isolé sur les hauteurs d'une cité balnéaire, un vieil homme attendait dans son fauteuil devant sa cheminée allumée, mais qui ne le réchauffait plus depuis longtemps. Il tourna la tête vers la porte quand il entendit les pas de la gouvernante sur le parquet.

—      Maître ! Asterias est là !

—      Dites-lui d'entrer Myriam, et veuillez nous laisser, je vous prie.

La jeune femme invita la chose qui se présentait devant elle à pénétrer dans le salon. Depuis quelques années qu'elle était au service de cet homme sans âge, elle ne s'étonnait plus de rien, ni de la nature des invités, ni de ce qui se passait dans ce manoir.

—     Maître ! J'ai le coffret !

L'homme esquissa un sourire en voyant s'approcher un être humanoïde recouvert d'une fourrure d'un brun orangé avec une queue comme celle des chats.

—     As-tu la pierre avec ?

—     Il y a eu un problème Maître… Un jeune couple a découvert le coffre avant moi. J'ai pu le récupérer ainsi que ce qu'il contenait, mais je pense qu'ils se doutent de quelques choses.

—     Pourquoi ne m'as-tu pas prévenu plus tôt ? Sais-tu ce qu'ils ont découvert ? Hurla-t-il à destination de son serviteur.

—     Excusez- moi Maître, j'ai pensé que récupérer le coffret primait sur toute autre considération.

—     Tu as eu raison ! Apporte-moi cet objet.

Effrayé, Asterias déposa humblement le coffre de bois sur la table basse qui se trouvait entre le Maître et la cheminée. Il recula ensuite en attendant d'être congédié. En se levant avec une souplesse inattendue de la part d'un homme de son âge, il se pencha et ouvrit le coffre, objet de son désir. Soudain il rugit et pointa son doigt en direction de l'homme-chat.

—     Ce n'est pas la pierre ! Imbécile ! Retourne d'où tu viens et ne remets plus jamais les pieds ici !

En hurlant, la pauvre créature enveloppée de flammèches bleuâtres se débattit et disparut de la pièce.

En déroulant le parchemin avec précaution, il commença à lire. Aussitôt ses yeux s'illuminèrent.

—      Enfin, je te tiens ! Pensa-t-il.

Il murmura alors une invocation et une femme à la peau pâle et aux longs cheveux bruns apparut nue devant lui.

—     Que désirez-vous Maître ?

—      Keireen, je désire que tu te rendes le plus rapidement possible dans ces grottes. Méfie-toi, tu seras sûrement précédée par des humains. Peu importe ce qui leur arrivera. Je veux que tu leur reprennes la pierre philosophale et ensuite laisse-la te guider jusqu'aux sources de la sagesse.

—      Oui Maître ! Mais comment puis-je aller là-bas rapidement ? C'est à des lieues de votre domaine.

—      Cela fait bien longtemps que tu n'es pas revenue dans ce monde Keireen. Les humains ont fait d'énormes progrès dans leurs déplacements et ils peuvent aller n'importe où en moins d'une journée.

La femme le regarda, étonnée.

—      Approche je vais te montrer.

Elle s'approcha et baissa la tête. Il posa ses mains sur la chevelure de et elle frissonna.

—      Oui Maître ! J'ai compris. Je sais comment rejoindre ce lieu.

—      Va te vêtir convenablement et pars le plus vite possible ! Prends ce pendentif qui me permettra de conserver un lien avec toi.

Elle passa le pendentif retenu par une lanière de cuir autour de son cou et sortit de la pièce. Myriam la conduisit dans une chambre du manoir où elle put choisir une tenue adaptée à sa mission. Avant de partir, elle revint saluer le Maître et franchit à pied les grilles du manoir pour se diriger vers la gare.

Au contact des personnes qu'elle croisait, elle apprit et comprit rapidement comment le monde avait évolué et toutes les modifications qu'il avait subies depuis sa dernière visite. Les hommes n'étaient presque plus reliés à la nature et seules quelques rares personnes frémissaient en croisant son regard. C'étaient celles qui sans le savoir la reconnaissaient pour ce qu'elle était : "la Guerrière Vengeresse".

Dans le train qui la menait vers Paris, qui s'appelait encore Lutèce lors de sa dernière venue, elle lisait divers revues et journaux qu'elle avait achetés avant le départ. Elle se put se rendre compte de l'ensemble des changements. Les hommes étaient bien plus puissants qu'ils n'étaient autrefois et même si leur esprit était toujours aussi limité, leur savoir et leur science commençaient à leur permettre de découvrir les secrets de l'univers. Elle sourit en se rendant compte par ses lectures que la plupart des hommes refusaient de croire en l'existence du monde magique, et même ceux qui y croyaient avaient oublié la réalité des entités surréelles. Ces religions monothéistes qui s'étaient imposées en étaient peut-être la cause ou alors leur trop grande confiance en leur science.

Elle passa une nuit dans cette ville immense et, de nouveau, elle comprit la rupture totale entre les hommes et la nature. Elle fit un détour par les arènes et effleura du bout des doigts les pierres où elle s'était assise lors de leurs inaugurations quelques millénaires auparavant.

Comme le lui avait dit le Maître, il lui fallut à peine plus d'une journée pour arriver aux grottes. Elle dut utiliser son pouvoir de persuasion pour louer un véhicule afin de finir son voyage. Elle se souvenait de ces lieux où elle s'était battue aux côtés des guerriers gaulois et où ils avaient vaincu ensemble les légions romaines. Retrouvant son instinct de guerrière et de chasseresse, elle abandonna sa voiture à quelques kilomètres de son but. En pénétrant dans les sous-bois, elle fut de nouveau liée avec le monde et mit tous ses sens au service de sa quête. Elle ne tarda pas à entendre et trouver la trace des deux jeunes amants. Le passage ouvert à la machette par Luc lui facilitait les choses. Elle s'arrêta devant l'entrée de la caverne et se mit à trembler.

—      Le Maître ne m'a pas tout révélé, pensa-t-elle en colère et effrayée. Ces lieux sont sacrés et protégés par une magie puissante. Je ne pourrais jamais récupérer la pierre et franchir le portail.

Révélations

 

Luc et Jane avançaient lentement dans les cavernes, ignorant qu'ils avaient été suivis. Il les guidait lentement en se remémorant ses explorations épiques avec ses cousins et cousines et les colères de leur tante qui leur interdisaient d'y retourner. Mais cette fois-ci, ils avançaient dans des galeries qu'il n'avait encore jamais foulées. Plus ils avançaient et plus l'atmosphère leur semblait lourde, mais ils se sentaient aussi entourés par quelque chose de bienveillant qui les rassurait et leur donnait envie de progresser. Dans le faisceau de leur torche, ils commencèrent à découvrir des marques sur les parois.

Ils décidèrent de faire une pause et Jane ouvrit son sac pour prendre quelques barres de céréales. Elle sursauta en voyant la pierre briller.

—      Que se passe-t-il ?

—      Regarde la pierre, elle brille !

Luc prit alors la pierre. Lorsqu'elle fut complètement sortie du sac, elle brilla encore plus fort et soudain des symboles apparurent sur le plafond.

Lorsque Luc déplaçait la pierre, les symboles se déplaçaient aussi.

—      Cette pierre semble être le moyen de nous guider dans ces galeries. Prends la torche pour nous éclairer et je vais tenir la pierre au-dessus de nos têtes.

Avec Jane qui dirigeait la lumière de la torche vers le sol et Luc qui tenait la pierre qui illuminait le plafond, ils avancèrent plus rapidement sans se poser de questions sur le chemin à prendre à chaque bifurcation.

 

Au même instant, en prenant une grande inspiration, Keireen franchit le seuil de la caverne. Elle ressentait la présence des sorts de protection qui protégeaient les couloirs. Elle savait que plus elle avancerait et plus elle devrait lutter contre les sortilèges tant qu'elle ne serait pas en possession de la pierre. Heureusement pour elle, ces sorts s'étaient affaiblis au cours des millénaires sinon elle n'aurait même pas pu entrer. Grâce à ses talents de chasseresse, elle avait repéré le chemin parcouru par ses proies. Elle savait qu'elle les rattrapait. Elle serait bientôt à leur contact. Elle avançait sans bruit, ils ne l'entendraient que lorsqu'elle leur sauterait dessus pour prendre possession de la pierre philosophale. Elle apercevait parfois au détour d'un corridor la lueur de la torche.

Soudain elle entendit un cri de surprise et de joie. Ils étaient là, devant elle, à quelques mètres. Elles les entendaient parler.

—      Nous sommes dans un cul-de-sac ! Dit une voix masculine.

—      Regarde sur le mur, on dirait une chouette ! Approche la pierre, elle me semble commencer à luire.

Elle s'approcha sans bruit et les vit.

Luc remarqua un trou au niveau d'un œil. Il présenta la pierre qui s'y ajusta parfaitement et la luminosité augmenta.

Au même instant, Keireen sauta dans la pièce. Elle fut aveuglée tout comme les jeunes gens par une puissante lueur bleue. Une forme se matérialisa au centre du halo. Une femme en toge blanche, une lance à la main et un casque sur la tête se mit entre les amants et la guerrière.

—      Toi ! Tu es revenue !

—      Oui Sophia… et cette fois-ci, tu ne me feras pas fuir.

Ils regardèrent alors les deux femmes immobiles qui se faisaient face, n'en croyant ni leurs yeux ni leurs oreilles. Qui pouvaient être ces deux femmes qui semblaient tout droit sorties d'un vieux péplum ?

Elle les regarda quelques instants et leur cria.

—      Franchissez ce portail, je vais la retenir ici. N'ayez pas peur, vous serez en sécurité de l'autre côté.

Trop effrayés par la rage qui émanait du visage de la guerrière, ils se jetèrent dans la lumière et disparurent aussitôt.

Hurlant de rage, Keireen se jeta sur sa rivale qui cherchait à l'empêcher de franchir le passage. Aussitôt la blonde parât l'assaut avec sa lance et le duel s'engagea. La brune cherchait à faire reculer son adversaire du halo bleu qui marquait le point d'entrée de ce lieu dans lequel Jane et Luc venaient de se réfugier.

 

Hébétés, ils mirent quelques secondes à se remettre. Ils avaient l'impression que leur estomac s'était retourné dans leur ventre.

—      Où sommes-nous ? questionna Jane.

—      Je l'ignore… Mais ce que je peux dire, c'est que nous ne sommes plus dans les grottes.

Ils étaient entourés d'une colonnade de marbre blanc dans une sorte de temple rectangulaire.

—      Je vous attendais, leur dit une voix provenant du fond de l'immense salle. Approchez !

Lentement ils se dirigèrent en direction de la voix. Une porte majestueuse s'ouvrait devant eux. Ils en franchirent le seuil et découvrirent un ensemble de rayonnage à perte de vue dont les étagères étaient recouvertes de papyrus, parchemins, livres.

—      Avancez !

À mesure de leur progression, ils découvraient des documents et des objets que tout le monde croyait disparus. Les écrits étaient classés par auteurs du plus ancien au plus récent.

—      Regarde ! Des rouleaux d'Homère, d'Épicure…

—      Et là… Saint Paul !

Tout en continuant de s'extasier sur le contenu de ce temple, il avançait. Les papyrus laissaient la place aux parchemins puis aux livres.

—      Shakespeare, Cervantes, Goethe, Dante, Dostoïevski… C'est incroyable, ils y sont tous!

—      Mais comment se fait-il que je comprenne les étiquettes ?

—      C'est une encre psycho-réactive ! répondit la voix en provenance du fond de la salle. Chacun les lit écrit dans sa propre langue. D'ailleurs ! Ne les voyez-vous pas écrits à la fois en français, anglais et afrikaans ?

—      Si ! C'est vrai ! remarqua Jane. Je n'avais pas fait attention. Mais comment connaissez-vous mon prénom ?

—      Je l'ai su dès que vous avez ouvert ce coffre et touché la pierre. Je vous suis depuis ce moment-là, et j'avais compris que vous arriveriez jusqu'ici. Mais je ne m'attendais pas à ce que vous soyez suivis par cette créature.

—      Où sommes-nous et qui êtes-vous ?

—      Vous êtes aux sources de la sagesse comme vous l'avez lu sur le texte du parchemin, et moi j'en suis la gardienne ou la déesse si vous préférez…

Ils virent alors apparaître devant eux une grande femme vêtue d'une toge, portant un bouclier avec une chouette, un casque et une lance à la main.

—      Athéna ? déclara Luc ébahi. Tout aussi stupéfaite, Jane osa une question.

—      Mais la pierre n'est-elle pas la pierre philosophale que recherchent tous les alchimistes ?

—      Si bien sûr, mais l'immortalité ne s'acquiert-elle pas par le savoir et la sagesse ? Tous les écrits réunis ici, n'ont-ils pas rendu ces hommes immortels ?

—      D'une certaine manière, vous avez raison…

—      Ne restons pas là, je ne suis pas sûre que Sophia réussisse à retenir Keireen encore longtemps. Je vais devoir user de ma puissance pour condamner cette entrée. Allez dans la pièce suivante et quoiqu'il se passe où que vous entendiez, surtout n'en sortez pas et attendez mon retour.

—      Qui est cette Keireen qui nous a attaqués ?

—      Chaque chose en son temps ! Faites ce que je vous dis ! Allez !

Impressionnés par la puissance de la voix de la déesse, ils se dépêchèrent de changer de pièce et une lourde porte métallique se referma derrière eux. Ils étaient seuls dans une autre salle qui semblait tout aussi immense que la première, mais ce n'étaient plus des œuvres littéraires qui les entouraient, mais des objets.

Ils sursautèrent lorsqu'un puissant grondement de tonnerre retentit de l'autre côté de la porte qui se mit à rougir puis à briller. Ils tremblaient sans oser bouger, puis au bout de quelques minutes tout redevint silencieux et la porte reprit sa couleur grise naturelle. Ils étaient de nouveau dans le silence, du plafond émanait une douce lumière qui leur permettait de découvrir les divers artéfacts qui les entouraient. Ici des silex préhistoriques, là un char égyptien, un peu plus loin une yourte mongole des steppes, des objets du monde entier et de toutes les époques les entouraient. Lorsque qu'Athéna les rejoignit, ils étaient en admiration devant le trident de Poséidon qui faisait face au marteau de Thor.

—      Eh oui ! Ces objets et ces dieux ont vraiment existé ! leur dit la déesse Athéna. Ils étaient aussi réels que je le suis devant vous.

—      Et que sont-ils devenus ?

—      C'est une longue histoire, mais ce n'est pas à moi de vous le dire. Je suis la gardienne de la sagesse, c'est à vous d'en trouver la voie comme Bouddha le fit en son temps et d'autres le feront après vous.

Jane regardait autour d'elle et naïvement posa une question.

—      Je ne vois ni les tables des dix commandements, ni l'Arche d'Alliance, et encore moins le Graal…

Le rire de la déesse résonna alors dans l'immense salle.

—      Ma petite ! Ces artéfacts dont tu parles, ils n'ont jamais existé tels que vous les imaginez… ce dieu fut imaginé par des hommes il y a longtemps, mais il n'a jamais eu d'existence réelle.

Abasourdis Luc et Jane n'en croyait pas leurs oreilles. Les mots qu'ils venaient d'entendre les laissaient muets.

—      Comment cela ?

—      C'est une longue histoire. Pour le moment, sachez que certaines personnes ont des capacités particulières et sont invitées à prendre des décisions qui influent sur le destin de l'Humanité. Une petite action a parfois de grandes conséquences !

—      Le battement d'aile du papillon… dit Jane.

—      C'est à peu près cela, oui ! Moïse et Jésus ont réellement existé, ils étaient de ces hommes particuliers. Moïse a pris une décision qui a entraîné tout son peuple derrière lui. Ensuite Jésus a complété ce choix. Cela a eu les conséquences que vous connaissez, mais cela a peut-être empêché un destin plus funeste aux hommes. Ils ont imaginé ce dieu unique pour être écoutés dans le monde dans lequel ils vivaient, mais l'histoire de l'exode n'a jamais eu lieu…

Le jeune couple ne perdait pas une parole de ce que leur racontait cette femme si étrange.

—      Ensuite, l'histoire a été enjolivée et si les dix commandements ont bien été rédigés, ils le furent dans les rouleaux de la Bible, mais ils n'ont pas été gravés sur des pierres par un dieu.

—      Et pour le Graal ?

—      Les conteurs médiévaux avaient beaucoup d'imagination ! leur lança-t-elle en partant d'un rire tonitruant. Vous avez toujours aimé les histoires fantastiques. Regardez ! Maintenant vous imaginez des histoires dans l'espace…

—      Oui ! C'est vrai !

Alors qu'ils parlaient, elle les avait conduits dans une autre pièce où une table recouverte de divers mets était dressée.

—      Restaurez-vous avant que je vous reconduise dans votre monde !

Retour

 

—      Voilà ! Je vous quitte ici.

La déesse les laissa devant un bas-relief représentant une chouette comme celui qu'ils avaient trouvé dans la caverne.

—      De retour dans votre monde, prenez la pierre qui se trouve dans l'œil gauche et vous pourrez revenir ici quand vous le voudrez.

—      Merci pour tout ! répondit Luc, ne sachant pas comment on devait remercier une antique déesse pour son hospitalité.

Comme pour leur arrivée dans la bibliothèque, ils franchirent la lueur bleue du portail et ils se retrouvèrent face à la même chouette que celle devant laquelle ils étaient de l'autre côté du passage. Jane tendit la main et prit l'améthyste qui faisait la pupille de l'œil et la glissa dans la poche. Ils durent attendre un peu que leurs yeux s'habituent à l'obscurité de la grotte où ils se trouvaient. Peu à peu, ils distinguèrent la lueur de la sortie et se dirigèrent vers le monde extérieur.

—      Avons-nous rêvé ? demanda Luc.

—      Je ne crois pas, dit Jane qui faisait tourner le caillou entre ses doigts dans sa poche.

—      Si ce qu'elle nous a dit est vrai, c'est incroyable, mais personne ne voudra nous croire.

—      Pourquoi devrions-nous le raconter ?

 

Pendant qu'ils étaient en train de se restaurer quelques heures plus tôt, Athéna entreprit de leur narrer la véritable histoire du monde. Elle leur parla de l'Entité créatrice de l'univers, comment celle-ci avait orienté l'évolution des humains pour qu'ils deviennent ce qu'ils sont aujourd'hui. Elle leur fit le récit de la naissance des dieux. C'est en leur parlant des Veilleurs et de leur fonction qu'elle leur expliqua qui était Keireen.

Il y a de longues années, un veilleur choisit de renoncer à son rôle de guide de l'humanité et au lieu de recruter des Appelés. Il asservit des êtres humains pour le servir lui. Il avait découvert une partie du secret de la pierre philosophale et réussit à franchir les protections mises en place pour protéger la bibliothèque. Il déroba quelques objets et sa puissance s'accrut. Avec ses nouveaux pouvoirs, il put invoquer des démons et des dieux mineurs pour le servir. Quelques Veilleurs réussirent à le combattre et à lui prendre le coffret contenant la pierre et le parchemin qu'ils avaient découverts dans les catacombes. Le hasard, ou la destinée, fit que Luc et Jane découvrirent ce coffre au moment où celui qui se fait appeler le Comte ou le Professeur Van Dyck venait de le repérer. Il envoya ainsi tout d'abord un homme-chat puis la guerrière à leurs trousses, car il lui manque encore un artéfact qui lui permettrait d'atteindre son but.

Ils étaient en train de se remémorer ces paroles quand ils atteignirent enfin la sortie de la grotte. Dans le lointain, un grondement les fit sursauter mais comme ils se trouvaient dans une forêt assez épaisse, ils ne pouvaient pas en voir la cause.

—      On dirait que nous sommes à la fin du printemps.

—      —Oui ! Je te le confirme. Combien de temps sommes-nous restés avec Athéna ?

—      Nous ne le saurons que lorsque nous croiserons du monde… dit Luc très inquiet. Mon oncle et ma tante ont dû s'inquiéter terriblement… Tout le monde doit nous croire morts…

Jane pâlit elle aussi en pensant à ses parents. Ils arrivèrent en bordure d'une route et commencèrent à la descendre. Luc ne reconnaissait pas l'endroit où ils étaient.

—      Je connais bien les environs de la ferme de l'oncle Robert, et là je ne sais absolument pas où nous sommes, même si au vu de la végétation et des rochers environnants nous ne devons pas en être très éloignés.

—      Tu entends ce bruit sourd au loin ?

—      Oui et je me demande ce que c'est ?

Au même instant, une voiture de gendarmerie s'arrêta juste après les avoir dépassés et deux gendarmes en sortirent.

—      Que faites-vous ici ? Vous ne savez pas que cette zone est interdite à toute circulation.

—      Non ! Nous ne le savions pas, mais pourquoi ?

—      Le volcan du lac Pavin est entré en éruption il y a quelques mois. Cela a surpris tout le monde et du coup tout le secteur a dû être évacué à titre de sécurité.

Les deux amants se regardèrent.

—      Et la ferme de mon oncle ? demanda alors Luc

L'un des gendarmes comprit alors qui ils étaient et leur posa la question fatidique.

—      Vous êtes les deux randonneurs disparus en janvier ? Tout le monde vous a cherché après l'éruption et l'effondrement des cavernes. Tout le monde vous a cru morts. Où étiez-vous ?

Jane et Luc se regardèrent, ne sachant que répondre.

—      Tout ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes entrés par les cavernes au-dessous de la ferme et que nous sommes ressortis par cette grotte. dit Jane aux gendarmes.

—      Mouais ! fit le plus vieux en se frottant le menton. Nous allons vous emmener à l'hôpital pour des examens et pour que vous puissiez récupérer de votre aventure et nous y prendrons votre déposition.

Pendant ce temps, l'autre avait prévenu l'hôpital, l'oncle Robert et la tante Claire de la réapparition inattendue des deux jeunes gens.

À leur arrivée, ils furent pris en charge par une équipe de médecins qui leur fit passer toute une batterie de tests avant de leur permettre de se reposer dans une chambre où ils purent enfin serrer dans leurs bras leur oncle et leur tante qui pleuraient de bonheur.

L'oncle Robert raconta que la ferme avait eu de la chance. Toute l'eau du lac Pavin s'était répandue dans la vallée par les cavernes et quelques minutes plus tard, de la lave suivit en obstruant toutes les galeries. Ils les avaient cherchés pendant quelques jours, mais rapidement, les pompiers leur avaient dit qu'ils avaient dû être piégés et emportés par l'inondation. Ils avaient sondé les rivières et les lacs en aval, mais ils ne remontèrent que les corps de deux femmes que personne n'avait encore pu identifier.

Jane et Luc réalisèrent que l'oncle parlait de Keireen et Sophia. Quand la tante Claire lança.

—     L'éruption s'est arrêtée aussi subitement qu'elle avait commencé. On vient de nous dire que nous allions pouvoir bientôt regagner notre ferme.


 

Soirée

 

Quelques semaines plus tard, Jane et Luc venaient enfin de pouvoir réintégrer l'appartement qu'ils avaient quitté à l'automne après de longues démarches administratives. Les clients recommençaient à trouver le chemin de la petite boutique de Jane et Luc avait pu retrouver son travail et y avait gagné une collaboratrice. Il avait demandé à ce que la personne qui avait été embauchée à sa place pendant son absence ne soit pas licenciée.

La pierre que leur avait donnée la déesse Athéna avait rejoint la collection de galets de Jane, et seul un œil averti pouvait voir qu'il était légèrement différent des autres. La nuit, elle luisait légèrement dans le salon et libérait des ondes positives afin de protéger les deux jeunes gens de l'influence maléfique du comte Van Dyck. Elle avait aussi d'autres propriétés dont ils ne se rendraient compte que plus tard.

Pour fêter leur retour à la vie, ils avaient organisé une petite soirée avec leurs amis proches. Ce soir-là, ils étaient sept dans le salon autour de la table basse. Thibault et sa copine, Sandrine, la nouvelle collègue de Luc, Kathryn, l'amie d'enfance de Jane et son mari Dieter les pressaient de questions. Ils voulaient tous savoir comment ils avaient pu survivre plusieurs mois dans les entrailles de la Terre.

—     On se souvient seulement d'avoir entendu une explosion, puis le tunnel s'est effondré derrière nous… Nous nous sommes évanouis et quand nous nous sommes réveillés, nous étions à quelques mètres de la sortie du souterrain.

C'est la version qu'ils avaient présentée aux médecins et aux gendarmes. Des psychiatres les avaient rencontrés et tous avaient conclu à une amnésie partielle. Les gendarmes, les services spécialisés dans les recherches géologiques et minières et des spéléologues avaient exploré les souterrains sans rien trouver. Une enquête judiciaire avait même été demandée pour enlèvement et séquestration, mais en l'absence d'éléments concrets, tous ces dossiers étaient classés au fond d'armoire dans les différentes administrations concernées. Seuls les spéléologues avaient trouvé un nouveau terrain de jeu surtout depuis la fin de l'éruption du Pavin.

Alors que les filles et Dieter admiraient les créations de Jane, Thibault prit Luc à l'écart.

—      Ne me raconte pas de conneries, je sais bien que vous n'avez pas disparu pendant six mois sans vous souvenir de rien. J'ai vu les photos du coffret… et du parchemin.

—      Effectivement ! Nous ne sommes pas restés six mois sous terre. Mais si on raconte la vérité, personne ne nous croira.

—      Vous connaissant, vous avez pris des photos de votre exploration et tu sais que je suis un fan de l'exploration souterraine…

—      Oui ! Bien sûr ! mais nous ne les avons montrées à personne. Personne ne nous les a demandées non plus. Qu'espères-tu découvrir ?

—      Tu te souviens que l'été dernier, j'ai participé à des fouilles avec mon chef sur la propriété que sa femme a reçu en héritage.

—      Oui ! Très bien ! Tu m'avais même dit que vous aviez trouvé un truc incroyable…

—      Oui ! Exact, mais je ne t'ai pas non plus tout raconté… Il y avait aussi une grotte, ou plutôt un souterrain…

—      Et…

—      Tu me connais, je n'ai pas pu m'empêcher d'aller l'explorer.

—      Oui, je me doute.

—      L'entrée ressemblait à une entrée de mine, mais après quelques mètres j'ai découvert des sortes de bas-reliefs sur les parois.

Le regard de Luc changea.

—      Des bas-reliefs ! De quelle sorte ?

—      Je dirai qu'ils remonteraient à la période de la préhistoire, un peu comme ceux que l'on peut voir sur certains menhirs sculptés.

—      Viens dans la chambre, je vais lancer mon ordi et prendre la carte mémoire sur laquelle il y a les photos que nous avons prises avec Jane.

Les deux hommes s'isolèrent du groupe et ils commencèrent à regarder les images prises quelques mois plus tôt dans la montagne auvergnate.

—      C'est sympa comme endroit, je ne connais pas…

—      Oui, mais avec l'éruption, le paysage a pas mal changé.

—      Je m'en doute… Là ! Regarde ce symbole au-dessus de l'entrée, c'est le même que celui que j'ai vu chez Élisabeth.

—      Attends ! Tu n'as pas tout vu. Luc fit défiler rapidement le dossier et il s'arrêta sur la photo de la chouette gravée sur la paroi.

—      Cela me dit quelque chose ! Attends ! Tu permets ? Lui dit-il en commençant à taper quelques mots sur le clavier de l'ordinateur pour faire une recherche d'images.

—      Voilà ! C'est la chouette qui était gravée sur le bouclier de la statue de la déesse Athéna qui se trouvait dans le Parthénon.

—      Tu ne crois pas si bien dire…

—      Explique-moi !

—      Tu te souviens que dans le coffre, en plus du parchemin, il y avait aussi une pierre !

—      Oui, une pierre grise qui ne payait pas de mine…

—      Oui exactement ! Mais cette pierre s'encastrait parfaitement dans un des yeux de la chouette.

—      Et vous l'avez placée ?

—      Oui et c'est là que tout a commencé…

Luc baissa le ton et il raconta l'arrivée inopinée de Keireen puis leur sauvetage inattendu par Sophia et enfin leur arrivée dans cette immense bibliothèque.

—      La chouette serait donc une sorte de porte ?

—      Pas une sorte de porte, c'est vraiment un point de passage. Regarde la suite des photos !

Il lui montra donc les quelques photos prises pendant qu'ils découvraient les différents ouvrages réunis avant que la déesse n'arrive.

—      C'est stupéfiant ! Ne put se retenir de s'exclamer Thibault. Tout ce savoir à portée de main !

—      Oui…

—      Et maintenant tout cela a été perdu au cours de l'éruption. J'en connais une qui, si elle savait cela serait complètement désespérée.

Luc ne répondit pas immédiatement. Il se demandait ce qu'il pouvait dire à son ami. Il lui faisait confiance.

—      Tu me promets de ne pas répéter ce que je vais te dire.

—      Promis.

—      Bon ! Alors voilà comment cela s'est passé… Luc se tut un instant.

—      Chéri ! Je descends montrer ma boutique… On revient dans quelques minutes…

—      Pas de problèmes !

—      Ne buvez pas tout ! s'exclama-t-elle dans un grand éclat de rire.

Ils entendirent la porte de l'appartement se refermer et Luc reprit son récit.

—      Lorsque Jane a posé la pierre dans l'œil de la chouette, il y a eu une vibration et une sorte de lumière bleuâtre est apparue, surpris, nous nous sommes reculés. C'est à ce moment que Keireen nous a sauté dessus. Nous avons d'abord cru qu'elle était folle, mais quand elle a sorti une épée, nous avons bien cru que nous étions fichus. C'est à ce moment-là que Sophia a émergé du portail et s'est jetée sur l'autre en nous criant de franchir le portail en entrant dans la lueur… Tu te doutes bien que fichu pour fichu, nous avons obéi.

—      Oui ! Normal ! Je pense que j'aurais fait comme vous…

—      On a donc atterri dans un vestibule qui donnait sur cette immense salle que tu as vue sur les photos. Il n'y avait aucun bruit et nous avons commencé à avancer pour nous éloigner du portail. Avec les deux femmes qui s'affrontaient dans la mine, nous avons surtout pensé à nous éloigner pour sauver notre peau. De plus, l'atmosphère était apaisante et rassurante. On avait presque fini de traverser la bibliothèque quand Jane a posé une question et devine qui nous a répondu ?

—      Aucune idée… répondit Thibault qui n'avait pas envie de jouer aux devinettes.

—      La déesse Athéna en personne…

—      Non ! Arrête tes blagues.

—      Je suis sérieux. C'est elle qui nous a expliqué où nous étions et qui étaient les deux guerrières.

Luc continua son récit jusqu'au moment où ils avaient trouvé les gendarmes dans la vallée.

—      En fait vous ne mentez pas vraiment en disant que vous ne vous ne souvenez de rien… le regarda Thibault.

—      Oui pour nous c'est comme s'il ne s'était écoulé que quelques heures.

—      Ce que tu me racontes me rappelle quelque chose que j'ai cru voir lorsque nous étions dans le sud pour les fouilles.

—      Quoi donc ?

—      Un soir, alors que je travaillais sur la terrasse avec mon ordi, j'ai levé la tête, car il me semblait avoir entendu un bruit et j'ai cru apercevoir une lueur bleue dans la chambre de ma collègue. Je pensais qu'elle était elle aussi devant un écran, mais ce qui était bizarre c'est qu'il y avait comme une sorte de vibration dans l'air.

—      Suis-moi ! Luc entraîna Thibault de nouveau dans le salon et lui donna la pierre que leur avait confiée Athéna.

Thibault sursauta, c'était la même vibration !

—      Oui et cette vibration lorsqu'elle est placée à certains endroits doit permettre d'ouvrir des passages vers la bibliothèque.

—      Ou ailleurs… Une clé pour passer de monde en monde.

—      Je ne sais pas. Je n'ai pas encore pu me pencher sur le sujet, mais dès que cela sera plus calme, je pense que je vais m'y atteler.

—      Quand tu m'as parlé de ce professeur "je ne sais plus qui"...

—      Van Dyck !

—      Oui c'est ça ! Tu m'as bien dit qu'il habitait un manoir dans une cité balnéaire ?

—      Oui ! C'est ce que nous a dit la déesse. J'ai du mal à concevoir que c'est bien Athéna, mais avec ce que nous avons vécu, je me dis, pourquoi pas !

—      J'ai un ami qui est prof dans un lycée là-bas. C'est lui qui m'a initié à l'exploration des catacombes. De plus, il a l'air super calé dans l'ésotérisme. Il est un peu barré, un soir où on avait un peu trop bu, il m'a sorti qu'il avait plusieurs siècles…

—      In vino veritas…

Les deux jeunes hommes rigolèrent puis Thibault enchaîna.

—      S'il y en a bien un qui peut t'aider à découvrir le mystère qui se cache derrière votre aventure et ce Van Dyck, c'est lui. Je vais l'appeler pour lui en parler.

Au même moment, les autres revenaient de leur visite. Thibault fit découvrir à Kathryn et Dieter la subtilité du mélange entre le foie gras et le Sauternes.

Jane se liait avec Sandrine et Margaux, la copine de Thibault. Et lorsqu'ils se séparèrent, ils se promirent de refaire ce genre de soirées même si les deux Sud-Africains seraient rentrés chez eux.

Une fois seuls, Jane regarda Luc.

—      Toi ! Tu as quelque chose à me dire…

—      C'est-à-dire que… Il baissa la tête, honteux comme un enfant pris la main dans le sachet de bonbons.

—      Dis-moi ! Allez !

Luc se lança d'un seul coup et souffla après avoir dit la phrase fatidique.

—      J'ai tout raconté à Thibault.

—      Tu es malade ! On s'était juré de ne rien dire à personne et de s'en tenir à la phrase que l'on a sortie aux gendarmes en ressortant de la grotte.

—      Je sais ma chérie ! Mais c'est mon meilleur pote et je sais que je peux lui faire confiance.

—      Lui, peut-être ! Mais Margaux est journaliste… Une histoire comme cela, c'est le scoop du siècle pour elle.

—      Je te garantis qu'il ne dira rien, d'ailleurs écoute-moi…

—      Non pas ce soir ! Putain… Bordel… La soirée s'était super bien passé et faut que tu gâches tout en racontant tout à Thibault.

Jane se leva du canapé et elle alla s'enfermer dans la chambre exaspérée. Luc l'entendit marmonner, On dit que les filles ne savent pas se taire, mais les mecs, c'est pas mieux.

Il finit de ranger seul les restes du repas et de nettoyer le salon sans faire trop de bruit. Il éteignit la lumière avant d'aller tenter une approche en douceur de sa bien-aimée. Il remarqua alors que la pierre d'Athéna luisait bien plus que les autres nuits.

Le Comte

 

Assis dans son fauteuil, le professeur Van Dyck fixait les flammes qui ondulaient dans la cheminée. Il était songeur, cela faisait plusieurs jours que Keireen sa guerrière était partie à la poursuite des voleurs du coffret et de la pierre philosophale. Il se disait qu'il touchait enfin au but après tant d'années de recherches et de luttes. Le dernier message de son envoyée avait été encourageant, elle lui disait qu'elle avait retrouvé la trace des jeunes gens dans une ferme auvergnate. Elle les guettait depuis plusieurs jours et avait su déjouer la surveillance du vieux fermier.

Le comte savait qu'elle était loin de son île natale et que le monde avait beaucoup changé depuis sa dernière venue, mais il ne doutait pas de ses capacités d'adaptation et ses dons de de pisteuse. Il était certain qu'elle allait réussir à mettre la main sur la pierre et ses secrets.

Il tenait enfin sa vengeance contre les Veilleurs. Cela faisait des siècles qu'il envoyait ses meilleurs serviteurs autour du globe sur leur piste. Mais à chaque fois qu'il pensait les avoir à sa merci, ils réussissaient à lui échapper. Lorsqu'il aurait la main sur les pouvoirs de la pierre philosophale, il pourrait lui aussi se déplacer de nouveau entre les portails et modeler son avenir comme il l'avait vu lors de sa rencontre avec la Dame du Lac.

Il entendit la jeune femme qui lui louait une chambre sous les toits sortir pour se rendre à son travail, depuis le départ de Viviane, il avait trouvé une nouvelle locataire. Depuis quelques jours, un jeune homme l'attendait tous les matins pour la prendre en voiture. Cela le contrariait aussi. Il avait imposé dans le contrat de location des contraintes très précises comme de ne recevoir personne dans sa chambre, mais il ne pouvait intervenir dans sa vie hors de la propriété, il avait encore besoin d'elle pour atteindre son but ultime. Alors qu'il la regardait monter dans ce cabriolet et s'éloigner à l'arrière du manoir, il sentit une vibration et un grondement.

—      Maître ! Maître !

—      Que se passe-t-il Satiricon ? Pourquoi arrives-tu aussi rapidement dans mon salon sans y avoir été invité ?

La créature féline orangée se recroquevilla sur elle-même avant de répondre.

—      Le pic de Taranis s'est réveillé une nouvelle fois ! Maître !

Avec une rapidité surprenante, le vieil homme bondit sur la terrasse du château et vit s'élever au-dessus de la brume automnale les signes de ce début d'éruption. Une colonne de poussière s'élevait vers le ciel et heureusement que les vents la poussaient vers l'est sinon la ville serait rapidement recouverte de cendres grises. Son regard se porta ensuite sur différents édifices de la ville et le phare qui se dressait au milieu de la baie. Son œil averti remarqua immédiatement les vibrations qui affectaient ces bâtiments. Il se mit à hurler.

—      Noooon !!!!!! Et il s'effondra à genou sur les pierres de la terrasse. Le visage décomposé, il regarda son serviteur. File vite ! Va retrouver Keireen !

—     Mais Maître ! Je ne peux pas partir comme cela, on doit finir ce que nous avons commencé ici n'est-ce pas ?

—      On le finira plus tard… cria le comte. Fais ce que je te demande ! Sinon gare à toi !

—      Oui Maître.

En reculant avec crainte, Satiricon rentra dans le manoir et disparut pour tenter de rejoindre la guerrière.

Prostré sur le sol, Van Dyck pleurait, parcouru de spasmes.

—      Ô Grand Maître ! Pourquoi m'as-tu abandonné ? J'étais sur le point de réussir à vaincre ton ennemi…

Comme à chaque fois, il ne recevait aucune réponse. Mais cela n'affaiblissait pas sa détermination, il en était convaincu, le Grand Maître lui répondrait un jour et serait fier de lui.

Il retourna s'asseoir dans son fauteuil et fit une chose qu'il n'avait pas faite depuis des années. Il alluma son téléviseur et découvrit que ce n'était pas un, mais plusieurs volcans qui étaient entrés en éruption, le pic de Taranis, l'Etna, le Stromboli et surtout le plus inquiétant pour lui, le Pavin. Il comprit alors qu'il était arrivé malheur à la guerrière et que ce n'était pas les deux jeunes qui avaient volé le coffret qui en étaient responsables. Cela le rassurait de moins en moins. Qui avait la puissance suffisante pour faire entrer en éruption plusieurs volcans distants de plusieurs milliers de kilomètres les uns des autres ? Quels mystères voulait-on cacher ? Ces questions lui trottaient dans la tête, mais cela ne le détournerait pas de son objectif final.

Si, au lieu de s'énerver, il avait pris le temps de se renseigner, il n'aurait pas envoyé Satiricon au loin. Il savait maintenant, qu'il ne lui rapporterait pas de bonnes nouvelles et que la pierre était sûrement perdue à jamais. Il devrait attendre son retour pour pouvoir recommencer à surveiller Viviane et Gérald.

Grâce à sa nouvelle messagère, il avait pu reprendre ses livraisons de fleurs au couvent et ainsi reprendre les moniales sous son contrôle après son cuisant échec de l'automne. Avec son serviteur parti, il devrait s'occuper seul de la renaissance de l'ordre pandorin afin de pouvoir faire revivre le sanctuaire qui permettrait le retour du Grand Maître. Pour cela, il allait devoir être plus vigilant avec sa locataire qu'il ne le fut avec Viviane. Il ne fallait pas qu'elle lui échappât comme la pierre philosophale venait de lui échapper.

Il avait réglé le problème d'Élisabeth de Longueville qui avait voulu protéger la jeune enseignante. Quelques fuites bien organisées sur les réseaux sociaux et les médias locaux avaient eu raison de la réputation de la responsable du meilleur lycée de la ville.

En dépit de son aversion pour les technologies du monde moderne, il avait appris à s'en servir et à les utiliser pour ses sombres desseins.

Minuit sonnait au clocher des pandorines quand il entendit revenir la jeune femme ainsi que son brave Satiricon.

—      Alors ? lui demanda-t-il sans se faire d'illusion.

—      Maître, je crains de n'avoir que des mauvaises nouvelles à vous annoncer.

—      Je m'en doute un peu, mais raconte sans crainte.

—      J'ai pu retrouver la trace de Keireen sans difficulté, elle ne se cachait pas. Elle a très vite compris que ce monde ne serait pas dangereux pour elle et c'est ce qui je pense l'a perdu.

—      Que veux-tu dire ?

—      Keireen est morte… sous le choc, les yeux du comte s'embuèrent de larmes. L'ultime guerrière du clan venait de partir au Valhalla.

—      Elle est morte en combattant. Pour une fois, elle a sous-estimé la puissance et la valeur de ses adversaires. J'ai retrouvé son corps au côté de celui de Sophia.

À ce nom, le comte releva la tête.

—      Sophia ?

—      Oui Maître !

—      Ce qui veut dire que la pierre mène toujours à Athéna ?

—      Oui, je le pense…

Le compte parti d'un grand rire, son acolyte le regarda sans comprendre. Quand il vit le regard perdu du félidé, il lui expliqua.

—      Tout le monde pensait que la pierre philosophale menait à l'immortalité, en fait d'immortalité, c'est celle de la sagesse. La pierre philosophiale aurait-on du dire…

Le serviteur interrompit son maître avec un toussotement.

—      Je pense que tout n'est pas perdu Maître !

—      Comment cela ? Explique-moi !

Ravi de retrouver l'attention du professeur Van Dyck, Satiricon reprit :

—      Lorsque je suis arrivé là-bas, le volcan grondait toujours, mais les souterrains inondés s'étaient vidés et avec mes pouvoirs, j'ai pu franchir les obstacles dressés par les autorités. J'ai retrouvé le lieu où Keireen et Sophia se sont affrontées. Il portait encore les traces de leur combat, mais j'ai pu découvrir les restes d'une sculpture en forme de chouette…

—      Athéna ! Toujours elle !

—      Oui Athéna ! C'est un point de passage vers le monde des dieux. Et si j'ai retrouvé les corps des guerrières, je n'ai pas retrouvé celui des deux humains. Ils n'ont pas été emportés par les flots.

—      C'est normal que tu ne les aies pas retrouvés, Keireen et Sophia étaient de la même nature que toi, les humains ne le sont pas !

—      Vous êtes troublé ? Maître ! Osa-t-il dire, en espérant que le comte ne prendrait pas ombrage de sa réflexion. Avez-vous oublié que ma nature est aussi de séduire les femmes humaines ? Je suis capable de les pister à plusieurs kilomètres de distance."

Van Dyck sourit à cette évocation, ne sachant que trop ce que faisait parfois subir son serviteur aux femmes qui avait le malheur ou la chance, selon ce qu'elles attendaient, de tomber entre ses griffes.

—      Tu veux me dire que tu n'as pas trouvé la jeune femme ?

—      Exactement Maître ! Lorsqu'Asterias est revenu avec le coffre, c'est moi qui suis allé le ranger dans votre cabinet de curiosité. J'ai donc pu sentir et mémoriser l'odeur de cette femme qui l'avait tenu entre les mains.

Le Maître sourit, mais il ne le félicita pas, il ne voulait pas que celui-ci se laissât à prendre trop d'initiatives.

—      Je n'ai pas retrouvé leur corps, mais j'ai surtout senti la présence d'une puissance incroyable, divine devrais-je dire, non loin du portail détruit.

—      La déesse les aurait pris avec elle ?

—      Sûrement Maître ! Mais ils ne sont pas de nature divine, ils ne pourront pas rester là-bas longtemps. Il nous suffit d'attendre qu'ils ressortent.

—      Tu sais comme moi que le temps, dans le sur-monde, ne s'écoule pas comme ici.

—      Oui Maître ! Bien sûr ! Si vous m'y autorisez, je peux rester autour du Pavin jusqu'à leur réapparition. J'ai repéré quelques jeunes femmes très attirantes, finit-il avec un sourire carnassier aux lèvres.

—      Soit ! Vas-y ! Mais fais attention à ce que tu fais.

—      Ne vous inquiétez pas Maître, je serais très discret.

—      Il y en a une à qui tu vas manquer ! Lança le comte.

—      Nos retrouvailles n'en seront que plus agréables.

—      Allez ! File !

Sans se faire prier, Satiricon disparut rapidement en laissant derrière lui flotter un nuage de poussière bleue.

—      Finalement, tout n'est peut-être pas perdu… pensa le professeur. Je connais Athéna, si elle a protégé ce couple de Keireen, elle va continuer à veiller sur eux. Ce qui veut dire qu'elle va leur laisser un objet qui me permettra de remonter aux sources de la pierre philosophale.

Il quitta son fauteuil et se rendit dans sa chambre. Avant de monter les escaliers, il retourna la clepsydre qui marquait le passage du temps dans le manoir.

Pris par d'autres occupations, il en avait oublié la disparition du jeune couple et lorsque Satiricon lui annonça quelques mois plus tard, leur réapparition, il fut surpris.

—      Maître ! Les humains sont ressortis de la montagne ! Regardez la télé !

Le comte alluma de mauvaise grâce son téléviseur et sur les chaînes d'information, il vit apparaître brièvement le couple accompagné par les pompiers dans un hôpital. Le journaliste répétait à qui voulait l'écouter que les jeunes gens auraient simplement dit qu'il ne se souvenaient de rien que pour eux, cela faisait juste quelques heures qu'ils étaient entrés dans un souterrain. Les gendarmes allaient enquêter pour essayer de comprendre comment ils pouvaient en aussi bonne forme après avoir passé tout l'hiver sur les flancs du volcan en éruption.

—      Athéna les a guidés dans le Sur-monde ! pensa-t-il.

—      Satiricon ! Où es-tu ?

—      Derrière vous Maître ! répondit l'homme-chat en tremblant.

—      Je veux que tu les surveilles sans arrêt et rapporte-moi tous leurs faits et gestes. Je suis certain qu'Athéna leur a donné une clé du sur-monde.

—      Bien Maître ! Mais…

—      Quoi, mais ?

—      Vous m'aviez promis que je pourrais revoir Samantha en rentrant.

Van Dyck vit l'air dépité de son sbire.

—      Vas-y je t'accorde cette nuit, mais demain, tu retournes les surveiller.

—      Oui Maître ! répondit-il en sautillant et en disparaissant sans un bruit par la fenêtre de la terrasse d'où il était arrivé.


 

Retour aux catacombes

 

Quelques jours après la dispute entre Jane et Luc, Thibault passa les voir. Il ne les trouva pas dans leur appartement. Il se rendit donc dans l'atelier boutique de Jane qu'il trouva en plein travail. Même si elle avait accepté les explications de Luc, elle lui en voulait encore, elle aurait préféré qu'ils en parlassent ensemble avant.

—      Salut Jane ! Luc n'est pas rentré ?

Elle leva les yeux de son ouvrage et lui sourit.

—      Non, pas encore, avec notre absence, il y a des dossiers qui ont pris du retard. Il reste un peu plus longtemps au bureau en ce moment.

—      Tant pis, je passais pour lui dire que j'avais eu les autorisations pour aller dans les catacombes.

—      Tant mieux, tu pourras le lui dire quand il sera là… Puis elle replongea dans son travail de précision.

—      Jane excuse-moi ! Je ne pensais pas que cela t'affecterait autant, mais Luc et moi sommes comme les doigts de la main depuis que nous sommes enfants.

—      Oh ! Ne t'inquiète pas, je n'ai rien contre toi. C'est à Luc que j'en veux.

—      Il ne pensait pas à mal !

—      Oui, mais s'il ne respecte pas sa parole à ce sujet, puis-je encore lui faire confiance ?

—      Évidemment que tu peux ! Je le connais depuis si longtemps que je sais qu'il ne te fera jamais de mal. Il savait qu'il pouvait m'en parler et que je le croirai. Il avait aussi besoin de m'en parler. Il est avec moi comme il est avec toi, il n'a aucun secret pour moi, comme je n'en ai aucun pour lui… Enfin presque ! Finit-il de dire avec un clin d'œil.

Cette dernière remarque fit rire Jane qui se leva et alla embrasser le jeune homme.

—      Écoute je ferme l'atelier. De toute manière à cette heure-ci plus personne ne viendra puis on va monter attendre Luc.

Quelques minutes plus tard, ils étaient assis sur le canapé du salon. Jane racontait sa version de leur disparition à Thibault.

—      OK, tu me racontes la même chose que Luc, mais tu ne te souviens de rien qui pourrait être différent ?

—      Je ne vois pas. Tout a commencé quand nous avons ramassé ce coffret dans la salle avec la fresque dans les catacombes…

—      Quelle fresque ?

—      Tiens regarde…

Jane sortit alors son téléphone et lui montra ce qu'elle avait filmé lors de leur escapade dans le sous-sol parisien.

—      Je ne l'avais encore jamais vu, il ne s'agissait pas de la salle dont j'avais parlé à Luc…

—      Pourtant, il a suivi exactement tes instructions sur le plan !

—      Oui je me doute, mais je ne comprends pas. Pourrais-tu me donner une copie de cette vidéo, j'aimerais la voir plus en détail.

—      Oui ! Bien sûr ! Je te fais cela de suite.

Pendant que la jeune femme effectuait la copie de son fichier, Luc arriva. Les deux garçons s'embrassèrent comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis de nombreuses années.

—      Que fais-tu là ?

—      Je voulais vous voir tous les deux par rapport à ce que tu m'as raconté l'autre soir…

Luc regarda son amie qui lui souriait.

—      C'est bon, je lui ai moi aussi tout raconté.

Elle tendit à Thibault une carte mémoire.

—      Tiens ! Voici la vidéo.

—      De quelle vidéo parles-tu ? lui demanda Luc.

—      De celle que j'ai prise dans les catacombes…

—      Ah oui ! La fresque ! Je l'avais oubliée.

—      Peux-tu la passer sur la télé, on la verrait mieux que sur l'ordi…

—      Oui je fais cela de suite. Jane relia son ordinateur à l'écran géant et aussitôt ils purent avoir une vision géante de ce qui y était représenté.

—      La lumière est un peu faible et on ne distingue pas tous les détails, mais il me semble que l'on dirait qu'il s'agit d'une ville en bord de mer avec un volcan non loin, et là d'autres volcans avec un symbole sous chacun.

—      Luc, tu te souviens comment rejoindre cette salle ?

—      Oui je pense, mais c'est la salle dont tu m'avais parlé, non ?

—      Non pas du tout, la salle dont je te parlais était une salle où se trouve encore du matériel que les résistants parisiens avaient planqué pendant la guerre. Là, c'est une salle qui semble tout droit sortie du Moyen-Age…

—      Pourtant j'ai suivi exactement les indications que tu m'as données, mais ne t'inquiètes pas, je saurais la retrouver.

—      Oui avec du matériel pour filmer et prendre de meilleures photos.

—      Dites les gars ! C'est bien beau de vouloir y retourner, mais vous oubliez qu'il ne faut pas se faire prendre et que nous avons été suivis là-bas…

—      Nous avons les autorisations nécessaires, ne t'inquiète pas !

—      Si tu le dis !

Sur ces paroles, les trois jeunes gens commandèrent des pizzas pour se restaurer. Jane et Luc se réconcilièrent ensuite sous la couette.

Quelques jours plus tard, Thibault les informait que tout était prêt pour leur exploration du sous-sol parisien et qu'ils seraient même escortés, pour leur sécurité. Il leur donnait donc rendez-vous la semaine suivante devant l'entrée.

Accompagné par deux employés des catacombes, le petit groupe auquel Laurence, la collègue de Thibault, s'était jointe, avançait prudemment dans ces souterrains mal éclairés. À l'embranchement où Luc et Jane avaient quitté le groupe de visite quelques mois plus tôt, ils quittèrent le circuit officiel.

—      Où vous êtes-vous procuré cette carte ? Demanda l'un des employés.

—      C'est un ami qui la possédait et qui m'en a fait cadeau… Il connaissait mon goût pour l'exploration souterraine et me l'a donnée avant de quitter Paris pour la province.

—      Elle est bien plus détaillée que celle que nous avons de ce secteur…

—      Je vous la laisserai quand nous aurons fini, cela pourra vous permettre de mieux connaître ces lieux.

—      Merci !

Ils continuaient leur progression vers la cheminée qui allait leur permettre d'atteindre le niveau de la salle de la fresque.

—      —Vous avez entendu ? chuchota Jane.

Tous s'arrêtèrent en prêtant l'oreille.

—      Non je n'entends rien ! dit l'autre employée des catacombes. Et nous avons fermé la grille après notre passage. Je ne vois pas qui aurait pu nous suivre.

Laurence dirigea sa torche vers l'extrémité du couloir que pointait Jane.

—      Il n'y a rien…

—      Je suis pourtant sûre d'avoir entendu un bruit.

—      Peut-être un rat qui passait. Il y en a tellement… répondit l'employée, blasée.

Alors que les premiers s'engageaient sur l'échelle métallique, Laurence prise d'un doute, refit un balayage du couloir. Son aventure dans le sud avait laissé des traces.

—      Regardez ! Là-bas ! On dirait un gros chat…

Les trois femmes fixaient l'extrémité du faisceau lumineux et purent entrevoir le bout de la queue orangée d'un gros félin.

—      Un chat ! Cela semble énorme…

—      Ils ont de quoi se nourrir dans ce réseau infesté de rats. Mais c'est à notre tour de descendre. Allez-y, je vais fermer la marche.

Quelques minutes plus tard, Luc leur montrait l'entrée de la salle où ils avaient découvert le coffret. Comme eux, la première fois, leurs compagnons étaient éblouis par la beauté irréelle de la fresque. Alors qu'ils mettaient en place le matériel d'éclairage, la jeune femme qui les accompagnait remarqua de nouveau la présence du chat.

—      On dirait qu'il nous a suivis… murmura-t-elle.

—      Qui nous a suivis ? demanda Jane.

—      Le chat, je pense que je viens de l'apercevoir passer en courant devant l'entrée.

—      En parlant d'entrée… dit l'autre employé, pas étonnant que personne n'ait remarqué cette pièce avant vous… Regardez ! Cette porte était cachée par une fine couche d'enduit qui au fil du temps s'est effritée. Tout l'enduit a dû tomber d'un coup.

—      Comment cela ! Demanda Thibault en relevant la tête de la caméra qu'il mettait en place.

—      Regardez ce tas de plâtre au sol…

Ils purent tous voir le petit tas de gravats qui se trouvait devant la porte.

—      C'est bizarre ! dit Luc. Nous n'avons rien remarqué la première fois.

—      Regardiez-vous au sol ?

—      Non ! Nous cherchions la porte et une fois entrés, nous avons admiré la fresque. Et c'est un bruit étrange qui nous a fait repartir. On ne voulait pas être surpris.

Après avoir pris un ensemble d'images et de vidéos ainsi que des mesures au laser de la chambre souterraine, tous regagnèrent la surface.

La place était libre pour que l'espion qui les suivait puisse à son tour faire ses propres recherches. Avec ses sens différents de ceux des humains qui l'avaient précédé, il remarqua de suite des anomalies que Luc et Thibault allaient mettre plusieurs jours à comprendre et surtout il savait lire les caractères écrits sur la fresque. Il prit le temps de mémoriser ce qu'il voyait et ressentait.

—      Le Maître devrait être satisfait de ce que je vais lui ramener, pensa-t-il.

Il reprit sa forme féline et quitta discrètement le sous-sol parisien non sans avoir prélevé sa part sur les rats qui fuyaient devant son passage. Le retour au manoir allait être long, il était préférable d'avoir l'estomac rempli.

La fresque

 

Après avoir passé de longues heures sur les images et les vidéos prises dans les catacombes, Thibault avec l'aide de Laurence, put enfin apporter une première réponse aux interrogations de Luc et Jane. Il leur proposa de passer le voir un soir pour leur donner ses premiers résultats. Ils s'installèrent dans une salle de réunion et il projeta sur le mur ce qu'il avait pu découvrir. Paul, le responsable de Thibault, était présent aussi. C'est lui qui commença à parler.

—      Ce que vous avez découvert est assez surprenant car cela correspond à une fresque bien plus ancienne que vous ne le pensiez.

—      Expliquez-nous ! dit Jane.

—      Quand Thibault m'a montré les premières photos, je me suis douté que ce n'était pas une fresque réalisée au Moyen-Age, les personnages représentés ne ressemblent pas à ceux que l'on voit sur les fresques de cette période… De plus les lettres utilisées ressemblent à celles de l'alphabet runique…

Il les regarda digérer cette information.

—      Mais les runes étaient utilisées par les Vikings…

—      Oui Jane ! Vous avez raison. Mais dans ce cas elles sont bien plus anciennes. J'ai fait dater les pigments utilisés pour peindre et vous n'allez pas en croire vos oreilles.

Ils étaient tout ouïe.

—      Ces pigments datent d'environ mille ans avant notre ère.

—      Mais c'est impossible ! rétorqua Luc. Cette fresque semble avoir été peinte il y a quelques mois.

—      Oui ! Et c'est ce qui est intrigant. Les pigments datent d'environ trois mille ans, mais les outils utilisés pour faire la fresque ne datent que de moins de cent ans.

Luc et Jane se regardèrent.

—      Les passages ! dirent-ils en chœur.

Paul les fixa intrigué, les passages, avez-vous dit ? Vous connaissez leurs existences ?

—      Les deux jeunes gens lui racontèrent donc leur histoire. Il les écouta sans ciller puis il reprit la parole.

—      Je me doutais bien que votre histoire cachait ce genre de choses. Mon épouse m'a souvent parlé de ces passages. Elle est convaincue de leur existence même si elle n'en a jamais franchi un seul. Elle me répète qu'elle est capable de sentir leur existence et de les traverser comme tous les membres de sa famille.

—      Alors que cache cette fresque ? Insista Jane.

Thibaut prit alors la parole.

—      Il semble que ce soit une carte qui indique l'entrée de différents tunnels permettant d'accéder au "Sur-monde".

—      Le "Sur-monde" ?

—      Oui, ce serait un lieu où le temps et l'espace seraient différents du monde dans lequel nous vivons. Sur la fresque, nous voyons représentés cinq volcans dont le Pavin, et le pic de Taranis en Bretagne. Il y aussi un lac au sud de Paris, la forêt de Brocéliande, l'entrée d'une grotte dans le sud de la France…

—      Tous ces points seraient des points de passages ?

—      Exactement ! C'est ce que nous pensons tous les trois, dit Laurence.

—      Mais s'ils sont si nombreux, pourquoi personne n'en parle nulle part ?

—      Parce que rares sont ceux qui peuvent les franchir. Élisabeth me dit qu'elle en a la possibilité, mais elle ne l'a jamais fait. Elle a trop peur de ce qui pourrait se passer.

—      Comme ressortir des années après y être entrée ?

—      Exactement…

—      Nous avons eu de la chance alors ?

—      Sûrement, mais vous étiez sous la protection d'une déesse et je pense que vous l'êtes toujours.

—      Pourquoi ?

—      Parce que si j'en crois la suite du texte que nous avons pu déchiffrer, il y a un terrible conflit qui affecte le "sur-monde". Un conflit dont certains acteurs sont humains et d'autres non-humains. Il y avait dans cette pièce un objet que vous avez trouvé et qui est au centre de ce conflit. En le découvrant et en l'utilisant, vous êtes au centre de la guerre, compléta Laurence.

—      Sommes-nous en danger ? demanda Jane, inquiète.

—      Je ne pense pas., Mais je pense que vous trouverez d'autres réponses en vous rendant en Bretagne, ajouta Paul.

—      Pourquoi la Bretagne ?

Thibault étala une carte allant de Saint-Malo à Rennes.

—      Regarde Luc ! Ici se trouve le pic de Taranis qui est entré en éruption en même temps que le Pavin. Au centre de la ville se trouve un ancien monastère encore en activité, occupé, par une congrégation de religieuses assez étranges. Le couvent comporte une église, mais cette congrégation n'est pas reconnue par Rome.

—      Ce ne sont pas des religieuses catholiques ?

—      Impossible de le savoir, personne n'assiste à leurs offices. Elles vivent du produit de leur potager et surtout d'un alcool qu'elle produise dans le couvent.

—      Un alcool aux propriétés particulières, précisa Laurence.

—      Il serait aphrodisiaque d'après certains ! reprit Thibault. Ce qui expliquerait son succès aujourd'hui. Mais il semble qu'autrefois, il servait lors de séances d'exorcisme.

—      Et pourquoi nous parler de ce couvent ? demanda Jane.

—      Il semble que depuis quelques mois, il soit à l'origine de manifestations étranges. Les voisins se plaignent de bruits pendant la nuit et parfois il y aurait des éclairs de lumières qui seraient visibles au travers des vitraux de la chapelle…

Coupant la parole à son chef, Thibaut enchaîna.

—      Ce n'est pas tout !

Avec son index, il montra cinq points sur la carte. Ses points forment les sommets d'un pentagone, mais ce peut être aussi les sommets d'une étoile à cinq branches. Il commença à dessiner sur la carte.

—      Un pentacle ! dit Jane.

—      Exactement, ce monastère des pandorines est le centre d'un pentacle.

—      Mais ! Un pentacle n'est-il pas fait pour invoquer des démons ?

—      Si ! Tu as raison Luc. Et un pentacle de cette taille pourrait faire apparaître une créature d'une puissance extraordinaire.

Les regards se tournèrent vers Laurence qui continua.

—      J'ai fait des recherches sur ces points. Ils correspondent aux plus anciens bâtiments de la ville. Elle montrait les sites les uns après les autres en commençant par celui le plus au sud.

—      Un lycée, ancien séminaire. Un immeuble d'habitation, autrefois un petit manoir fortifié. Une magnifique demeure datant de la renaissance, mais bâtie sur un ancien temple romain. Le phare ! dit-elle en pointant son doigt sur une île au centre de la baie. Et un manoir, habité depuis des générations par la même famille, la famille des comtes Van Dyck…

À ce nom, Jane et Luc sursautèrent.

—      Van Dyck ! dit Luc.

—      Oui pourquoi ? demanda Laurence.

—      Athéna nous a parlé de lui, comme étant un "Appelé" qui aurait retourné sa veste et chercherait à éliminer les anciens dieux les uns après les autres.

—      Je pense que nous devons nous rendre là-bas ! dit Jane.

—      Oui tu as raison. Il va faire beau, ce sera l'occasion d'un petit séjour au bord de la mer.

—      Mon ami Gérald vit là-bas.

—      Qui ?

—      Celui qui m'a donné la carte des catacombes. Vous devriez aller le voir, il pourra peut-être vous aider, surtout si vous devez entrer dans des souterrains. C'est le seul type que je connaisse qui a une boussole dans le crâne, il sait toujours où nous sommes.

—      Oui si tu veux. On passera le voir.

Au cours de la soirée, Paul continua à expliquer ce qu'ils avaient pu mettre en évidence avec la fresque et il finit en disant que le service des catacombes avait de nouveau muré l'entrée pour éviter qu'elle soit dégradée.


 

Villégiature

 

Les jours qui suivirent, Luc et Jane se préparèrent pour ce court séjour sur la côte Bretonne. En ce milieu de printemps, le soleil était au rendez-vous et ils espéraient pouvoir profiter de ce week-end prolongé. L'ami de Thibault leur avait proposé de les héberger chez lui. Il avait hérité d'une grande maison dans laquelle il vivait seul avec sa compagne et il avait de la place à revendre.

Gérald les attendait à la gare. Ils le reconnurent sans difficulté, car comme le leur avait précisé Thibault, il était toujours vêtu de noir et ses cheveux ébènes contrastaient avec la pâleur de sa peau. Mais ce qui impressionna le plus Jane, fut ses yeux d'un vert émeraude comme elle n'en avait jamais vu.

—      Merci de nous accueillir ! dit Luc en le saluant.

—      Les amis de Thibault sont mes amis et quand il m'a parlé de votre aventure et de votre quête, j'ai pensé que je pourrais peut-être vous aider.

Jane et Luc se regardèrent en se demandant ce que Thibault avait pu lui raconter. Il lui avait demandé d'être discret car ils craignaient que si leur histoire s'ébruitait, ils auraient bien vite à leur trousse tous les amateurs d'ésotérisme.

—      Disons que nous aimerions découvrir qui est ce fameux comte Van Dyck et quels sont les secrets qu'il cherche à dissimuler…

Gérald les attrapa rapidement par le bras en les conduisant jusqu'à sa voiture, un véhicule de collection datant des années soixante.

—      Chut ! Ne dites pas ce nom trop fort ici. Il a des espions partout dans la ville…

Ils étaient de plus en plus intrigués, mais ils ne prononcèrent plus une parole avant d'être dans la voiture.

—      Maintenant, nous pouvons parler tranquilles…

—      Il est si dangereux ? interrogea Jane.

—      Il n'est dangereux que pour les gens qui contrarient ses projets, sinon il ignore les autres.

—      Mais qui est-il ?

—      C'est un grand mystère, toujours est-il que sa famille est installée ici depuis des siècles et ce sont eux qui ont construit le manoir que vous pouvez voir sur la colline en face de nous, au milieu du quinzième siècle.

Ils découvraient cette bâtisse imposante et sombre dans le soleil couchant.

—      Même si le château comme nous l'appelons ici et son parc sont toujours dans un parfait état et les haies taillées aux cordeaux, très peu de monde entre dans le parc.

—      Il doit bien falloir du monde pour l'entretenir ?

—      Vous avez raison, Luc. Mais le personnel d'entretien ne sort que rarement du parc. La seule personne qui en entrait et en sortait régulièrement est mon amie que vous verrez ce week-end. Le comte lui louait une chambre en échange de menus services.

Ils sourirent. Décidément, cela semblait si simple, à peine arrivé et ils allaient être en contact avec une personne qui connaissait le comte.

Gérald continuait sa visite touristique du centre-ville.

—      Ma maison est de l'autre côté de la ville, mais avec les sens interdits dans la vieille ville, il faut faire tout le tour.

—      Ce n'est pas grave, nous avons le temps ! dit Jane.

—      Oui ! Mais Viviane vous attend avec impatience, elle a hâte de rencontrer des célébrités, dit-il en clignant de l'œil.

—      Des célébrités, c'est vite dit, on est passé une fois au journal…

—      Vous êtes passé en boucle pendant deux jours, mais vous avez frustré les journalistes avec votre réponse : On ne se souvient de rien !

—      C'est une réalité, pour nous cela ne nous a pas semblé durer plus d'une journée…

—      Je le sais, ne vous inquiétez pas. J'ai connu ce genre de situation aussi, mais nous en parlerons en dînant.

Sans leur laisser le temps de répondre, il enchaîna sur les divers monuments qu'ils longeaient. Il leur expliqua que la cité avait été construite en étoile depuis le monastère qui en était le centre et qu'au sommet de chaque pointe, se trouvait un temple. Le manoir du professeur avait été construit sur un de ces antiques lieux de culte ainsi que sa maison. Il ajouta que la pointe au nord de la ville, le couvent et le cratère du pic de Taranis étaient parfaitement alignés.

—      Vous verrez que cette ville regorge de symbole ésotérique à qui sait regarder…

—      Pourtant ce qui en fit sa renommée fut plus ses marins et ses armateurs que la magie… l'interrompit Luc.

—      Oui c'est vrai ! Mais je pense que cette intrépidité de nos marins fut encouragée par certaines personnes qui avaient intérêt à ce que l'attention des gens ne soit pas braquée vers eux… D'ailleurs les touristes qui viennent, ne prêtent pas attention au manoir du comte, au monastère et encore moins à ma maison. Ils viennent pour la plage, les histoires de marins, d'aventuriers et en hiver pour le ski sur les pentes du Taranis.

—      Cet hiver, ils ont dû être frustrés, non ? dit Jane

Elle regardait vers les sud les derniers rayons du soleil éclairer le sommet du volcan. Les récentes cendres volcaniques lui donnaient une couleur apocalyptique avec les nuages rouges qui entouraient son sommet.

—      Vous n'avez pas eu peur lors de l'éruption de l'automne ?

—      Les vents ont poussé le nuage de cendres vers le sud-est, elles ont juste recouvert la forêt qui s'étalait sur ses flancs, mais ce ne fut pas une éruption violente. Par sécurité, la station de ski n'a pas ouvert, mais rien de comparable au Pavin. Et chose étrange, tout s'est arrêté le jour de votre réapparition.

—      Le hasard ! souffla Luc.

—      Oui ! Le hasard sûrement, mais nous arrivons !

Gérald s'engagea sur une allée gravillonnée et entra la voiture dans le garage attenant à la maison, une villa d'architecte de l'après-guerre tout en cube.

Dans le salon, Viviane les attendait souriante.

—      Merci pour votre accueil, dit Jane en souriant.

Répondant à son sourire, leur hôtesse lui répondit :

—      De rien ! Installez-vous. J'ai préparé quelques petites choses à grignoter pendant que vous nous raconterez vos aventures. Je crois que nous avons beaucoup de choses en commun.

Les deux jeunes gens étaient de plus en plus déboussolés. Pendant que Gérald ouvrait une bouteille de Sauternes d'un grand millésime, ils s'assirent autour de la table basse recouverte de petits amuse-gueules.

—      Que voulez-vous dire par "nous avons beaucoup de choses en commun" ?

Viviane sourit à Luc.

—      Gérald est le descendant d'une famille qui depuis toujours veille sur certains lieux "magiques". Quand je l'ai rencontré, il m'a fait visiter et il vous conduira à des grottes qui devraient vous rappeler quelque chose.

Jane se tourna vers leur hôte.

—      Oui ! Quand j'ai laissé la carte des catacombes à Thibault, je pensais que ce serait lui qui découvrirait cette pièce. J'ai été très surpris de vous découvrir à la télé.

—      Mais pourquoi lui ?

—      Parce qu'avec son chef, Paul, il a déjà exploré les entrées du sur-monde. Ils n'ont pas la possibilité de franchir les portails comme vous l'avez fait, mais il pouvait les étudier.

—      Oui nous l'avons traversé grâce à la pierre, mais qu'est-ce que cela change ?

—      Pour traverser ses passages, il faut posséder une pierre comme celle que vous aviez ou alors être un "Appelé" ou un de ses descendants.

—      Ce n'est pas si simple ! compléta Gérald. Il faut descendre d'un Appelé, c'est sûr, mais il faut aussi que les gènes de cet Appelé ne soient pas trop dilués.

—      Athéna nous a parlé des "Appelés", en effet !

—      Les mots de Jane figèrent Gérald et Viviane. Il fut le premier à se remettre.

—      Vous avez rencontré la déesse Athéna ?

—      Oui lorsque nous avons franchi le portail. C'est elle qui nous a sauvés des griffes d'une envoyée du comte Van Dyck.

—      La situation doit être plus grave que je ne le pensais alors, dit-il en frissonnant. Pour qu'une déesse en personne intervienne, c'est que le professeur Van Dyck est bien près de réaliser ses sombres desseins. Que vous a-t-elle dit ? Vous a-t-elle confié quelque chose comme ceci ? Acheva-t-il de dire en sortant de sous sa chemise une pierre aussi verte que ses yeux.

—      Vous êtes inquiétant. Que désire-t-il tant que cela ? Athéna nous a dit qu'il était un Appelé, il peut donc voyager comme il l'entend au travers des portails.

—      En théorie, oui ! Mais quand il a commencé à vouloir modifier le cours de l'histoire selon son envie et non pour accompagner l'évolution de l'Humanité, il a perdu ce pouvoir de voyager.

—      Vous aviez dit que c'était quelque chose de génétique…

—      En effet, mais il existe une puissance bien supérieure à celle des dieux et des déesses… et c'est cette puissance que le conte Van Dyck veut défier et mettre à mal.

—      Comment peut-il faire ? On a tous été témoin de la puissance d'Athéna ! Et je ne suis même pas sûre qu'Athéna y ait été pour grande chose, c'est plutôt le combat entre Keireen et Sophia qui a dégagé toute cette énergie.

—      Keireen ! Vous dites ?

—      Oui Keireen a surgi derrière nous au moment où Jane a posé la pierre dans l'œil de la chouette…

—      Attendez ! J'ai du mal à vous suivre. Reprenez votre histoire dès le début, à partir du moment où Thibault vous a donné une copie de la carte.

Luc raconta une nouvelle fois leurs aventures. Gérald écoutait et il demandait des précisions sur ce qu'il avait pu ressentir ou voir à certains moments bien précis. Tout en parlant, il réfléchissait à ce qu'ils allaient bien pouvoir faire pour contrecarrer les plans machiavéliques de cet homme.

—      Avez-vous remarqué des chats ou des gros félins ?

—      Oh oui ! s'exclama Jane. Lors de notre deuxième visite dans les catacombes, j'ai cru apercevoir un gros chat orangé.

—      Ce n'est pas bon signe !

—      Pourquoi ?

—      Il s'agit de l'âme damnée du comte. C'est lui qui se charge de toutes les basses besognes.

—      C'est juste un gros chat !

—      Oh non ! intervint Viviane. Ce n'est pas un gros chat ! C'est un démon, une créature infernale.

—      Oui ! Comme vous l'a dit Athéna, le professeur a utilisé ses pouvoirs pour attirer vers lui et les asservir à ses besoins des créatures du sur-monde. Si vous me dites que vous avez dû affronter Keireen cela veut dire que ses pouvoirs ont terriblement augmenté. En disant cela, il regarda sa compagne. Peut-être est-ce lié à toutes les livraisons que tu as faites pour lui au couvent lors des premiers mois de ton arrivée ?

Viviane baissa le regard comme une enfant prise en faute.

—      Je ne le savais pas. Cela faisait partie de mon contrat de location, assurer des livraisons pour lui en échange de ma chambre.

—      Je le sais ma chérie, je ne t'en veux pas. Tu ignorais qui était vraiment le compte…

—      Et il est si charismatique…

—      Il se fait tard, conclut Gérald. Nous devrions aller nous coucher et nous verrons demain matin ce que nous pouvons faire.

Ils ramassèrent les restes du repas et Gérald leur fit rapidement visiter la maison avant de les accompagner dans leur chambre. C'était une sorte de petit appartement indépendant en duplex dans un des cubes satellites du bâtiment principal.

—      Vous serez au calme ici. Avec Viviane, nous occupons le satellite opposé. Installez-vous tranquillement, et à demain !

—      A demain et merci Gérald ! lui dirent-ils.

Jane et Luc ne purent résister à la tentation d'admirer le spectacle nocturne que leur offraient la ville et la baie.

—      C'est vraiment magnifique, j'espère que demain, nous pourrons faire un tour dans le centre-ville.

—      Oui j'en suis sûr. Nous sommes là pour quelques jours et nous allons en profiter.

—      Ce clocher m'intrigue… dit Jane en montrant le couvent. On a l'impression qu'il n'a rien à faire ici. Regarde, ses pierres noires tranchent avec la couleur des autres bâtiments.

—      Nous irons demain pour voir cela de plus près. Je suis fatigué ce soir ! lui répondit Luc en s'étirant et en s'allongeant sur le lit.

—      Luc !... Viens voir !... Ah, trop tard !

—      Qu'y a-t-il ?

—      J'ai cru voir passer le félin qui j'avais aperçu dans les catacombes.

Luc se releva et rejoignit sa compagne près de fenêtre.

—      Où cela ?

Jane tendit le bras vers un bosquet qui cachait le mur d'enceinte.

—      Derrière ces arbustes…

—      J'irais voir demain matin, lui dit-il.

Ils se couchèrent, mais leur sommeil fut parcouru de rêves étranges qui les menaient du couvent, au volcan en passant par l'inquiétant manoir du comte.


 

Malédiction

 

Après que ses hôtes se furent retirés dans leur chambre, Gérald monta dans sa bibliothèque. Depuis la fenêtre, il pouvait voir le manoir du comte et apercevoir la faible lueur qui éclairé le salon principal du château. Il resta pensif quelques instants. Qu'as-tu trouvé pour avoir envoyé tes meilleurs acolytes à la poursuite de ces deux enfants ?

Il se souvenait de ses siècles passés à tenter de contrer les efforts de Van Dyck et de ses alliés, autant de brillantes victoires que de cinglantes défaites. Nombre de ses amis et compagnons avaient perdu la vie dans ce combat. Depuis qu'il avait rencontré Viviane, il revenait à la vie. Il allait devoir bientôt lui dire qu'il devrait la quitter, la laissant seule avec son enfant dont il savait que ce serait une petite fille. Depuis des générations, c'était des filles et il était le père de la génération suivante. Comment allait-elle réagir ? Pour le moment cette pensée était loin de ses préoccupations. Il étalait sur le bureau un vieux parchemin qui représentait le réseau souterrain qui s'était développé dans les entrailles du pic de Taranis. C'est là qu'il allait devoir une nouvelle fois affronter le professeur Van Dyck.

Depuis sa dernière incarnation, il ne s'était pas passé grand-chose. Le volcan était resté endormi pendant des millénaires et ce n'était pas les soubresauts de l'automne qui avait modifié de manière importante les cavernes multimillénaires. Il repéra la caverne du dragon. Avec Luc, il pourrait l'atteindre sans difficulté et réveiller le monstre qui y était endormi.

Pourraient-ils seulement limiter son réveil pour ne pas mettre en danger trop d'innocents ? Il repensait à son combat sous le Vésuve, il y avait presque deux mille ans. L'affrontement avait été si violent que toute une cité avait été engloutie par la lave et Vesta y avait perdu la vie. Van Dyck ou plutôt Manannan Mac Lir à l'époque avait dû fuir et avait trouvé refuge ici dans une grotte qui se trouve sous le manoir actuel. Gérald retrouve les écrits correspondant à ce que les Veilleurs et leurs alliés avaient pu recueillir sur les pérégrinations de Van Dyck depuis cette époque.

Taranis, l'un des veilleurs avait surveillé leur vieil ennemi pendant de nombreux siècle. Il s'était passé ce qui devait arriver, profitant d'un moment d'inattention de son gardien Manannan disparu de sa grotte et de la petite forteresse noire qu'il avait commencé à faire ériger. Pendant plusieurs siècles, les veilleurs ont perdu sa trace avant de la retrouver dans les montagnes de Transylvanie. C'est à cette période qu'il était intervenu de nouveau pour obliger celui qui se réussissait à se nourrir de l'énergie émotionnelle des humains à revenir s'enfermer dans son château de Bretagne.

Cette dernière bataille l'avait laissé quasiment pour mort et c'est grâce à l'amour qui lui portait une mortelle porteuse du Sang Sacré qu'il resta en vie. Malheureusement pour eux, elle lui permit de survivre en utilisant un sort qui allait la lier à lui à jamais au travers de ses descendantes. Il devrait engendrer à chaque génération celle qui allait lui donner l'énergie vitale. Ses filles et petites-filles seraient à la fois les mères et les grands-mères de ses enfants. Et à chaque génération, la jeune fille qu'il aimait mourrait en mettant au monde sa fille.

Depuis des siècles, cette malédiction les poursuivait, lui et ses filles, depuis maintenant des siècles. Il savait qu'il n'y avait qu'un moyen de la lever, mais cela mettrait fin à ses jours. Mais tant que Van Dyck était en vie, il ne pourrait pas le faire. Pourtant cette fois-ci, l'attachement qui le liait à sa fille, petite-fille était si fort qu'il aurait peut-être la force d'agir pour la sauver, elle et le fils qu'elle portait.

Il chassa ses pensées de son esprit pour se replonger dans ce qui les préoccupait. Comment mettre le professeur hors d'état de nuire définitivement. L'avènement de l'informatique et des réseaux de communication lui était d'une grande aide. Il devait reconnaître que les hommes avaient fait de grands progrès même s'il allait devenir de plus en plus difficile de rester discret.

Depuis maintenant plus de six mois qu'il était revenu, il avait parfaitement intégré ces nouvelles technologies et avec la fresque de Paris et divers artéfacts dont lui avait parlé Luc pendant le repas, il put rapidement trouver ce qu'il cherchait. Il laissa son ordinateur continuer à analyser les résultats de ses recherches et il alla se coucher auprès de sa tendre et douce.

Il releva les divers sorts qui protégeaient la maison avant de s'endormir, mais il n'entendit pas le miaulement de douleur qui retentit dans le jardin.


 

La broche

 

Au matin, alors qu'ils prenaient leur petit-déjeuner au soleil sur la terrasse couverte, Gérald présenta à Luc et Jane le résultat de ses recherches nocturnes.

—      Si je ne me suis pas trompé, l'entrée de la grotte qui vous permettra de rejoindre le portail devrait se trouver au pied de ce village, leur dit-il en indiquant une localité qui se trouvait au pied du volcan. Le seul problème c'est que l'éruption de l'automne à fait trembler tout ce secteur et il y a eu beaucoup d'éboulement.

—      Nous verrons bien ! Si nous la trouvons tant mieux, sinon cela nous aura donné l'occasion de passer quelques jours au bord de la mer, répondit Luc.

—      Dites ! Vous n'avez pas entendu miauler hier soir ? demanda Jane.

—      Je me suis endormie très vite, je n'ai rien entendu.

—      J'ai cru entendre quelque chose en me couchant, mais je n'y ai pas prêté attention…

—      Je demande cela car il m'a semblé voir quelque chose bouger dans le buisson près du mur.

Jane pointa du doigt l'arbuste et les deux hommes se levèrent pour aller voir. Luc passa entre le mur et le bosquet et se pencha.

—      Qu'est-ce ? demanda-t-il en présentant une sorte de petite broche bleue à Gérald.

—      Attention ! Ne te pique pas avec ! cria Gérald l'air inquiet. J'espère qu'il n'en a pas d'autres… Il regarda partout dans les environs et parut soulagé en se relevant.

—      Non ! C'est bon… Retournons sur la terrasse.

Luc tenait la broche entre ses doigts avec précaution et la déposa sur une serviette en papier. Avant que personne ne puisse réagir, Jane tendit la main vers le bijou sous le regard horrifié de Viviane.

—      Aïe ! dit-elle en portant un doigt à sa bouche. Gérald tendit la main pour l'empêcher de lécher la goutte de sang qui perlait, mais le mal était fait.

—      Je crains que notre quête devienne plus complexe. Ce bijou provient du manoir du comte. J'ignore si son sbire l'a abandonné ou perdu, mais Jane, je vous en supplie, ne rester pas seule lorsque nous sortirons en ville.

Jane le regardait sans comprendre.

—      Ce n'est qu'une simple piqûre !

—      Oui, mais une piqûre avec une fleur cristallisée de pandora, une plante très rare que le Comte fait pousser dans ses serres. Son pollen a des effets très particuliers. En particulier, d'exacerber la libido chez les humains et surtout de les rendre plus facilement manipulables. Je ne sais si cette broche en était couverte, mais j'en ai été victime lorsque je vivais chez le comte et je connais très bien l'efficacité de cette drogue, lui expliqua Viviane.

Jane sentit une bouffée de chaleur remonter de son ventre et se redressa sur sa chaise.

—      Excusez-moi ! J'ai besoin d'aller me rafraîchir.

—      Oui, je comprends, lui dit Gérald. Il retint Luc par le bras. Non ! laisse-la seule, sinon tu pourrais être affecté par la pandora.

—      Je comprends, dit-il en regardant sa compagne entrer dans la maison. Que va-t-il lui arriver ?

—      Je l'ignore. Notre ancienne directrice au lycée est entrée dans une phase d'excitation sexuelle intense et a dû être internée après s'être piquée avec une broche similaire que Van Dyck avait offerte à Viviane en remerciement d'un service. Elle est toujours en soin à l'hôpital selon les affirmations du lycée, mais en réalité elle est partie loin de cette ville et du comte pour échapper à cette drogue.

Pendant que Jane tentait de calmer les ondes de chaleur qui la traversait, Gérald expliqua à Luc ce qu'il avait prévu pour la journée. Il lui proposait de lui faire découvrir la vieille ville et de se rendre au monastère puis au phare de l'île. Ils pourraient ainsi recouper des indices gravés sur les pierres de ces monuments avec ceux qu'ils avaient déjà avec la fresque et le parchemin du coffret. Il souhaitait que Jane et Viviane restassent à la maison où elles seraient à l'abri des machinations du comte.

—      Enfin je l'espère ! finit-il par dire dans un souffle. Mais il devient si puissant…

Quelques minutes plus tard, Jane les rejoignit vêtue d'une robe légère. Elle avait pris une douche et avait encore les yeux brillants.

—      Ça va ma chérie ? demanda Luc, inquiet.

—      Oui ! Mais je n'ai jamais rien ressenti de pareil. Je me demande ce que c'est. C'est violent.

—      Oui ! J'espère que tu n'en as pas absorbé beaucoup sinon cela va prendre du temps à passer.

Viviane expliqua à Jane ce qu'ils avaient décidé en son absence. Elle accepta en disant que ce serait préférable, car si elle était encore sujette à ce type de bouffées de chaleur, il valait mieux qu'elle soit ici qu'en ville. Et elle comprenait que Gérald fut inquiet pour sa sécurité.

Une fois prêts, les deux jeunes hommes se rendirent en ville dans une voiture moins visible que la Panhard. Viviane invita Jane à se reposer au soleil sur la terrasse.

—      Avec le réchauffement climatique, on commence à bien pouvoir profiter de la terrasse, même en Bretagne.

Jane rit aux éclats et s'installa sur un transat à côté de sa nouvelle amie. Toute la matinée, elles se racontèrent leur vie et Viviane la questionnait sur sa vie en Afrique du Sud et sur ses créations.

—      Dès que Gérald estimera que la situation est sans danger, je t'emmènerai voir quelques boutiques dans le centre. Tu y trouveras peut-être de l'inspiration.

—      Oh oui ! Avec plaisir !

Soudain, un bruit sourd se fit entendre. Aucune des deux jeunes femmes n'avait remarqué les ombres félines qui s'étaient approchées furtivement. Quand elles tournèrent la tête, il était trop tard. Un nuage bleu les entourait.


 

Enlèvement

 

De son manoir, le comte Van Dyck suivait les évènements au fur et à mesures que ses petits espions les lui rapportaient.

Quand Satiricon était revenu de Paris, il lui avait redessiné la fresque de mémoire sans omettre un détail. Il avait alors repris son rôle de professeur afin d'en comprendre les subtilités. Comme il s'en doutait, il y avait bien un lien entre la pierre philosophale et le réveil des volcans. Cela faisait plusieurs jours qu'il se demandait par quel moyen il allait pouvoir activer toutes les clés en même temps pour ouvrir le portail.

Cela faisait des siècles qu'il avait renoncé à son humanité pour réaliser son œuvre, permettre à son Maître de fouler de nouveau le monde des hommes. En renonçant à celle-ci, il avait aussi les pouvoirs qu'il avait reçus en tant qu'Appelé de la Dame, celui de pouvoir passer entre les mondes et de découvrir les secrets de la Grande Bibliothèque. Il avait besoin de ce savoir pour l'invocation finale qui allait abaisser la barrière et faire débuter le règne du Grand Maître.

—      Qu'as-tu découvert de plus sur ces jeunes ?

—      Ils semblent avoir découvert comment entrer dans la Bibliothèque.

—      Vraiment, et comment cela ? La pierre a disparue lors de la catastrophe du Pavin.

—      Apparemment, Athéna leur aurait donné une pierre pour franchir les portails.

Songeur, le comte resta silencieux quelques instants. Il se leva de son fauteuil et alla contempler le sommet du Volcan.

—      Je m'en doutais ! murmure-t-il. Les dieux ne se serait pas contentés d'une seule clé au risque de la perdre.

—      Retourne là-bas et essaye de récupérer cette pierre.

—      Pas besoin, Maître ! Ce sont eux qui vont venir à nous. J'ai appris qu'ils allaient arriver dans les prochains jours. Et s'ils ne changent pas leurs habitudes de voyage, ils arriveront par le train.

—      Alors surveille la gare et ne les lâche plus d'une semelle !

—      Oui Maître ! Répond Satiricon en s'inclinant bassement devant le vieillard, avant de sortir de la pièce.

Interpellant une jeune servante nouvellement arrivée au manoir, Satiricon lui dit : le Maître va avoir besoin de se nourrir, vous devriez vous enquérir de ses exigences !

—      Oui ! fit-elle en frissonnant.

Elle ne savait que trop ce que cela signifiait pour elle, mais elle savait aussi qu'elle ne pouvait plus résister à l'appel du comte. Le démon félin regarda la jeune femme entrer en tremblant dans le bureau du professeur. Quelques minutes plus tard, des cris et des gémissements qui ne laissaient aucun doute sur ce qui étaient en train de se passer, se firent entendre.

Prenant une forme humaine, le monstre sortit du manoir et commença sa surveillance de la gare, non sans laisser échapper des effluves de phéromones sur son passage. C'est ainsi qu'il put apercevoir Luc et Jane être accueillis par Gérald.

—      Le Maître ne va pas être content ! Pensa-t-il, cet homme est encore là.

Il les suivit discrètement jusqu'au parking dans l'espoir d'en apprendre davantage mais les seules paroles qu'il put surprendre étaient sans intérêt. Il ne pouvait pas s'approcher plus et lorsque que les trois jeunes gens s'engouffrèrent dans la voiture, il décida de se rendre à la villa de Gérald.

Il prit le temps de traverser la ville à pied et comme à son habitude de repérer les victimes éventuelles de ses maléfices, le professeur avait besoin de plus en plus fréquemment de vampiriser l'énergie psychique des humains. Son état se dégradait de jour en jour et de plus en plus vite depuis que Viviane avait quitté le manoir.

Il se retrouva au pied du mur de la propriété. Il pouvait sentir les sorts de protection qui l'entourait. Cela faisait des années qu'il se tenait loin de cette maison. Il conservait encore un cuisant souvenir de sa dernière visite et il n'avait dû son salut qu'à sa capacité de métamorphose et de fuite. Avec prudence, il faisait le tour de la propriété, testant les protections. Il découvrit une faille dans le bouclier, causée par un arbre qui avait grandi depuis sa mise en place. Il reprit sa forme préférée et grimpa sur une branche. Installé assez confortablement, il pouvait voir sans risque les deux couples dans la maison mais, il ne pouvait rien entendre.

Il aperçut Jane montrer la pierre qu'elle portait en pendentif et fut traversé d'un frisson de plaisir. Il lui fallait trouver un moyen de s'emparer de cette pierre. Il fut surpris de découvrir le ventre arrondi de Viviane. Elle avait respiré le pollen de la pandora et n'aurait jamais dû pouvoir être mère, encore un mystère à éclaircir. Pendant qu'il réfléchissait à toutes ces questions, il ne prit pas conscience du temps qui s'écoulait. Il fut surpris et laissa échapper un puissant miaulement qui faillir le faire découvrir au moment où Gérald réactiva les protections. D'un bond, il sauta au bas de l'arbre et une broche qu'il portait sur son pelage orangé tomba de l'autre côté du mur derrière un buisson.

Il pesta car elle signait son passage et il espérait qu'elle ne serait pas découverte trop tôt. Si elle ne tombait dans les mains de la bonne personne, cela en était fini de sa vie terrestre, le comte ne le lui pardonnerait jamais un nouvel échec.

Il n'osa pas rentrer au manoir bredouille et décida de passer voir son amie humaine dans un autre quartier de la ville. Une nuit de détente lui ferait du bien et lui permettrait d'être mieux de sa forme le lendemain.

Au petit jour, il fut appelé par un appel psychique du comte. Il n'avait aucun moyen de se soustraire à son emprise et ce fut penaud et la queue basse qu'il se présenta à son Maître.

—      Je croyais t'avoir dit de ne pas les lâcher d'une semelle ?

—      Oui Maître… Je suis désolé…

—      Tu peux oui ! Que faisais-tu en compagnie de cette catin au lieu de rester à surveiller nos tourtereaux ?

—      Gérald a relevé les barrières, je n'ai pas pu rester mais j'ai déposé ce que vous savez au pied d'un buisson. Je suis sûr que la femme va la retrouver.

—      Déposé ou perdu ?

—      Déposé, Maître, j'ai pris garde à ce que mon dépôt soit remarqué. En réalité, il avait juste vu les Jane regarder dans sa direction quand il avait crié mais il ne pouvait pas avouer son fiasco à son maître. Il se souvenait encore du bannissement d'Asterias.

—      Il faudrait que vous me donniez trois ou quatre de vos serviteurs et je pense que je pourrais ramener les femmes au manoir…

Van Dyck fixa durement le démon. Un silence pesant tomba dans la pièce avant qu'il ne partit d'un rire tonitruant.

—     Soit ! Choisis ceux que tu veux mais souviens-toi que je ne tolérerais pas un nouvel échec…

Satiricon baissa le regard et recula, en remerciant son maître de la confiance qu'il lui accordait.

 

Dans les lueurs de l'aube, les lèves-tôt purent apercevoir un groupe de félins traverser la ville en passant de toits en toits là où ils le pouvaient. Ils arrivèrent autours de la propriété de Gérald quelques minutes avant le lever du soleil et attendirent. Cachés dans l'ombre de recoins ou sous des bosquets, ils ne remuaient pas, totalement invisibles pour qui ne les chercherait pas. Soudain, ils ressentirent un frémissement dans le sort de protection qui leur interdisait l'accès à la villa. Satiricon jubilait, son plan se déroulait comme il le désirait. Une des femmes venait de se piquer avec la broche. Il pouvait commencer à sentir les émotions qui montaient en elle. Il transmit ses ressentis au comte sans attendre de retour.

Il sortit de sa cachette et tenta de franchir la barrière invisible mais il retira vite la patte. Il devait être patient. Quand un de ses acolytes vint le prévenir qu'une voiture avec deux hommes à bord venait de franchir le portail, il sut que le moment était venu. Il envoya un de ses agents suivre le véhicule tandis qu'il rassemblait tous les autres pour tenter un franchissement en force du sortilège. Il leur fallut plusieurs essais avant de réussir et quand ils furent dans la propriété, ils virent les deux femmes allongées nonchalamment au bord de la piscine. Furtivement, sans un mot, ils les entourèrent et quand le moment fut venu, Satiricon bondit sur la terrasse entre elles en libérant sa poussière bleue en quantité.

—      Que se passe-t-il ? lança Jane surprise. Viviane compris aussitôt ce qui leur arrivait mais il était trop tard. Elles avaient respiré le pollen bleu en quantité et Gérald était absent, il ne pourrait pas contrer l'effet de la pandora.

Sous l'influence mentale du démon, elles se levèrent et commencèrent à marcher en direction du manoir.


 

Le démon

 

En ville, les deux hommes venaient d'arriver devant le monastère des pandorines. Tout était calme dans la ruelle qui donnait sur la petite porte d'entrée du couvent.

—      On ne peut pas y entrer ? demanda Luc.

—      Hélas ! Je ne le pense pas, et la seule personne qui avait des informations complète sur ce couvent a quitté la ville il y a quelques mois.

—      Et, il n'y a pas moyen de la retrouver pour lui demander des explications ?

—      Malheureusement, elle a dû partir précipitamment et n'a laissé aucune information derrière elle.

—      Pourquoi ?

—      On est dans une petite ville et la rumeur a vite faite de détruire une réputation.

—      Je comprends.

Pendant qu'ils discutaient, ils s'étaient approchés de la petite porte qui permettait d'entrer dans le monastère. Ils entendaient d'étranges mélopées s'élever de derrière les murs. Osant le tout pour le tout, Gérald tourna la poignée de la porte qui s'ouvrit. Il passa la tête et il put découvrir le cloître désert. Il entra et invita Luc à le suivre. La ruelle était déserte et personne ne se rendit compte de l'intrusion. Sans un mot, ils avançaient vers l'église située de l'autre côté en longeant la colonnade qui leur permettait de rester discrets. Plus ils se rapprochaient et plus les sons qu'ils percevaient leur semblaient de plus en plus surprenants, des cris, des gémissements. Ils étaient devant la porte qui menait à la chapelle. Intrigués par ce qu'ils entendaient, ils osèrent regarder et furent stupéfaits et en même temps rassurés.

Les religieuses étaient dans un état de transe, de la fumée bleue montait depuis l'autel au centre du sanctuaire. Elles se trémoussaient dans des danses lascives, certaines singeaient même des actes sexuels. Dans l'état extatique dans lequel elles se trouvaient, elles ne pouvaient pas avoir conscience de leur présence. Ils restèrent médusés pendant quelques secondes avant de remarque qu'au centre de l'attroupement s'élevait une ombre orangée. Elle semblait immatérielle car on pouvait voir au travers mais lorsque ses bras diaphanes frôlaient une sœur, celle-ci tombait en extase sur le sol. La créature ressemblait au démon des peintures médiévales. Un corps humain sur un bassin et des pattes de bouc, de petites cornes de chaque côté du front et sur le visage, le sourire carnassier de celui qui sait qu'il va gagner.

Ils restèrent immobiles chacun derrière un des piliers massifs de l'église romane. Ils se regardaient en se demandant ce qu'ils devaient faire. Gérald comprenait la raison de l'état d'hystéries des religieuses. Le pollen de la pandora mélangé à sa sève qui est brûlé comme de l'encens induisait cet état de transe et de folie sensuelle. Les invocations des sœurs avaient attiré ce démon d'outre-monde. Pour le moment, seule son essence pouvait franchir le portail qui se trouvait dans le chœur de cette chapelle.

Il essayait de comprendre les paroles qu'elles chantaient malgré leurs soupirs et leurs gémissements. Il reconnaissait d'antiques incantations pour invoquer les dieux et démons d'autrefois. Il fit signe à Luc de rester immobile et sans un bruit il s'approcha de l'autel. Il était à la limite du nuage de poussière de pandora. Il savait qu'il ne devait pas y entrer sous peine de perdre le contrôle. Mais il voulait savoir ce que le comte manigançait. Lui seul avait encore le savoir-faire pour produire autant de pollen et de sève de pandora.

Soudain, le spectre regarda dans sa direction. Il le fixa. Gérald s'immobilisa mais il sut qu'il venait d'être découvert. Le monstre poussa un cri guttural et aussitôt l'ensemble des religieuses se tourna vers lui. Il profita d'un moment de flottement pour reculer et partir en courant.

—      Suis moi ! hurla-t-il en direction de Luc. Ne te retourne pas et cours !

Les deux hommes traversèrent le cloître pour atteindre la porte qui les mènerait vers la sortie mais, il se rendirent compte qu'elle était bloquée. Les sœurs hystériques les poursuivaient. Mais gênées dans leur course par leurs tenues, ils arrivaient à les maintenir à distance même s'ils devaient s'arrêter pour tenter d'ouvrir les portes qui se présentaient à eux. Acculés au fond d'un couloir, il ne leur restait qu'un espoir, une porte en bois qui semblait vermoulue.

D'un coup d'épaule, il la brisèrent et dévalèrent l'escalier sombre qui s'ouvrait devant eux. Au bout de quelques marches, ils se retrouvèrent dans un souterrain. Les femmes avaient cessé de les suivre. Ils reprirent leur souffle avant de réfléchir à leur situation.

—      Où sommes-nous ?

—      Je pense que nous sommes dans un de ces nombreux souterrains qui parcourent la ville.

—      Oui j'ai remarqué, mais je constate aussi que les bonnes sœurs ne nous courent plus après, pourquoi ?

—      En descendant, j'ai remarqué que nous avions traversé une légère iridescence bleue, peut-être une barrière psychique qui les empêche d'aller plus loin. Mais ne me demande pas comment ni pourquoi.

—      Ok si tu veux. Mais où mène ce souterrain ? demanda Luc en sortant sa boussole.

—      Aucune idée ! Comment est-il orienté ?

—      On dirait qu'il file vers le Nord-Est.

—      S'il est linéaire, c'est la direction du manoir du comte Van Dyck.

—      On n'est pas dans la merde… D'un côté des folles hystériques et de l'autre un psychopathe qui veut détruire le monde…

—      Avançons, nous trouverons une solution en arrivant au bout du tunnel. Et peut-être débouche-t-il ailleurs que dans le manoir. Ces souterrains ont été oublié depuis des années.

—      Oui tu as raison.

Les deux garçons progressaient lentement, à la lueur de leurs téléphones. Les murs étaient réguliers comme s'ils avaient été découpés au laser. Le sol ne montrait aucun signe de passage.

 

—      On dirait que ce tunnel date d'hier !

—     Ces constructeurs aimaient le travail bien fait et bien fini. Regarde comme les pierres sont assemblées et le détail des gravures sur les clés de voûte.

—      Oui c'est impressionnant ! Comme si ce tunnel faisait partie d'un ensemble bien plus monumental que le couvent du centre-ville.

—      Je pense que tu n'as pas tort, mais le seul monument qui soit encore debout du site d'origine est l'église. Ou plutôt le temple antique qu'elle a remplacé.

—      Chut ! Ne bouge plus !

Luc qui précédait Gérald lui montra ce qu'il apercevait au bout du couloir. Il éteignit son téléphone.

Ils avançaient en silence dans l'obscurité vers la lueur bleue.

—      Comme dans le couvent, là aussi, il y a cette lueur.

Parfaitement conscient de ce qu'ils traversaient, les deux jeunes gens furent parcourus d'un frisson en franchissant la barrière immatérielle.

Ce qu'ils découvrirent de l'autre côté les laissa pantois. Autant le tunnel était propre et net, autant ils se retrouvaient dans une salle poussiéreuse et rempli d'objets hétéroclites entassés à la va-vite. Ils se retournèrent pour repérer l'entrée du souterrain mais ils ne le virent pas. Gérald passa sa main sur le mur de cette cave éclairée par un petit soupirail.

—      Bon ! Eh bien je crois que n'avons pas le choix. C'est un passage à sens unique.

—      Espérons que la porte n'est pas fermée, sinon nous sommes enfermés pour de bon et le passage par ce vasistas est trop petit pour nous permettre de sortir si nous arrivions à en desceller les barreaux… Est-ce que tu pourrais repérer où nous sommes ?

Luc aida son ami à monter sur un coffre à moitié pourri pour qu'il puisse regarder par l'ouverture.

—      Pas facile car nous sommes au ras du sol et il y a des fourrés devant moi mais je dirais que nous sommes sous le manoir. J'en aperçois les serres.

Il sauta de la caisse et ils se dirigèrent vers la porte de la pièce. Par chance, elle n'était pas verrouillée et en silence ils progressèrent vers les escaliers.

Ils se retrouvèrent une fois de plus derrière une porte qu'ils ouvrirent en espérant que personne ne les surprendrait. Ils n'étaient pas en territoire amical.

Malgré le grincement des gonds, ils découvrirent qu'ils étaient dans la cuisine du manoir. Un plat mijotait sur la cuisinière en fonte et laissait échapper un agréable fumet.

Aussi silencieusement que possible, ils progressèrent dans le couloir de service mais ils furent interrompus par une voix.

—      Maître, voici les deux jeunes femmes que nous avons trouvées dans la maison.

—      Viviane, je suis ravi de vous retrouver. Vous m'avez manqué.

Confrontation

 

Escortées par les démons félins, les deux jeunes femmes avaient traversé la ville dans un état second. Elles n'avaient pas échangé un mot, totalement sous l'influence du maître-félin Satiricon.

Libérant son emprise, elles purent retrouver leur liberté de mouvements et de parole.

—      Qui êtes-vous ? Pourquoi sommes-nous ici ?

—      Chaque chose en son temps, mademoiselle, je pense que votre amie répondra mieux que moi à cette question.

Viviane bredouilla affolée.

—      C'est le professeur Van Dyck, Comte de son état.

—      Allons-nous en, il ne peut pas nous retenir ici.

—      Oh si ! Il le peut ! Et d'ailleurs regarde autour de nous. Crois-tu que nous irions loin ? Avec ce monstre, dit Viviane en fixant le démon-chat. Même si nous parvenions à nous échapper, il nous retrouverait et nous ramènerait…

Jane baissa le regard.

—      Que voulez-vous ? Qu'attendez-vous de nous ? Vous ne pourrez pas nous retenir longtemps, nos amis vont venir nous chercher. Ils ne tarderont pas à comprendre où nous sommes quand ils verront que nous avons disparu.

—      Oh mais, ils vous ont déjà rejoint ! lança le comte sur un ton badin en fixant une porte. Satiricon, ouvre cette porte et invite nos amis à entrer.

Tête basse, les deux hommes entrèrent dans le salon. Luc découvrit pour la première fois l'homme qui avait envoyé une tueuse à leurs trousses et fait cambrioler leur appartement. Il voulut se jeter sur le fauteuil, mais Gérald le retint par la manche.

—      Non ! Ne fait rien, il est plus fort que nous. Regarde ce qu'il a à côté de lui.

Luc se reprit et regarda sur la petite desserte près du baron. Il vit un petit flacon contenant un liquide bleu phosphorescent dans la semi-obscurité de la pièce.

—     Gérald, je vois que les ans n'ont pas altéré votre sagacité. Mais je vous ai connu plus prudent. Vous jeter ainsi dans la gueule du loup, ce n'est pas digne de votre réputation.

Piqué au vif, il ne répondit rien préférant ruminer sa rancœur.

—      Bien, je connaissais Viviane, qui m'a bien mal récompensé de l'asile que je lui ai offert mais vous deux, dites-moi qui vous êtes ? Je ne vous connais pas et je n'ai jamais eu l'heur de vous croiser… Ni dans cette vie, ni dans une autre, ajouta-t-il tout bas.

—      Nous ne vous dirons rien ! S'emporta Jane. Vous nous avez enlevées et conduites ici de force.

—      Ttttt… ! Vous avez suivi mes mignons avec plaisirs et sans aucune obligation. N'est-ce pas ? Dites plutôt à vos amis ce qu'ils vous ont promis si vous les suiviez.

Jane se calma, rouge de honte. Elle se souvenait d'avoir entendu une voix qui lui promettait les plaisirs les plus indicibles si elles acceptaient de les suivre et aussi de l'aperçu de la jouissance qu'elles auraient quand elles auraient fait le premier pas pour sortir de la maison.

—      Même petits amis connaissent très bien les faiblesses des hommes et en particuliers des femmes. Mais trêve de discussion… Vous possédez un objet que je désire et vous allez me dire où il est.

—      Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, répliqua Luc.

—      Réfléchissez bien, je doute que Satiricon soit très aimable avec vous ou avec votre amie… Surtout depuis qu'il sait que c'est de votre faute si sa très chère Keireen est morte.

Ils virent tous le démon frémir et se raidir en entendant ses mots. Luc comprit que le comte venait de lui apprendre les conditions du décès de la guerrière. Gérald posa sa main sur l'avant-bras de son ami.

—      Je crois que nous devons négocier. Nous ne sommes pas en position de force ici. Aucun de mes charmes ne fonctionnent.

—      Comment ça vos charmes ne fonctionnent pas ici ?

—      Pas le temps de vous expliquer mais laissez-moi parler.

—      Cher comte, cela fait combien de temps que nous nous affrontons ? Ne sommes-nous pas les meilleurs ennemis du monde ?

—      Oh mon cher Gérald, je dois dire que vous me donnez du fil à retordre, mais je crains que cette fois ci vous n'ayez perdu la dernière bataille.

—      Nous le verrons. Que désirez-vous ?

—      Je crois que cette jeune femme ici présente porte un bijou qui m'intéresse…

Le silence tomba sur les protagonistes présents dans la pièce. Tous se fixaient. Jane leva les bras et ôta son pendentif.

—      C'est ceci que vous voulez ?

Le comte la regarda en souriant. La pierre luisait faiblement, les démons s'écartaient, inquiets.

—      Nous vous le donnons si vous nous laissez repartir…

—      Mais vous êtes libres comme l'air, regardez.

Gérald regarda autour d'eux et constata que les démons avaient disparu.

—      Vous êtes quatre jeunes gens contre moi, un pauvre vieillard. Que puis-je faire pour m'opposer à votre départ ?

—      Jane laisse lui la pierre et rentrons… Ici, je ne peux rien faire.

—      Mais…

—      Il n'y a pas de mais… Pose la pierre au sol devant nous et filons !

Les quatre jeunes gens se reculèrent jusqu'au seuil de la porte et dès que Jane eut laissé son pendentif au sol, ils coururent à perdre haleine jusqu'à la grille de la propriété.

Dans son salon, le comte éclata d'un éclat de rire qui fit vibrer le bâtiment. Il se leva pour ramasser le pendentif qui brillait de manière encore plus intense entre ses mains.

—      Gérald, je te pensais bien plus combatif. Tu faiblis mon vieil ami… Mais voyons les mystères de cette pierre.

 

Il sortit du bureau où il venait d'affronter Gérald. En apparence, leur joute oratoire avait semblé courte et sans violences, il en avait été autrement sur le plan éthéré. Dès que Gérald et Luc avaient franchi le portail qui leur avait permis de sortir du tunnel, le professeur avait ressenti la présence de son plus vieil ennemi. Il avait rapidement donné un ordre mental à ses démons pour qu'ils quittent le manoir et il avait attendu. Le hasard a voulu que Satiricon revint au même moment avec les deux jeunes femmes. Il aurait bien aimé les garder pour s'amuser un peu et il savait que son serviteur était déçu, mais il ne pouvait pas laisser échapper une occasion pareille.

Rapidement, il avait pu sondé le bébé que Viviane portait dans son ventre, et il fut surpris de constater qu'elle attendait un garçon. Qu'avait-elle pu faire à Gérald pour qu'il interrompe ainsi le cycle initié depuis plusieurs milliers d'années ?

Il avait été aussi très intrigué de la manière dont il avait pu le piéger dans ce couloir pour qu'il atteignît la porte au moment où les femmes allaient arriver.

Malgré cela, il dut encaisser un violent choc mental quand Gérald stoppa Luc qui se jetait sur lui. Son adversaire semblait calme en apparence, mais il lui donnait de violents uppercuts spirituel. Cette violence surpris le comte mais il ne s'en laissa pas compter. Il avait l'habitude des affrontements violents avec les démons et ses boucliers de protections étaient parfaitement en place. Une fois la surprise passée, les coups de Gérald secouaient à peine l'édifice mental qu'il avait construit.

Il ne comprenait pas pourquoi celui-ci le frappait là où il était le mieux protégé. Il ne profitait pas de la parole pour l'atteindre. Gérald était pourtant l'un des plus grands orateurs de l'histoire. C'est lui qui avait pris la place de Batolomeo de Las Casas à Valladolid ou encore de Cicéron devant le sénat pour dénoncer Catilina. Depuis qu'il avait croisé la route de l'ancêtre de Viviane, il avait acquis le pouvoir de voyager dans le Sur-monde et dans le temps et il avait mis en application ses talents d'orateur lors des grands duels judiciaires en se faisant passer pour un autre. En le forçant à se concentrer sur la parole, il aurait pu affaiblir ses défenses et le battre à plate couture.

Malgré sa victoire, la résignation de son adversaire lui donnait un goût d'inachevé. Il repensait à ce combat alors qu'il arrivait dans son antre au sommet de la tour sud du manoir. Il s'enferma à clé pour ne pas être dérangé et il suspendit le pendentif avec la pierre qui était devenue verdâtre, devant la cheminée allumée.

L'éclat des flammes se reflétaient sur la surface polie de la pierre. Assis dans un fauteuil, il se concentra et il projeta son esprit en direction du bijou. Contrairement à ce qu'il attendait, il ne fut pas repoussé, au contraire. Il put rapidement envelopper chaque atome de ce qui était un cristal avec son esprit. Il découvrir la clé du passage entre les mondes. Il exultait, il allait enfin pouvoir récupérer outre-monde ce qu'il désirait afin de créer le portail qui permettrait à son maître de venir régner sur le monde des humains.


 

Explications

 

Epuisés par leur marche pour rentrer chez eux et la tension nerveuse après leur rencontre avec le comte, les quatre jeunes gens s'effondrèrent dans les fauteuils du salon.

—      Pourquoi lui avoir laissé le pendentif ? C'était le seul moyen pour nous de rejoindre Athéna et de s'opposer à ce monstre, demanda incrédule Viviane en regardant Gérald.

—      Oui ! pourquoi ? Insista Jane.

—      Nous n'étions pas en position de combattre, vous avez vu ? répondis Gérald.

—      C'est un vieillard ! dit Luc.

—      En apparence, mais c'est un vieillard très puissant. Savez depuis combien de temps il vit ?

—      Vu son air, je dirai qu'il approche les quatre-vingt ans, dit Jane.

Gérald sourit, tu peux multiplier ce chiffre par mille… Jane et Luc le regardèrent totalement ébahis.

—      Ne soyez pas surpris, vous avez vus d'autres choses plus incroyables qu'un homme de quatre-vingt mille ans, n'est-ce pas ?

—      Mais alors quel âge as-tu ? demanda Jane en frissonnant. Elle réalisait que leur ami qui semblait avoir leur âge, n'était pas ce qu'il croyait.

—      Oh… Je suis bien plus jeune que lui. Je n'ai que quelques siècles. Mais surtout, je ne tire pas ma longévité de la même manière que lui, conclut-il en souriant.

En entendant ses mots Viviane baissa les yeux prise d'un tremblement incontrôlé.

—      Excuse-moi ma chérie. Je ne voulais pas te faire du mal.

—      Je le sais, lui dit-elle dans un souffle alors qu'il la prenait dans ses bras.

—      Bon alors ! Que faisons-nous maintenant ? Nous avons fait chou blanc sur toute la ligne aujourd'hui, s'emporta Luc.

—      Nous attendons et nous observons, répliqua Gérald avec un sourire énigmatique. Le comte a la pierre. Il va vouloir vérifier que c'est bien une pierre authentique. Il va juste falloir le surveiller.

—      Facile à dire ! répondit Luc. On ne peut pas accéder au manoir, on va se faire surprendre.

—      Pas besoin d'aller au manoir. N'avez-vous rien remarqué pendant que je lui parlai ?

—      Non ! fit Jane. J'avais si peur de ce qui pourrait nous arriver que je n'ai pas vu grand chose de votre dialogue.

—      Pas grave ! Ce qu'il faut que vous sachiez, c'est que je n'ai pas fait que dialoguer avec lui… Je me suis battu avec lui.

—      Mais vous n'avez pas bougé.

—      Jane ! On n'a pas besoin de se déplacer pour se battre d'esprit à esprit, on n'est pas dans un film. Certains combats spirituels peuvent parfois durée des mois voire des années. Nos corps restent immobiles… Mais là ! Ce fut rapide. Je lui ai fait croire que je renonçais à me battre que j'acceptais sa victoire mais…

—      Mais quoi ? demanda Luc.

—      Moins je vous en dis et mieux vous vous porterez surtout si nous recroisons ses acolytes. Dans la maison et le jardin nous ne risquons rien mais à l'extérieur, c'est moins sûr.

—      Mais on ne va pas rester enfermé ici quand même ?

—      Non ! Au contraire ! Mais je vais vous donner à toi et à Luc un talisman qui vous protègera, surtout toi Jane, des influences de ces démons.

—      Merci ! C'est très gentil. Mais ce que nous avons vu ce matin dans l'église, c'était quoi ?

—      Si j'en crois ce que j'ai entendu, c'est un démon majeur que les religieuses invoquent pour le comte Van Dyck.

—      Que va-t-il se passer, s'il arrive à ses fins ?

—      Oh sur le moment rien de spectaculaire ! Pas de fin du monde ! Pas de panique généralisée ! Mais peu à peu certaines personnes vont prendre du pouvoir, les lois vont progressivement changer et la violence et la cupidité domineront le monde. Ces démons se nourrissent du chaos et pour cela, ils le provoquent. Mais plus ils sont puissants et plus ils le font de manière subtile. Des épidémies vont apparaître. Tout va se désorganiser peu à peu. Les groupes humains ne se feront plus confiances. Des conflits vont éclater. Il n'aura plus qu'à ramasser les morceaux pour régner sur le monde.

—      Et le comte, que va-t-il tirer de tout cela ?

—      Il aura assouvi sa vengeance.

—      Comment cela ?

—      Il y a très longtemps, il fut parmi les hommes qui furent appelés par celle que nous appelons la Dame. Ces individus, hommes et femmes, furent dotés de la capacité de marcher entre les plans d'existence et de connaître le passé, les présents et les avenirs. Chacune de ces personnes ne peut connaître cela qu'une seule fois. On dit que ceux qui l'ont tenté une deuxième fois sont devenus fous…

—      Et alors, s'il connait l'avenirs, il sait ce qui va arriver, donc comment peut-on lutter contre lui si l'avenir est écrit et s'il doit gagner ?

—      Laisse-moi finir Luc.

—      Oui excuse-moi !

—      De rien… Donc, le comte, après avoir eu le privilège de traverser le sanctuaire du temps, n'a pas accepté la mission qui lui était impartie. En cela, il a donc altéré l'avenir même si c'est le monde que vous connaissez. Mais non content de cela, il a voulu faire plus. Il a refusé de mourir et a voulu utiliser le pouvoir qui lui était donné pour son ambition personnelle. Et c'est là que je suis intervenu, comme Appelé. Ma mission est de contrer les agissements du comte. Et Viviane est là pour m'aider dans cette tâche.

Viviane le regardait.

—      Allait-il révéler leur secret à ses deux étrangers ? Le comprendrait-il ? Ce fut la remarque de Jane qui les sauva.

—      Mais Viviane n'est pas immortelle, n'est-ce pas ?

—      Oh non ! dit-elle en riant loin de là. Elle frissonna en pensant à ses paroles car elle savait ce qui l'attendait.

—      Oh non, Viviane n'est pas immortelle, hélas pour moi. Mais des Viviane, j'en ai rencontré tout au long de ma lutte contre le comte. Et à chaque fois que j'en rencontre une, je sais qu'il y aura un combat entre lui et moi.

—      Mais comment es-tu sûr que c'est la bonne ?

—      Mon instinct ne me trompe jamais, répondit-il à Luc énigmatique.

—      Bien mais maintenant que tu nous as dit cela, que va-t-il se passer ?

—      Je te l'ai dit, nous attendons. Le comte va être obligé de se déplacer pour activer le portail d'Athéna et à ce moment-là, nous saurons où il est et nous pourrons le combattre et j'espère le vaincre une bonne fois pour toute.


—       

Le volcan

 

Les jours qui suivirent, les jeunes gens ne se séparèrent plus. Gérald ne voulait pas que les filles fussent de nouveau sous l'emprise du comte. Il sentait son pouvoir grandir dans la ville. En étant attentif, on pouvait remarquer que le comportement de certaines personnes avait changé. Du pollen de pandora flottait dans l'air. Certaines femmes avaient été surprises par les forces de l'ordre en train de se livrer à des actes plus que sensuels dans des lieux publics non loin du manoir, du lycée ou du monastère. Une rumeur courrait en ville, rapportant qu'un groupe de lycéens en visite sur l'île du phare aurait été pris de folie et que seule l'intervention rapide des marins pompiers avait pu éviter que cela se termine en orgie.

Les journalistes se demandaient si cela n'était pas dû à la précocité du printemps après la rigueur de l'hiver qui réveillait la libido des jeunes gens. Ils oubliaient de préciser que cela concernait toutes les tranches d'âge.

Jane semblait bien plus affectée que Viviane. Sa pudeur naturelle commençait à céder. Elle n'hésitait pas à laisser son chemisier déboutonné. Il fallait que Luc ou Gérald lui en fasse la remarque pour qu'elle le referma en rougissant.

—      A quoi joue donc le Professeur ? Pourquoi libère-t-il autant de pollen de pandora ? Les gens vont devenir fous.

—      Je l'ignore ma douce, mais je crains que ce soit ce qu'il recherche. Quand l'hystérie aura gagné la ville, plus personne ne pourra s'opposer à lui et à ses hordes de démons. Je propose que nous partions rapidement pour aller nous mettre en sécurité au pied du volcan.

—      Mais ! Si nous quittons la ville comment serons-nous au courant des manigances du comte ? demanda Luc.

—      Ne vous inquiétez pas, j'ai moi aussi mon service de renseignements même s'il est moins efficace que les compagnons à quatre pattes de Van Dyck.

—      Je crois que pour l'équilibre de Jane, nous ne devrions pas tarder à partir, je ne suis pas sûre que nous puissions attendre demain, dit Viviane. Regardez-la !

Ils se tournèrent vers la jeune femme qui se trémoussait sur un transat en gémissant.

—      Luc ! Ne t'approche pas… lança Gérald. Va aider Viviane à préparer ce qu'il faut pour plusieurs jours. Je vais sortir le camping-car du garage.

—      OK Gérald ! Aussitôt les deux jeunes gens rentrèrent dans la maison et préparèrent leurs affaires pour partir au plus vite. Pendant ce temps, Gérald qui se savait plus ou moins protégé, soutenait Jane. Il la traîna jusqu'au véhicule où il l'allongea sur une couchette.

Quelques minutes plus tard, ils étaient en train de quitter la ville. Ils avaient pu observer certaines scènes troublantes même si cela restait encore très discret.

—      Comment se fait-il que Jane soit dans cet état ? s'inquiéta Luc.

—      Je pense que c'est parce qu'elle a été sous l'influence de Satiricon. Ce démon est particulièrement pervers et vicieux. Je suis sûre qu'il est allé modifier son esprit. Il en est capable même si le comte n'aime pas ça. Je me souviens de ce qu'il a fait à mon amie Marie.

—      N'y pense plus, lui dit Gérald. Je te promets que nous la vengerons.

—      Je le sais, je l'espère. C'était une si gentille fille, répondit Viviane des larmes aux yeux.

—      Que lui a-t-il fait ?

—      Il lui a retourné le cerveau… Du jour au lendemain, nous ne l'avons plus revue au lycée. Elle passait ses journées sur le port à aguicher les marins et elle a disparu lors d'une expérience tentée par le professeur, il s'en est fallu du peu que j'en fus une victime aussi…

—      Oui je comprends… Si jamais, il a fait quelque chose de ce type à Jane. Je le tue.

—      Je ne pense pas, il ne l'a pas eue entre ses griffes assez longtemps. Marie et lui étaient amants. Il a eu tout le temps de la modeler.

Un peu rassuré par les paroles de Viviane, Luc se détendit. Elle se détacha et passa à l'arrière pour veiller et calmer Jane qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait.

—      Gérald, je pense que Jane va mieux…

Luc bondit lui aussi à l'arrière du camping-car pour serrer son amie dans ses bras.

—      Tu nous as fait peur.

—      Qu'est ce qui m'arrive ?

—      Viviane pense que tu es sous le contrôle de Satiricon. Nous partons pour le volcan où nous espérons être en sécurité.

Il vit son visage se détendre et elle sombra dans le sommeil.

 

—      Je pense que nous allons pouvoir nous installer ici. Nous sommes assez loin de la ville, dans un endroit où personne ne vient jamais et surtout il y a un point d'eau où nous pourrons venir nous réfugier.

—      Comment cela ?

—      Il y a une cascade avec une grotte derrière, le pollen de pandora ne pourra jamais traverser le filet d'eau. En plus les chats de Van Dyck ne supportent pas l'eau… dit Viviane en riant.

—      Et cette grotte vous savez où elle mène ?

—      Elle s'enfonce dans le volcan et chose curieuse, elle n'a pas été obstruée par l'éruption de l'automne.

—      Alors installons nous et profitons de la fin de la soirée.

Pendant qu'ils installaient le camp, Viviane sortit de son sommeil.

—      Jane, laissons les garçons finir de préparer et vient avec moi, je vais te montrer mon endroit préféré au pied de ce volcan.

Les garçons regardèrent les filles s'éloigner vers la cascade tandis qu'il sortaient les tables et les chaises après avoir stabilisé le véhicule.

—      Combien de temps allons-nous devoir rester ici ?

—      Je l'ignore mais tant que le Comte ne donne pas signe de vie, nous ne pouvons pas rentrer.

—      Et quand le saurons-nous ? A quoi verrons-nous qu'il se décide à passer à l'action.

—      Je ne sais pas mais je connais le comte et cela risque d'être spectaculaire.

Tout en discutant, ils sortirent de quoi passer une soirée agréable sous les étoiles. Ils pouvaient voir le soleil se coucher sur la mer et les toits de la ville prendre une teinte orangée.

—      Nous devrions peut-être aller voir ce que font les filles, non ?

—      Ne t'inquiète pas, Viviane connaît ce secteur comme sa poche… et d'ailleurs les voilà !

En effet, elles arrivaient en riant et en sautillant. Jane décrivit cette cascade comme la huitième merveille du monde.

—      Tu aurais vu ces couleurs quand les derniers rayons du soleil l'ont frappée… C'était magnifique.

Viviane souriait ravie de voir que les troubles de Jane avaient disparu et qu'elle ne semblait plus sous l'emprise maléfique de ce démon.

Luc remarqua alors quelque chose de surprenant.

—      Jane ! Regarde ta poitrine !

—      Ben quoi ? Qu'est-ce qu'elle a ma poitrine ?

—      Elle brille…

—      Oui ! Luc a raison, tu as une lueur bleue entre les seins, lui dit Viviane

Elle alla lui chercher un miroir pour qu'elle puisse voir ce qu'ils observaient tous. Jane ouvrit un peu son chemisier pour dévoiler la tache bleue sur sa peau.

—      Ça me rappelle le phénomène que nous avions vu en Auvergne lorsque nous sommes arrivés devant le portail. Mais ici il n'y a pas de portail.

—      Peut-être ! dit Gérald. Souvenez-vous que le pic de Taranis est lui aussi entré en éruption lors de celle du Pavin. Il est certain que les deux volcans sont liés.

—      Mais alors, le point central pour le Professeur, ce ne serait pas la chapelle du couvent mais le volcan ? demanda Jane.

—      Pas forcément, ce sont peut-être deux choses différentes, reprit Gérald. Il va nous falloir trouver ce portail…

—      Oui mais pas ce soir, dit Viviane. Nous sommes tous fatigués après les émotions de ces derniers jours et regardez Jane, elle tombe de fatigue. Elle n'a pas encore récupéré, et de toute manière la nuit va tomber. Il ne va pas faire bon être dehors, surtout si le comte a libéré ses sbires.

Jane frissonna à ses mots.

—      Oui ! Je n'aimerai pas être en ville cette nuit…

—      Pourquoi dis-tu cela ? demanda Luc.

Du doigt, Jane montra le léger halo bleuâtre qui commençait à recouvrir le centre-ville.

—      Les invocations des sœurs deviennent de plus en plus puissantes…

—      Que pouvons-nous faire ? dit Viviane en frissonnant.

—      Ce soir ? Rien ! Nous reposer pour être en forme demain.

Ils prirent leur repas à la lueur du feu que les garçons avaient allumé pour faire cuire leur repas. Dans la nuit tombante, la brume donnait à la ville un aspect fantomatique et la lueur bleue disparaissait presque dans l'orange de l'éclairage urbain.

Rattrapés par la fraîcheur et l'humidité tombante de cette nuit de printemps, ils se réfugièrent dans le van et s'endormirent sur leur couchette.


 

Invocation

 

—      Satiricon, va prévenir les sœurs qu'elles se tiennent prêtes pour la grande invocation. L'heure est venue.

—      Oui Maître ! Je m'y rends de suite.

—      Et ne traîne pas en route ! Je sais que tu as remarqué cette jeune fille qui te plait, mais pour le moment obéis-moi !

Le démon baissa les yeux, il avait espéré pourvoir profiter de sa mission de messager jusqu'au monastère pour faire un petit détour par cette maison qui se trouvait non loin de celle où vivait sa jeune proie. Mais il ne voulait pas contrariée le comte qui lui avait permis de quitter le sur-monde et de venir dans cette dimension où il avait découvert les plaisirs de la chair.

—     Emmène aussi une autre brassée de fleur de pandora au monastère. Elles vont en avoir besoin pour ce que je vais leur demander de faire.

Malgré son dégoût de servir de messager, il s'acquitta de son devoir sans protester. Il espérait que la venue du Grand-Maître mettrait fin à son esclavage envers le Professeur et qu'il aurait l'occasion de se venger.

En dépit de l'heure encore très matinale, il traversa la ville en proie à des scènes d'hystérie plus ou moins troublantes. Quand il fut devant la porte du monastère, il fut surpris de la découvrir entrouverte. Avec précaution, il pénétra dans l'enceinte sacrée.

Il poussa la porte de l'église et s'aperçut que les sœurs avaient été rejointes par quelques dizaines de femmes. Elles étaient toutes dans un état de transe plus ou moins avancée. Seule la mère supérieure semblait encore lucide.

—      Satiricon, je ne pensais pas vous revoir ici un jour. Monsieur le comte aurait-il encore perdu ses messagères ?

Pour la première fois depuis bien longtemps, il eut peur du regard concupiscent de la religieuse. La dernière fois qu'il était venu, cela s'était mal terminé pour lui, il n'avait dû sa survie qu'à la miséricorde du professeur mais il en avait payé le prix fort.

—      Non, ma mère ! répondit-il hautain. Le compte Van Dyck m'envoie porteur d'un message de la plus haute importance.

—      Vraiment ? dit-elle intrigué.

Le démon-chat lui tendit une missive cachetée à la cire ainsi que le panier de pandora. La mère supérieure fit un signe à l'une des novices qui ne semblait pas encore trop affectée par l'hystérie ambiante et lui donna la corbeille d'osier.

"Chère mère supérieure,

Quand vous lirez cette lettre, je serai en route pour le sur-monde. Je vais récupérer ce qui me revient de droit et ce qui nous permettra à vous comme à moi de réaliser notre souhait le plus cher.

La venue de notre "Grand- Maître" dans le monde.

Je vous joins une brassée de la dernière récolte de pandora que j'ai moi-même ramassée à la lueur de la Lune montante.

Faites ce qui doit être fait et nous nous retrouverons bientôt au pied du trône de notre Maitre à tous.

Votre Dévoué

Comte Wilhelm Van Dyck"

 

La religieuse sourit en repliant le document qu'elle glissa dans son décolleté.

—      Le grand jour est arrivé alors, murmura-t-elle.

—      Dites à mon cher Comte que je vais de ce pas commencer la Grande Invocation. Il peut donc sans crainte faire ce qu'il a à faire de son côté.

—      Oui ma Mère ! répondit avec flagornerie Satiricon. Il se demandait si après cela, il pourrait assouvir ses pulsions sur ces religieuses.

—      Et remerciez le pour les fleurs, elles seront bien utilisées.

En s'inclinant, le démon reprit le chemin du manoir non sans s'arrêter quelques minutes dans la chambre de la jeune Mathilde.

 

—      A te voilà enfin !... Je t'avais dit de ne pas traîner en chemin.

—      Excusez-moi Maître mais j'ai eu quelques soucis sur le chemin du retour, ce n'est pas toujours évident d'être un chat dans une ville comme celle-ci.

—      Surtout, si tu croises une mignonne petite chatte. Je te connais Satiricon, cela fait une heure que je t'attends, les sœurs ont commencé à invoquer le Maître et je ne suis pas prêt.

Renouvelant ses excuses, le démon se fit tout petit et attendit la punition qui ne risquait pas de tarder. Mais à sa surprise, le comte lui demanda autre chose.

—      Tu vas m'accompagner dans le Sur-monde pour m'aider à trouver ce que je cherche depuis tant d'années…

—      Mais ! Maître, si je retourne dans le Sur-monde, je ne pourrais peut-être plus revenir ici ?

—      Nous verrons cela ! répondit le comte avec un visage imperturbable. Suis-moi dans les souterrains.

Se levant de son fauteuil, le comte le précéda dans l'escalier par lequel Luc et Gérald étaient arrivés dans le manoir quelques jours plus tôt. Il tenait le pendentif devant lui. La pierre luisait de plus en plus fortement au fur et à mesure qu'ils approchaient de l'entrée du souterrain. Devant le mirage qui masquait le passage, le comte prononça quelques paroles en latin et l'ouverture du tunnel se révéla devant eux.

Eclairés par le cristal, ils n'avaient pas besoin de torches et progressaient maintenant sur un sol lisse et net comme les deux jeunes hommes l'avaient fait. Cependant, le passage qu'ils empruntaient ne les menait pas vers le centre-ville mais les éloignait en direction du volcan. Ils franchirent un voile bleu puis un deuxième avant d'atteindre une immense salle ronde voûtée avec la représentation d'un paon sur une des parois.

Satiricon resta à distance de la paroi. Il aurait voulu prévenir son maître que ce n'était pas une bonne idée mais il n'osait pas le déranger. Le comte Van Dyck se concentrait sur la pierre qui devenait presque aussi brillante qu'un petit soleil. Le démon se cacha les yeux quand soudain une explosion retentit.


 

La cascade

 

Les quatre jeunes gens furent réveillés par le chant des oiseaux et les premiers rayons du soleil qui frappaient les vitres du camping-car. Jane fut la première à sortir pour assouvir un besoin naturel. Elle cria à ses amis de sortir rapidement du van pour voir ce qui se passait en ville.

Le halo bleu de la veille avait pris de l'ampleur et surtout, une sorte de tornade bleue montait vers le ciel depuis le monastère.

—      Cela a commencé… dit Gérald en frissonna. Il serra Viviane contre lui.

—      Qu'est-ce ? demanda Luc.

—      Je pense que les sœurs ont commencé la "Grande Invocation" pour permettre au "Grand Maître" de faire son retour…

—      Que pouvons-nous faire ?

—      Regardez ma poitrine !

Jane dévoila la marque bleue de sa poitrine qui luisait encore plus que la veille.

—      Dépêchons nous ! Prenons de quoi manger pour la route et découvrons le portail. Joignant le geste à la parole, Viviane attrapa divers paquets de gâteaux et autres barres énergétique et les fourra dans un sac.

Aussitôt, ils firent tous de même et d'un pas rapide, ils se dirigèrent vers la cascade. En effet, ils avaient remarqué que la poitrine de Jane devenait de plus en plus brillante au fur et à mesure qu'ils s'en rapprochaient.

—      Viviane ! Tu penses comme moi ?

—      Oui ! la grotte sous la cascade…

—      Nous n'avons rien pour faire de la spéléo… dit Luc d'un seul coup moins enthousiaste. On ne peut pas avancer dans le noir !

—      Ne t'inquiète pas ! lui dit Gérald. Ce tunnel est aussi propre que celui qui nous a conduit au manoir. On ne risque rien… et je pense que la lueur émise par la poitrine de Jane nous suffira.

—      Je ne comprends pas. Pourquoi ma poitrine luit-elle comme cela ? Je n'ai plus le pendentif…

—      Non ! Mais tu l'as longtemps porté sur ta peau, peut-être est-ce pour cela, des traces de poussières de cette pierre, proposa Luc.

—      Peut-être, peu importe, il nous guide… Allons-y en avant.

Quand ils arrivèrent devant la cascade, ils constatèrent que le débit de l'eau avait considérablement diminué. Ils firent le tour du plan d'eau et progressèrent lentement au pied de la falaise. Le sol glissant ne leur facilitait pas la tâche. Le bruit de la chute d'eau devenait assourdissant malgré la diminution de la quantité d'eau qui tombait du sommet. Ils se demandaient comme franchir cette barrière liquide. La poitrine de Jane brillait si violemment qu'ils n'auraient pas besoin de lampes une fois sous la terre. Ils hésitaient encore un peu lorsque Jane, d'un pas décidé, franchit rapidement le rideau d'eau fraîche. Elle posa un pied dans le tunnel. Comme ils l'avaient supposé, la lueur de sa peau leur permettait de voir suffisamment pour progresser sans danger dans le souterrain. Ils attendirent quelques instants avant de se remettre en route pour laisser à leurs yeux le temps de s'adapter à la luminosité ambiante.

Même si le sol était bien régulier, ils marchaient lentement. Ils entendirent longtemps le grondement de l'eau dans le tunnel. Les parois humides luisaient.

—      On a l'impression d'être dans le ventre de notre mère la Terre… murmura Jane. Il fait chaud et humide comme dans un utérus.

—      Oui ! Et on peut même entendre les palpitations de son corps, compléta Viviane en se massant le ventre arrondi par sa grossesse alors que des grondements sourds résonnaient autour d'eux.

Ils aperçurent après un coude du couloir une violente lueur bleue. Aussitôt, ils s'immobilisèrent et Gérald leur fit signe de se taire. Ils durent avancer en se protégeant les yeux avec les mains.

—      C'est le cristal de Jane ? chuchota Luc.

—      Oui je le pense, confirma Gérald. Nous allons devoir être prudent, avec Viviane, nous ne nous sommes jamais aventurés aussi profondément sous le volcan.

Lentement ils s'approchaient du seuil de la salle d'où émanait la lumière. Ils virent alors les silhouettes du conte et du démon qui fixaient une gravure sur le mur opposé.

L'intensité lumineuse s'accrut alors et ils furent repoussés dans la couloir par une explosion provenant du centre de la chambre souterraine.


 

Nouveau Combat

 

Surgissant de nulle part et séparant les deux groupes, un halo bleu flottait au milieu de la pièce. Le comte Van Dyck fut le premier à se remettre sur ses pieds. Il secoua son démon qui avait du mal à fixer la lueur.

—      C'est le portail ! Prépare-toi à me suivre.

—      Je ne peux pas Maître, si je rentre là-dedans, je vais mourir.

Il était tétanisé devant le portail. Son esprit voulait suivre son Maître mais son corps refusait d'avancer. Ses instincts de protection et de survie démoniaques reprenaient le dessus.

Le professeur se rendit compte de cela.

—      Alors tu vas rester ici à protéger le portail et empêcher Gérald et sa petite bande de venir me perturber. Tu as carte blanche pour faire ce que tu veux mais essaye de ne pas trop abîmer Viviane, le Grand Maître pourrait être intéressé par le bébé qu'elle porte.

—      Merci Maître, je ferai de mon mieux, ils ne passeront pas.

—      Bien ! Brave compagnon, je saurais te récompenser à notre retour.

Le comte sauta alors dans le portail, emportant le talisman avec lui. La luminosité baissa brusquement dans la salle et Satiricon put voir la lueur émanant de la poitrine de Jane encore inconsciente sur le sol. Un sourire mauvais au coin des lèvres, il s'approcha d'elle. Il se disait qu'il allait pouvoir enfin profiter de cette femme. Obnubilé par son désir, il ne vit pas Gérald remuer non loin de lui. Il allait se pencher sur la jeune femme quand il sentit un violent coup le frapper derrière la nuque.

Gérald vint auprès de Jane et la secoua doucement pour la réveiller. Elle commençait à remuer la tête et à ouvrir les yeux.

—      Que s'est-il passé ?

—      Je l'ignore mais le comte a franchi le portail, tu es la seule parmi nous à pouvoir le faire…

—      Hein ! Quoi ?

—      Mais ? Et toi ?

—      Je dois rester ici pour empêcher que des démons comme Satiricon le franchissent. Si je ne me trompe pas, de l'autre côté, tu devrais trouver Junon, elle devrait être de ton côté vu que tu es la protégée d'Athéna.

—      Comment le sais-tu ?

—      Regarde ce paon sur la paroi, c'est l'animal tutélaire de Junon ou Héra.

—      Et toi pourquoi ne viens-tu pas avec moi ?

—      Je viens de te le dire, je dois empêcher que d'autres franchissent ce portail, je ne sais pas ce qu'il se passe dehors mais cette explosion n'est pas bon signe.

—      Ok ! fit-elle, en se relevant doucement.

—      Attention ! cria-t-elle en voyant le démon arriver dans le dos de son ami qui eut tout juste le temps d'esquiver le coup.

L'homme et le démon se faisaient face. Deux bêtes de combat allaient s'affronter dans un combat à mort. Jane le savait. Elle ne pouvait rien faire.

Le démon sauta à la gorge de Gérald qui para le coup et le repoussa d'un violent coup de pied. Il se recula et se mit en garde, attendant la prochaine attaque. Il savait que s'il attaquait le premier, il ne ferait pas le poids. Il devait profiter des moments de faiblesse de la créature qui lui faisait face. Ils se tournaient autour, chacun évaluant l'autre. Gérald cherchait aussi à percer les défenses psychiques de son adversaire. Il avait remarqué que celui-ci avait l'esprit encombré par la vision des deux jeunes femmes qui se relevaient doucement. Luc restait inconscient au sol mais il ne pouvait rien faire pour lui pour le moment.

Il devait se concentrer sur Satiricon.

—      Jane ! Dépêche-toi de passer le portail, je ne perçois presque plus le comte. Il va nous échapper !

Jane voyait son ami et le démon s'affronter du regard. Elle était encore un peu sonnée mais tenait debout. Viviane était à côté d'elle, flageolante.

—      Fais ce qu'il te dit. Dépêche-toi !

—      Oui ! D'accord !

Tandis qu'elle se rapprochait du portail, Satiricon tenta de se jeter sur elle. Heureusement Gérald avait anticipé son mouvement et réussi l'immobiliser.

Jane sauta dans le portail ouvert. Elle ignorait où elle allait se retrouver.

 

Elle fut éblouie par le soleil de midi. Cela faisait des heures qu'ils avançaient dans une semi-obscurité et là elle arrivait au milieu d'une esplanade devant un temple au sommet d'une colline. Elle était seule, il n'y avait pas un bruit. Comment allait-elle retrouver le comte ?

Elle regarda autour d'elle. L'imposant sanctuaire de marbre blanc dans son dos, elle apercevait une petite ville au pied de la colline. En son centre, il y avait un autre temple. Elle frissonna quand elle vit la même tornade bleue s'élever au-dessus du toit du monument. "Ici aussi !" se dit-elle. Mais maintenant, la spirale commençait à changer de forme. Une sorte de silhouette fantomatique semblait prendre vie. Des éclairs zébraient le ciel autour de cette créature géante. Jane frissonna. Elle se retourna et décida de s'approcher du temple qui semblait pouvoir la protéger. Elle espérait trouver une réponse à ses questions.

Silencieuse, elle traversa les colonnades. Elle poussa la lourde porte du sanctuaire et se retrouva dans une immense nef dont le plafond était soutenu par des colonnes encore plus imposantes que celles de l'extérieur. Au pied d'une petite statue, un feu brûlait dans un brasero. Une femme en toge blanche semblait prier. Elle s'avance doucement. Le claquement de ses chaussures résonnait dans le temple. La femme se tourna vers elle, l'air grave, hautaine mais aussi protectrice et aimante.

—      Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ? entendit-elle résonner dans sa tête.

—      Je suis Jane, je viens de la Terre et je suis à la recherche d'Athéna pour nous aider.

—      Athéna ? Mais son temple est loin d'ici ! Ici tu es dans le temple d'Héra.

—      Je le sais mais Athéna m'avait fait don d'un pendentif que j'ai dû remettre à un homme démoniaque. Mais j'ai toujours sa marque sur moi. En disant ces mots, Jane ouvrit son chemisier et dévoila à la femme sa poitrine bleutée. La prêtresse ne bougea plus et fixa la poitrine de la jeune femme.

—      Suivez-moi ! Si Athéna vous a laissé cette marque et que vous êtes ici, c'est que la situation dans votre monde est grave.

Jane la suivit dans le dédale du temple, rapidement elle perdit la notion de l'orientation et s'efforçait de ne pas perdre de vue celle qui la guidait.

—      Déesse ! Déesse ! Une femme de l'autre monde est là.

Une femme aux longs cheveux blonds se retourna. Elle portait une tenue de lin toute simple mais elle avait des yeux bleus qui perforaient l'âme de ceux qui croisaient son regard.

—      Laisse-nous, s'il te plaît ! dit-elle en congédiant la prêtresse.

—      Raconte-moi chère enfant ce qui t'amène ici ? Ou plutôt non laisse-moi te regarder, cela ira plus vite.

La déesse prit le visage de Jane entre ses mains et aussitôt celle-ci fut plongée dans un sorte de bien-être réparateur. Elle comprit que son hôtesse visitait son esprit et quelques secondes plus tard, Héra savait.

—      Ainsi cet homme n'a pas renoncé à son funeste projet… Pourtant il sait bien qu'il n'a aucune chance de réussir.

Jane ne savait que dire. Tout se bousculait dans sa tête, son enfance sud-africaine, sa rencontre avec Luc, leur voyage en Auvergne. Quand Héra la lâcha, elle s'effondra au sol. Inconsciente, elle ne se rendit pas compte que deux jeunes femmes l'avaient transportée dans une chambre pour qu'elle puisse reprendre des forces.

 

Dans la cave, le combat faisait toujours rage entre Gérald et Satiricon. Le jeune homme malgré ses talents de lutteur ne parvenait à vaincre son adversaire surnaturel qui à proximité d'un portail pouvait puiser de l'énergie depuis son monde d'origine.

Viviane assise à côté de Luc dont elle soutenait la tête sur sa cuisse regardait impuissante son amant perdre peu à peu ses forces. Elle savait que s'il perdait, elle deviendrait l'esclave de ce démon et que Luc ne survivrait pas.

Les deux combattants se tournaient autour, chacun évaluant l'autre. De temps à autre, un poing ou une jambe partait, esquivé ou paré. Ils étaient de force comparable visiblement et aucun ne prenait le dessus sur l'autre. Gérald sentait que ses forces diminuaient inexorablement, psychiquement les défenses de Satiricon étaient toujours en place et contrairement au comte qui flagornait beaucoup, le démon ne faisait pas cette erreur et ne baissait pas sa garde.

Viviane sentait des larmes de désespoir lui monter aux yeux, tous ces mois de luttes pour en arriver là. Elle pensait aussi à tous les habitants de la ville qui devaient être sous l'emprise de la pandora. A ses élèves qui ne connaîtraient plus la liberté de vivre selon leurs désirs mais uniquement sous les désirs de leurs nouveaux maîtres. Le bébé sentait son angoisse et sa peur et remuait dans son ventre. Elle déposa la tête de Luc sur le sol de pierre et décida de se lever. Elle n'allait pas se laisser prendre sans se battre.

Elle était debout quand le portail devint encore plus brillant et elle dut se tourner pour ne pas être aveuglée. Gérald et Satiricon se reculèrent surpris.

Une femme en toge blanche apparut, armée d'une lance. Elle ne laissa pas une chance au démon et le transperça d'un coup avant même qu'il ne se fut remis de son éblouissement. Un hurlement de douleur et de détresse s'éleva dans la grotte et Satiricon perdit toute consistance.

—      Rentre chez toi et ne reviens jamais sur cette Terre !

Elle regarda les jeunes gens hébétés. Gérald tomba à genoux épuisé. Elle se pencha sur Luc.

—      Il va bien, il est juste sonné. Et toi Gérald ?

—      Ça va, fatigué mais ça va aller.

—      Il nous faut aller en ville rapidement, j'ai prévenu mes amis. Nous ne serons pas trop pour vaincre celui qui est en train d'apparaître.

—      Mais comment allons-nous combattre le Grand Maître ?

—      Nous n'allons pas le combattre, nous allons juste empêcher sa matérialisation. Nous devons faire vite, tant que Wilhelm n'a pas trouvé ce qu'il cherchait, ce démon ne peut pas franchir la membrane qui le sépare de notre monde.

—      Mais il va nous falloir plusieurs heures pour rentrer et Luc n'est pas en état de marcher.

—      Ne vous inquiétez pas pour Luc. Attendez-moi ici !

Elle le prit dans ses bras et traversa le portail avec lui. Dans le temple, elle le confia à ses servantes qui allèrent le déposer aux côtés de Jane.

Laissés seuls, Viviane et Gérald reprenaient leur souffle.

—      Comment vas-tu mon chéri ?

—      Ça va, nous ne sommes pas donnés trop de coups, j'aurais juste quelques bleus. Et toi ? Et le bébé ?

—      Ça ira, le bébé n'aime pas que tu te battes. Il me l'a bien fait comprendre.

Gérald sourit et la déesse réapparut.

Soulagés, ils la suivirent dans le souterrain emprunté auparavant par le comte et son sbire. Tout en marchant aussi vite que possible, Gérald l'interrogeait sur ce qu'elle comptait faire.

—      Il nous faut arriver au monastère et stopper la Grande Invocation.

—      Mais nous avons vu le spectre du Grand Maître se matérialiser au-dessus de l'église, dit Viviane qui ralentissait la marche du fait de sa grossesse.

—      Nous sommes presque arrivés, j'ignore ce qui nous attend au manoir du compte. Mais préparons-nous au pire, je ne suis pas sûre que ma lance puisse repousser tous ses séides.

En franchissant le deuxième rideau de lumière qui leur permis de se retrouver dans la cave, ils se turent. Il n'y avait aucun bruit autour d'eux.

—      J'ai l'impression qu'il n'y a plus personne…

—      Oui et c'est ce qui m'inquiète, répondit-elle. Viviane, pour ta sécurité et celle de ton enfant, je voudrais que tu restes ici pendant que Gérald et moi irons en ville. Ce que j'espère c'est que mes amis seront bien arrivés aussi.

—      Oui je resterai ici… Gérald ! Sois prudent ! Je t'aime !

—      La déesse sourit à ses paroles et suivie du jeune homme, ils sortirent dans le parc.

—      Je croyais que nous allions en ville ?

—      Oui ! Mais avant, nous avons une chose à faire. Couvres-toi le visage avec quelque chose, le pollen de pandora est partout présent.

—      Mais ils n'affectent que les femmes ! Et je suis immunisé.

—      Normalement oui ! Mais aujourd'hui vu les quantités de pollen qui se sont échappés de la serre et la sève brulée pas les pandorines, je crains que tu ne sois pas si protégé que cela et plus nous serons nombreux mieux cela sera.

En arrivant à la serre, elle commença à briser les vitres avec sa lance.

—      Dommage de devoir détruire toutes ces fleurs, il y a des exemplaires uniques. Le comte avait vraiment la main verte.

—      Trouve moi de quoi faire du feu… Il faut brûler tous les plants de pandora.

Gérald chercha dans la réserve ce qui pouvait leur servir pour détruire ces fleurs maudites. Il revint les bras chargés de bidons de divers produits inflammables qu'il répandit sur les plantes.

—      Je n'ai pas de briquet, dit-il.

—      Ce n'est pas grave. Regarde qui arrive.

—      Arthur ! Tu es revenu !

Les deux hommes se serrèrent dans les bras.

—      Ecartez-vous ! je m'occupe du reste.

—      Viens allons aux écuries, si je me souviens bien Wilhelm adore les chevaux.

Laissant Arthur derrière eux, ils coururent vers les écuries et ils entendirent alors un énorme coup de tonnerre. Ils ne prirent pas le temps de se retourner, Arthur, ou Zeus selon les régions où il s'était fait connaître, venait de diriger la foudre sur la serre qui brûlait.

Junon rassura les chevaux et ils prirent chacun une monture pour se rendre le plus vite possible en ville.

Les yeux de Gérald commençaient à le piquer, il comprenait ce que sa compagne avait voulu dire en parlant de la concentration de pandora dans l'air. Plus ils avançaient vers le couvent et plus il pouvait constater que les gens étaient sous l'emprise de la drogue.

—      Là, regarde ! Nous ne pouvons pas la laisser comme cela…

Héra tourna le regard vers une femme entourée par trois créatures démoniaques qui avaient quittés le manoir lorsque la Grande Invocation avait commencé. Elles avaient cru que leur heure était venue.

En criant et en chargeant la lance en avant, ils foncèrent vers le groupe qui maltraitait la femme. Les démons surpris se retournèrent mais trop tard. Le plus proche ne put éviter le coup de lance qui le transperça et les deux autres s'enfuirent en courant.

—      Combien sont-ils dispersés dans la cité ? demanda Héra.

—      Je l'ignore. Les rares fois où je suis allé au manoir, je n'en ai vus que trois ou quatre en plus de Satiricon mais je sais que durant ces dernières semaines, le comte en a régulièrement invoqués.

—      Nous nous occuperons d'eux plus tard… Dépêchons-nous, les sœurs ont presque fini.

—      Je ne comprends pas pourquoi il leur a demandé de commencer sans avoir tout ce dont il avait besoin…

—      C'est un des mystères de Wilhelm, à la fois méthodique et impatient. Il est aussi avare de pouvoir, c'est pour cela qu'il a renoncé à son statut d'Appelé. Il voulait être dans la lumière…

Ils descendirent de leurs montures en arrivant devant le monastère, le spectre se faisait menaçant au-dessus d'eux. Même s'il ne s'était pas encore matérialisé, il avait pris conscience de leur approche et les fixait de son regard mauvais.

—      Eléonore, Hiroshi, Eshe ! Merci d'être venus.

—      —Nous ne pouvions pas rester immobile, ce qui est en train de se passer nous concerne aussi, dit l'homme d'origine japonaise.

—      Nos compagnons sont restés chez nous pour être sûrs que rien de fâcheux n'arrivera dans nos régions, ajouta Eshe. Nous avons déjà constaté des manifestations étranges près de certains sites.

—      Je pense que nous sommes au point nodal des projets de Wilhelm. Il a fait se réunir ici des femmes qu'il a prises sous son contrôle grâce à la pandora. Arthur a détruit la serre où il la faisait pousser.

—      Alors nous avons gagné ? s'enquit Eléonore.

—      Nous sommes sur la bonne voie mais nous devons encore réduire cette assemblée au silence.

—      Vous ne comptez pas assassiner ces pauvres femmes ? s'inquiéta Gérald.

—      Dans un autre temps peut-être, il nous aurait suffi de mettre le feu au bâtiment et de s'assurer qu'aucune ne sorte mais maintenant ce n'est plus possible.

—      Comment allons-nous faire alors ?

—      Nous allons faire exactement ce qu'elles sont en train de faire. Ouvrir un portail.

—      Tu es folle Sylvie ! lança Eléonore. Nous ne sommes que quatre et cela pourrait nous tuer.

—      Erreur, ma chère ! Nous sommes cinq avec Gérald.

—      Mais il n'est pas des nôtres !

—      Non mais il est du Sang Sacré, il a le pouvoir de créer un portail comme tous ses frères de sang.

Gérald la regarda interloqué.

—      Oui mon ami ! Je t'expliquerai cela après la victoire… Venez que je vous explique comment procéder.

Elle les rassembla autour d'elle et leur expliqua ce qu'ils devaient faire.

 

Quelques minutes plus tard, ils entraient dans l'église du monastère où les sœurs rejointes par plusieurs dizaines d'autres femmes de la ville invoquaient le Grand Maître. L'air était presque irrespirable tellement il était chargé en pollen et en fumée provenant de la combustion de la sève de pandora.

Ils se mirent en position en silence autour de la nef. Héra ou Sylvie se tenait dans le déambulatoire juste derrière le chœur. Ils formaient le sommet d'un pentacle. Ils entouraient l'ensemble des femmes qui psalmodiaient en se trémoussant de manière plus que sensuelles sur des paroles dont aucune ne comprenait le sens.

Ils unirent leurs esprits et à leur tour firent une invocation à la Déesse créatrice de l'Univers. Leurs esprits entrèrent en contact avec l'esprit de la Création. Gérald eut du mal à soutenir cet effort mais fit de son mieux pour ne pas craquer. Ses compagnons semblaient souffrir autant que lui. Leur corps matériel contenait difficilement l'énergie qui affluait en eux. Sylvie les guidait pour construire le schéma qui se dessinait dans leurs têtes.

Les femmes qu'ils entouraient commençaient à réaliser que quelque chose n'allait pas et l'une après l'autre, elles cessèrent de chanter. Les religieuses qui se trouvaient au centre furent les dernières à réciter l'invocation. La mère supérieure en se rendant compte de ce qui se passait autours des femmes poussa un hurlement de désespoir et d'affolement.

Les cinq maintenant liés par un réseau d'énergie achevèrent leur travail en créant un portail vers la dimension d'origine du Grand Maître. Avec l'aide de la Créatrice, ce passage n'était qu'un passage à sens unique et d'un coup, toutes les femmes disparurent de l'église.

Sylvie rompit le lien entre eux. Gérald tomba inanimé au sol. Dans le ciel de la ville l'apparition démoniaque disparut et le vent se leva pour disperser les dernières traces de pollen.

Encore sous le choc émotionnel, les habitants se remettraient lentement de la folie collective qui s'était emparé d'eux en se demandant s'ils avaient rêvé.

Les démons qui avaient quitté le manoir disparurent dans la nature. On entendit parfois parler de jeunes femmes envoûtées par un amant merveilleux qui quittaient leur famille sans raison mais rien de plus.

Le comte Wilhelm Van Dyck ne fit plus jamais parler de lui et personne ne sut ce qu'il était devenu après l'incendie de la serre et du manoir.


 

Le bébé

 

Jane et Luc se réveillèrent ensemble dans cette chambre luxueuse d'un petit manoir de la région parisienne.

—      Où sommes-nous ?

—      Je l'ignore, nous étions dans cette grotte je me suis évanoui et nous voilà ici. Et toi ?

—      Moi j'ai franchi le portail où j'ai rencontré une femme étrange qui a pris ma tête entre mes mains et je ne me souviens pas de la suite.

Ils se levèrent et découvrirent des vêtements neufs et propres qui les attendaient. Ils étaient en train de s'habiller quand quelqu'un frappa à la porte de leur chambre.

—      Une minute ! dit Jane qui finissait d'enfiler un chemisier.

Quand elle fut prête, Luc ouvrit la porte.

—      Gérald, c'est toi ! Où sommes-nous ?

—      Chaque chose en son temps mais nous sommes contents que vous soyez revenus parmi nous. Venez suivez-moi, vous avez peut-être faim.

— Un peu mais ça va ! dit Jane.

Ils suivirent leur ami dans les couloirs du petit château jusqu'à une petite salle à manger où les attendait une collation.

—      Jane ! Luc ! Je vous présente nos hôtes Florent et Camille ainsi que leur fille Viviane.

—      Merci mais pourquoi sommes-nous ici ?

—      Sylvie et Arthur les propriétaires de cette demeure pensaient que c'était le meilleur endroit pour vous remettre de vos émotions. Et nous pourrons vous expliquer de nombreuses choses, leur dit Camille. J'aime beaucoup vos créations Jane, ajouta-t-elle en souriant.

Gérald reprit la parole.

—      Ma Viviane s'est permis de tenir votre boutique pendant que vous étiez endormis… Elle ne va pas tarder à arriver mais elle est un peu occupée en ce moment.

—      Mais…

—      Je comprends que vous ayez de nombreux questions à nous poser, mais commençons par prendre quelque chose. Moi aussi j'ai faim ! dit Viviane qui venait de franchi la porte en portant un bébé de quelques jours dans ses bras.

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