Le monstre en l'homme

mlleash

Gagnant de la nuit des plumivores (concours jetez l'encre).

       Je suis entré dans son coeur mou et chaud d'enfant. C'était beau, offert, comme une terre nouvelle, et elle était si douce, si délicieuse…sa voix était mielleuse. Je suis resté un peu, pour voir. Je me suis détendu, reposé, ressourcé entre ses veines, au fond de sa peau. J'ai pris ce qu'il y avait à prendre…Pas grand-chose étant donné son manque d'expérience. Je me suis lové au creux de son souffle et j'ai marché à son rythme, regardant le monde comme elle le voit, avec la même candeur et la même naïveté.


       Je me suis installé dans cette relation, cela ne semblait pas la gêner. J'étais comme un ami, un bagage, un animal qui mangeait, grossissait et j'écoutais le martèlement des battements de son coeur affolé lorsque je me tenais un peu trop près. J'ai roulé ma bosse dans une relation facile, avec une fille docile qui ne se débattait pas. J'avais beau l'épuiser chaque jour un peu plus, elle mettait cela sur le dos de la fatigue, du rhume, du mauvais temps, du stress. Je suis devenu peu à peu un poids, un boulet enchainé à sa poitrine distordue qui fondait à vue d'oeil. J'ai brisé son corps, j'ai brisé son âme. J'ai fait de sa vie un cauchemar en me contentant simplement de vivre la mienne. Plus elle souffrait, plus je m'accrochais à elle de peur qu'elle m'abandonne, de peur qu'elle n'ait plus rien à me donner. J'ai vu ses yeux devenir ternes et vitreux, ses os fins et fragiles, et c'est comme si je sentais l'air fuir tout son être, imperceptiblement, chaque minute.


     Alors, j'ai voulu partir. Sortir de cette relation destructrice et trouver quelqu'un d'autre, de plus fort, de plus gai, de plus énergique. Je voulais la laisser vivre sa vie de son côté, reprendre un peu du poil de la bête en laissant ma bête sauter sur quelqu'un d'autre. Mais je n'ai pas pu. J'étais coincé dans son épiderme. Je ne peux pas vivre seul, pas même une seconde. J'ai trop peur, trop froid, trop faim. J'ai besoin d'un maître, d'un hôte, d'un corps avec lequel jouer et respirer à l'unisson. J'ai besoin de me lover quelque part et de m'y installer tranquillement. 


      Et puis, elle aussi, un jour, elle a voulu que je parte. Elle me regardait comme si elle voyait un étranger. Elle semblait faire tomber mon masque couvert de miroirs et observer mon visage laid et difforme. Elle m'a chassé, elle m'a fui, elle m'a même ignoré. Elle a perdu ses cheveux, brûlé mes cellules, rasé mon nid chaud et déserté le lit. Notre foyer est devenu calme, morose, et je taillais dans la part du désespoir pour me nourrir un peu. J'étais boulimique d'elle. Ses seins rebondis, sa peau laiteuse, sa moelle osseuse... Elle était un buffet continuel, un open bar alléchant de fluides corporels. 


       Un jour, dans un élan de désespoir, alors que j'étais collé à ses pieds, hurlant presque pour qu'elle m'écoute, couvrant sa chair de la mienne, déformant son ombre et étouffant le bruit de sa respiration et les battements de son pouls, dans un élan de courage inouï, elle m'a frappé. Un gros coup de poing dans la tête, qui a résonné dans mon corps entier et qui m'a presque atrophié. Mais mon sang n'a fait qu'un tour, je me suis mis en colère, je suis devenu agressif, je me suis gonflé à bloque, vibrant si fort que j'ai heurté ses tempes. Et, alors qu'elle était à terre, morte de fatigue depuis sa tentative offensive, reprenant ses esprits, elle leva les yeux vers moi qui lui cachait le soleil de ma carrure imposante, et elle ouvrit grand la bouche de stupeur.     On est toujours surpris quand ça nous arrive à nous.  On n'est jamais totalement prêt.  J'ai abattu mon point dans sa poitrine, violemment, l'air se comprima pendant qu'elle s'écrasait au sol.     Et la bataille pris fin.


     Je n'ai jamais voulu tout ça… Je ne vois pas pourquoi je l'aurais voulu. Je l'aimais ! A la folie.


      Je n'avais nul part où aller, j'étais seul. J'ai pleuré sur son corps inerte, je me suis allongé paisiblement à côté d'elle, je lui ai fermé les paupières, délicatement. Je me suis recroquevillé autour de sa silhouette en boule, et je me suis endormi.   

     Je suis ce qui la tua.  Parce que tuer les Hommes c'est dans ma nature, c'est une de mes conditions d'existence.  

Mais vous, quelle est votre excuse ?  

                                                                     

                                                                     Cordialement, Le Cancer.


Mlle Ash 

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