Le peintre et son modèle

saharienne

Vilain gros pervers remonte ta braguette, je l'ai mis en érotisme au cas des âmes pudibondes seraient outrées par l'évocation de corps nus où mais il n'y a ici rien pour te contenter.--- Le peintre et son modèle. 

Dimanche. Je croise et décroise maladroitement mes jambes, je tangue sur place et pour me donner de la contenance j'allume une cigarette. Ca fait des mois que je n'ai pas fumé. C'est dégueulasse les trois premières taffes. Et puis le rythme revient. Et enfin le calme dans ma tête. Mes pieds se fixent au sol. Une voiture passe et ses fars explosent la nuit : « Hey m'zelle t'as d'jolies jambes !!! ». Ce n'est pas vrai. Mais je suis dans une position dominante (celle des gens qui ne sont pas pathétiques face aux gens pathétiques) alors je lui adresse un sourire méprisant. « Elles ouvrent à quelles heures ?! » . Merde. Il est drôle. Je contracte mes lèvres aussi fort que possible mais rien à faire, je souris. Du coup mon sourire est hideux. Et lui rigole. Je me sens soudainement pathétique. Fais froid. Fais faim. Fais seule. Fais bientôt pluie. Fais chier. J'attend un rendez vous. Enfin je sais pas. Une histoire de peintre parigot qui cherche un modèle. Je ne sais pas pourquoi j'ai dis oui. Mais je ne vois pas pourquoi j'aurais dis non. Alors je suis là, station Monceau pour l'amener à mon appart histoire qu'on en discute. J'ai l'impression d'être un agneau qui ramène le loup à la bergerie. J'aime bien cette douce sensation d'adrénaline. Et en même temps elle me dérange. C'est comme si toute ma mécanique en avait besoin pour s'agiter. Mais alors le reste du temps ? Aucune idée de quoi foutre de ma fichue carcasse... Un homme passe. Il est grand, gigantesque. Ca me plait. Son visage est hideux, avec un menton proéminent et des joues flasques. Mais il est gigantesque, peut être dans les deux mètres. Ca me plait assez. Quand je lui souris d'un air avenant il rougit et baisse les yeux. Putain... 
Le peintre qui arrive est un quarantenaire faible. Tremblant de timidité. Taille dans la moyenne haute. Il me propose une seconde cigarette qu'il allume après plusieurs essais. Son pouce porte la marque rouge de la roulette de fer du briquet quelques instants... Il le suçote avec maladresse. Il s'est vraiment donné du mal pour allumer nos cigarettes. Il pluviote alors je lui propose de rentrer directement chez moi, dans l'immeuble d'en face. Il prend tout son matériel avec lui, je lui propose mon aide, il refuse mais sa pochette de pinceau tombe alors je la saisis d'autorité et on part comme ça, moi l'agneau devant et lui le loup derrière. Je ne sais pas encore si je guide ou si je suis traquée. Quand on entre chez moi je lui propose un thé. En le buvant assis sur mon canapé il se cache derrière sa tasse, les mains fixées fermement dessus, le visage et le regard plongé presque autant dans l'eau que le sachet d'Earl Grey que je viens d'y mettre. Normalement on devrait bosser toute la nuit. Il m'explique le principe en bredouillant : du body painting. Peindre sur mon corps. Il précise rapidement que je peux choisir l'endroit : le corps entier, juste le torse, le dos... Il n'ose pas me regarder. Il attend ma réponse. Ce peintre c'est une amie à moi qui m'en a parlé. Il a sa petite réputation. Je n'aime pas réellement ce qu'il fait. Mais il a l'air honnête. Oh non en fait. Pas honnête. Il a l'air faible. C'est surtout ça qui me rassure. Le fait qu'il ait l'air franchement faiblard. A son attitude, sa posture, son regard fuyant en dessous, ses tremblement, ses tics verbaux, ses lèvres un peu déformées à force d'être bouffées par les morsures je reconnais les symptômes d'un drogué. Il y a deux types de drogués, (désolé mes fumeurs d'herbes mais vous êtes HS) : ceux qui seraient près à tuer leurs parents pour l'argent d'une dose et ceux qui de toute façon n'en sont plus physiquement capables. Il est de la deuxième catégorie bien sûr. 
J'ai toujours eu peur du grand méchant loup. Quand j'étais petite mes cauchemars étaient remplis de chiens aux mâchoires énormes devant lesquels je courrais, courrais, courrais... Je fuyais l'histoire du petit chaperon rouge comme la peste. J'ai toujours hais les grands méchants loups. Même les petits chiens domestiques teigneux. Mais celui là, cette bête là, elle était si ridiculement faible, le poil détruit, les yeux vagues, et sa façon de me regarder avec la soumission des chiens pour le chef de meute, ce regard en dessous plein d'appréhension. « Nu intégral, ça me va. Pas de soucis. ». Sa respiration se modifie, il sort ses tubes «T'inquiètes pas, c'est hypoallergenique ». Un mots compliqué. Marrant. Mignon. J'aime bien l'effet que je produis sur cette homme. Ce n'est pas de la séduction, ce n'est pas du charme ou quelconque chose de ce registre romantique à la con. C'est plus primaire. Comme dans une meute, un rapport de domination tout simplement basé sur la capacité de l'autre à lui butter la gueule si nécessaire. Ca ne s'explique pas, ça s'est installé comme ça dès qu'il a commencé à me montrer qu'il avait peur. J'aurais pu être la première, j'avais très peur moi aussi, j'étais très intimidée, ça faisait vraiment longtemps que j'avais pas fumé... Mais pour masquer ma timidité j'avais choisis d'être hautaine et il était tombé dans le panneau. Et après tout pourquoi ne pas en profiter ? 
Il me montre ce qu'il a fais avant, sur d'autres femmes, à chaque fois je le sens qui attend mon avis. Dans le lot il y a des grosses, des trop maigres, des moches, quelques beautés, pour beaucoup je parierais qu'elles sont lesbos, une blonde aux cheveux courts absolument sublime, je l'arrête sur elle : « Elle, elle est magnifique ». Il hoche la tête en rougissant, plusieurs fois, ses doigts laissent des marques de sueur sur la photo : «  Hélène. Très très belle. Mais elle a demandé à ce que je retire sa photo du projet. Elle a peur que son patron voit ça ». J'hoche la tête. Les détails je m'en fou un peu à vrai dire. Mais j'aimerais être aussi belle que cette femme là. Son charme me fascine. Elle a l'air si sûre d'elle... Peut être que si je suis peinte par le même homme j'aurais un peu de sa beauté ou de son assurance. Et puis cet homme semble me voir comme une femme, je n'ai pas encore l'habitude, en général je sais que je suis plutôt vue comme une gentille fille. Fille. Alors je me décide, me retourne et comme à me dézapper. Je fais ça de dos. C'est stupide je devrais me retourner de toute façon tôt ou tard. Mais j'essaie de ne rien faire qui puisse être mal interprétée. J'aime bien sa gêne mais je n'ai aucune envie de jouer les petites allumeuses. Ces garces m'ont toujours exaspérée, pas envie d'en devenir une ce soir. Histoire de bien désexualiser l'ambiance je donne le tout pour le tout, respire un grand coup et vais me servir un thé dans la cuisine. J'assume. Aucun problème. Tout les jours si tu veux mon vieux. Moi, gênée ? Tu m'as prise pour qui. Mon grand kiff en été c'est les camps naturistes j'ai même envie de dire. Allez hop, regarde comme je bois à l'aise. Aucun problème je te dis. Limite j'irais bien marcher un peu dehors comme ça pendant qu'on y est. Je croise et décroise les jambes. 
Il me demande de m'asseoir sur mon canapé et il installe son projecteur, le dessin, une composition d'image un peu bordélique : lèvre à la rolling stones, l'image d'une fleur bleue très stylisée, des arabesques noires.... se projettent sur mon torse. Je m'amuse à faire des ombres chinoises sur mon ventre. La lumière du projo est chaude, c'est agréable et ça me détend. Immobile pendant une heure, dans le plus grand silence : il trace les contours de son dessin au pinceau à maquillage noir, le même que ceux dont on se sert pour les yeux. Je ferme les yeux à cause de la lumière qui m'aveugle. C'est très agréable, d'être immobile et dessinée dans la chaleur d'une lumière artificielle-pop couleurs... J'oublie complètement ce qu'il se passe autour de moi, le fait d'être nue devant quelqu'un tout ça... Et si j'avais accepté juste pour trouver une raison de ne rien faire pendant quelques heures ? Peinte au milieu d'une lumière colorée, je deviens une couleur parmi d'autre, une particule et j'aime ça... 
J'ouvre les yeux et le peintre lui aussi semble absorbé, comme ailleurs, il n'a pas l'air de remarquer qu'il dessine sur mes hanches ou mes épaules, il suit juste les contours de la projection, concentré. Je me vexerais presque. En fait je suis vexée. Un coup d'oeil à son entre jambe pendant qu'il se concentre sur un détail et je suis définitivement vexée : quel est cet homme qui ne bande pas quand il me voit à poil sérieux ? J'ai envie de tout annuler, de l'envoyer se faire foutre, cet eunuque. Il croise mon regard et rougit : « Ca va, t'as pas froid ? » « Non non nickel, les contours sont bientôt finis ? »  « Oui, on pourra faire une pause ». Ce petit bout de conversation me ramène à la réalité, à la stupidité de mon orgueil. Mais je n'en ai pas honte, au contraire j'ai même très envie d'en rire et de tout lui avouer comme on avoue une bonne blague « Hey mec, t'aurais été un pervers jt'aurais latté la face et j'étais presque prête à le faire parce que t'en es pas un ahahah ». Et lui en riant aurait répondu un truc du genre : « ahah sacré gonzesse jamais contente ». Mais j'ai rien dis et j'ai commencé à lire un roman le temps qu'il finisse les contours sur mes jambes. « Tu lis quoi ? » « Fante » « Je connais pas.... » « C'est lui qui a inspiré Buckowski » « Ah, Buck, un pote auteur à moi m'en a dis du bien de lui». Je lui pose des questions sur le milieu artistique parisien en vogue. Je donne l'air d'être impressionnée, je force mon air de gamine et j'écarquille les yeux quand il lâche quelque chose sensé faire de l'effet. Il a l'air tout content, finit rapidement son travail et décrète que c'est l'heure de la pause. Il roule un pétard, un deuxième. Même pas besoin de faire tourner, le paradis. Il doit être minuit alors je lui dis que j'ai peur de m'endormir. Il me dit en souriant qu'il en profitera pour peindre le dos. Il aimerait peindre aussi sur des hommes. Et des enfants. Mais pour les enfants c'est compliqué en ce moment. Alors il a abandonné l'idée. Il fume à la fenêtre, je ne m'approche pas trop histoire de ne pas trop apparaître comme ça à tout le quartier. Encore que dans ce quartier de riche ça mettrait peut être un peu de vie... Je l'envie d'être comme ça à fumer son pétard avec Paris la nuit face à lui. J'ai bien envie de sortir et d'avaler tout l'air de Paris. Tout tout tout. Il restera plus rien à personne pour respirer. Mais l'air frais de Paris après une journée de canicule c'est juste magique. Je lui dis à quel point j'aime paris la nuit, son silence, son air frais. Il fait la moue. Je crois qu'il s'en fiche de tout ça. Lui son trip c'est de peindre sur des corps à poil. Et après tout chacun son kiff. Je fixe l'extrémité de mon joint, ma petite luciole chérie, elle me fascine. Jolie tâche rouge. Ce petit lien charmant entre l'homme et le feu. J'ai soudainement très froid, il le remarque et ferme la fenêtre avec précipitation, dans un geste maladroit. « On reprend ? ». On éteint nos joints qui attendront la prochaine pause. Son herbe était pas terrible, j'ai à peine décollé... 

Il me fait un signe gêné et je comprend que je dois reprendre ma pause, je me replace le plus naturellement possible. Je tente de conserver cet avantage stratégique, celui de l'impudeur face à la timidité. « Je vais peindre les couleurs maintenant ». « Ca prendra longtemps ? » « Plusieurs heures ». Il étale de la peinture rouge sur le dos de sa main et y plonge le pinceau. 
Le pinceau qui prend feu. 
Je jure tout ce que j'ai que ce pinceau a pris feu. Ce putain de pinceau a pris feu, une putain de belle flamme bien rouge. Ce n'était pourtant pas grand chose, une tâche rouge... Et ça a pris feu comme ça, devant nous. Son herbe est peut être pas si dégeu que ça en fait... Il a regardé son pinceau avec un air con. Ca devait être la première fois que ça lui arrivait. Il a soufflé dessus, c'était ridicule. On éteint pas un aussi joli feu en soufflant comme on souffle de pathétique bougie d'anniversaire. Je suis fasciné par ce feu follet qui doit faire dix centimètre de haut... J'ai bien envie de l'avaler tout cru. Ca me réchaufferait l'estomac. Il me rappelle étrangement quelque chose, un vieux truc dans ma tête, ça a fait tilt et surtout ça me rassure. Un pinceau en feu. Ok d'accord. Tout les jours si tu veux mec. J'suis une meuf comme ça moi, j'me pose pas de question. Un pinceau en feu. No problem j'ai envie d'te dire. Et puis parce qu'il faut bien faire quelque chose, parce qu'on ne vit qu'une fois, et qu'on voit assez rarement ce genre de trip même dans nos chemins enfumés, il plonge le pinceau sur ma peau, à l'endroit où s'étale le contour de la paire de lèvre des Rolling Stones. J'ai froncé les sourcils prête à crier et pourtant rien, aucune sensation de brulure. Je cherche son regard pour partager ma déception mais il est déjà parti sur sa planète, le regard ailleurs, je comprends même pas comment... comment il ne dépasse pas ahah. Il étale sa « peinture » qui laisse une marge rouge sur ma peau. C'est rouge mais ce n'est pas de la peinture. Plutôt comme la marque laissée par une claque. J'aurais aimé partir avec lui. Quelques millions de kilomètre au loin... Je sais pas ce qu'il se passe dans sa tête mais on dirait qu'il a tout déconnecté et qu'il se concentre juste sur cette tâche, cette fichue tâche rouge sur mon épaule. Et moi je suis là connement assise sur mon canapé, j'ai froid et ce pinceau qui ne me réchauffe même pas. Je m'emmerde. Je ferme les yeux, fatiguée, lasse... Dans mes yeux la persistance de la seule lumière du salon forme une tâche rouge sur ma rétine.... J'appuie très fort sur mes yeux. De nombreux points verts forment un tunnel qui tourne sur lui même.... Pourquoi est ce que ce n'est qu'une image... Pourquoi est ce que je ne peux pas rester les yeux fermés toute ma vie... Je sens quelque chose de drôle. Ca me caresse. Ca me chatouille. C'est ce fichu pinceau qui danse sur mon épaule comme la queue d'un gros chat. Je ne sais pas si ça m'agace ou si ça m'amuse. J'ai oublié qui tenait ce pinceau et pourquoi il était là. Je sens juste cette caresse sur le rond de mon épaule. Je n'ouvre pas les yeux, me concentre sur cette sensation... Peu à peu je remarque d'autres détails, détails infimes. Le souffle du peintre sur ma peau m'occupe un long moment. C'est celui qui sort de ses narines. C'est chaud, doux, ce n'est pas menaçant. C'est juste un contact humain. Je me rend compte que je suis avide de ce genre de chaleur humaine. J'ai envie d'un calin. D'un gros calin. D'un gros calin tout doux... J'ai envie d'être une toute petite chose au fin fond d'une malle à doudou. J'entre ouvre les yeux et à travers mes cils je vois la tâche rouge qui s'est étendue et a bouffée tout l'avant de mon corps. Ce n'est vraiment pas grand chose. Une tâche rouge, presque rose. Je sors un autre roman. Il ne me demande pas ce que c'est. Il n'est vraiment plus là et nos bouts de conversations me manquent. Bien sûr ce silence est texturé. Il est épais. Ce n'est pas un vide. C'est plutôt une présence qui fonctionne comme ça... J'aimerais gifler cet homme. Mais il n'est plus là pour voir mon air énervé. Et s'il le voyait il s'en ficherait surement. Je n'ai pas envie de le réveiller de sa transe, au fond je l'envie surtout... Je profite qu'il ne fasse attention à rien pour reprendre mon spliff et le rallumer, je le fume doucement et je le regarde faire avec hauteur, lui à genoux à présent devant mes hanches. Il étale de la couleur bleu sur sa main et y plonge un nouveau pinceau. Quand il l'applique sur ma peau il m'arrache un cris de surprise : un grand hématome tache ma hanche. Je regarde mon peintre avec stupeur mais lui ne me regarde pas, saisit fermement mes fesses pour m'empêcher de bouger et pose encore quatre coups de pinceau qui m'arrachent quatre autres cris. Une énorme tache bleu sanguine : un énorme bleu. Un bleu en forme de fleur. Un coup pour chaque pétale. Une magnifique fleur que je regarde, stupéfaite. Je sais soudainement ce que c'est. J'ai en tête le nom précis. Cette fleur s'appelle l'« Iris bleu de Hollande ». Je pouffe en masquant ma peur derrière une ironie de façade. Il finit par relever la tête, penaud. Furieuse contre lui, contre moi surtout, je fais quelques pas pour me détendre, détendre mes crampes aux jambes et reprendre mes idées. J'ai peur. J'ai peur de perdre le contrôle. J'ai peur d'avoir cédé du terrain. Je dois montrer que rien ne peut me déstabiliser : « C'est très beau. ». « Merci ». « J'insiste, c'est vraiment très très beau ». Montrer que je domine toujours. « Je... ». « Tu as bien fais d'insister. ». « Ah.. ». Voilà. J'ai repris ma place. Je prend une gorgée de téquila, un fond de bouteille laissé là sur la cheminée condamnée par une soirée il y a quelques semaines et j'en rajoute, peut être un peu trop : « Tu voudrais pas en faire une deuxième ? » « Je... J'ai déjà dessiné les autres contours ». « Ah c'est vrai. Dommage. ». Dans tes dents petits fils de pute... Je croise et je décroise les jambes. 
Je m'installe debout, au milieu de mon salon, il semble rechercher un compliment supplémentaire en bon artiste drogué à l'attention qu'il est, sadiquement je me tais obstinément et pousse le vice jusqu'à choisir un nouveau roman que je lis face à lui. Après quelques secondes d'hésitation il reprend son « oeuvre ». Il passe au vert de la tige de la plante, et son feuillage. Quand il étale la couleur je me crispe, m'attends à tout et n'importe quoi tout en gardant les yeux bien vissés sur mon livre, mais rien ne se passe : une bête tâche de couleur verte salit à présent ma cuisse droite. C'est tout. C'est tout mon bassin que va recouvrir la végétation. Un long moment de répit pour moi donc. Alors je me plonge dans cette lecture parce que c'est encore le meilleur moyen que j'ai pour être sure qu'il ne me fera pas la conversation. « C'était un chaud après midi de juillet dans les Hautes Plaines. Je n'aurais jamais pu dormir sans.... ». J'ai terriblement envie de dormir... Je lis plusieurs fois la même phrase. Avec acharnement. Comme si à force j'allais y percer un truc secret. Comme si c'était une phrase très compliquée... Mais en fait je n'ai juste pas le courage de tourner la page. J'aime bien cette page. Elle est bien écrite au final. Je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas la lire et la relire toute la nuit si j'en ai envie. Les caractères d'imprimeries se mettent à danser devant mes yeux. Pour tout dire je les trouve assez aguicheur. Ce « u » de « chaud » est limite obscène. Il se tortille et enroule les deux barres verticales du « u » sur elles mêmes. Les barres du 'u' se croisent et se décroisent... Cette ligne imprimée floue devant mes yeux... On dirait une vague. Une vague d'encre. Une vague d'encre qui me donne le mal de mer et me fait tanguer : le peintre est obligé de me remettre bien droite debout plusieurs fois sinon je me laisse aller à taguer avec ma phrase... Ma toute petite phrase perdue dans un océan de paragraphes... Une vague. Qui te prend, te submerge et te noie. Ca fait tilt dans ma tête. Cette impression d'être soulevé par quelque chose de plus fort que moi... Que le seul moyen de s'en sortir c'est de se laisser porter... Ca me rappelle un truc.... Et étrangement cette sensation familière quoique désagréable me détend. Ce n'est jamais que du Body Painting après tout. Moi aussi comme ce « u » je peux aguicher. Je sais faire je crois... Je l'ai déjà fais une fois où j'avais trop bu, quelque part en Europe de l'Est... Loin des regards du quotidien. Loin de... Ou proche de... Je ne sais pas quelle distance on entretient avec soi même en voyage... Le voyage. Comme une vague qui te prend. Te rejette au loin. Et tôt ou tard te ramène. Reste à savoir dans quel état. Parfois le vernis bourgeois s'écaille et la jeune fille s'encanaille, elle voudrait juste qu'on la baise. Sans romantisme ou ménagement. Sans qu'on fasse attention à ce qu'elle est ou pourrait être... Sans en attendre quelque chose en échange. N'être plus qu'un corps parce que parfois être une personne c'est trop difficile. Parce que tout ça bien sûr c'est une histoire de sexe. Deux personnes seules dans un appartement, dont une nue, c'est une personne habillée de trop. Take it easy baby... Oui mais il y a quelque chose. Quelque chose qui fait tilt. Ce n'est pourtant pas grand chose... Bon sang ce n'est pas toujours si facile... J'ai peur de manquer d'air alors j'inspire longuement. Je gonfle à fond mon thorax. Avec un peu de chance ça abimera sa peinture héhé.... Sa peinture. 
Oui c'est ça. En croisant du regard un miroir au mur j'ai compris. Peu à peu sa peinture s'est transformée en vêtement... Je ne suis plus nue. Je suis verte, rouge, bleu, mais je ne suis plus nue. Ma chaire a disparue. Il manque encore une foule de détail. Mais globalement, je ne suis plus nue. C'est finis. Je respire un peu mieux. Je croise le regard du peintre et je vois que lui aussi est soulagé d'avoir passé cette étape. Plus rien n'est possible. Ou alors il faudrait tout détruire. Je me regarde dans la glace et je constate avec fascination qu'ainsi peinte plus rien de mon corps n'est suggestif. Les coups, les claques et tout le reste, ça prend le pas sur ma peau une fois recouverte de mauvaise peinture hypoallergénique et d'ecchymose. Il est quatre heures du matin, il fait encore nuit, les fêtards sont rentrés, les travailleurs pour la plus part dorment encore. J'ai l'impression d'être au courant d'un grand secret, d'un truc dingue, d'un truc interdit. Alors que ce n'est jamais qu'un peu de peinture. Je regarde au sol sur mon plancher blanc : une tâche rouge. Presque rose. Gênée je croise et décroise les jambes et sans rien dire vais dans la salle de bain. 

Ouaip... 

« But I won't heed the battle call, It puts my back up, puts my back up against the wall... Sunday bloody sunday... ». Ca fait tilt dans ma tête. C'est de qui déjà ? C'est quoi le titre ? Plus de tampax avec applicateur. Fait chier. J'ouvre la ration de secours et place l'étrange suppositoire de tissus bien droit sur mon doigt avant de me l'enfiler en tremblant le moins possible pour qu'il trouve le chemin sans se barrer dans les coins. Je crois que c'est assez profond. Une fois tout en place je regarde ma main et résiste de toutes mes forces à la tentation de jouer moi aussi les artistes en ajoutant un peu de couleur à l'ensemble... Ahah, je me sens très « art contemporain », presque « avant gardiste » ce matin... Ce matin... Un regard à la fenêtre de ma salle de bain. Il fait toujours nuit bien sûr mais une sorte d'aura bleue clair recouvre les toits parisiens. Je déteste ça. J'ai l'impression que l'on me vole quelque chose. Je retourne dans le salon où le peintre fume une cigarette à la fenêtre. Lui aussi l'a remarqué. Il ne nous reste plus beaucoup de temps... 
Pourquoi est ce que j'ai accepté ? Est ce que c'est parce que j'en avais envie ou... parce que je n'ai pas su dire non ? Si j'avais été narcissique, si j'avais voulu m'admirer, j'aurais demandé à ce que l'on me peigne moi, et pas à ce que l'on peigne sur moi. Au lieu de m'exhiber je disparais sous les couches de peintures. Comme un caméléon je serais une ombre colorée parmi d'autres lors d'une exposition où je ne connaîtrais personne. Ce n'est pas seulement mon corps qui a disparu, c'est moi aussi, un peu. J'étouffe sous cette peinture dont l'odeur me prend les narines et le me donne la nausée. Un bleu presque noir à la fenêtre. Un bleu pétrole. Je n'ai jamais été très douée en dessin. « Mais je fais de supers belles têtes de cheval ». « C'est déjà ça. ». « On tourne vite en rond ». « Tu pourrais aussi faire des têtes d'ânes ». « Je pense pas. Je suis spécialisée dans le cheval, vraiment ». « Quand ça veut pas, faut pas forcer ». Ca fait tilt dans ma tête. J'ai la nausée à cause de cette connasse de peinture. Ou plutôt de l'espèce de détergent qu'il utilise pour effacer les endroits où la peinture a bavée : à l'éponge il rectifie tout ce que mes mouvements ont abimé au cours de la nuit. « On va passer à la photo ». Ca tourne. Le salon autour de moi tourne. Ca m'emporte. J'ai des étoiles noires dans les yeux, je me retiens pour ne pas vomir devant lui et au final rien ne vient. J'ai chaud. J'ai terriblement chaud. Je sue tellement que la peinture en brille, comprends rien à ce qui se passe, m'assois et colore au passage mon clic clac et je m'en fou des tâches, ne vois plus rien : ma vision est totalement bouffée par des étoiles jaunes et noires, ça tangue, tangue, me sens vraiment pas bien du tout « me sens pas bien » « tu veux que je t'amène un gant frais ? » « Oui. Y'a un torchon sur le lavabo. ». Il passe le torchon frais sur mon front et essuie mon visage en tapotant. Pendant trois secondes je me demande si le torchon était propre ou non. Et puis on s'en fou. Le peintre a l'air sincèrement inquiet mais m'en fou, complètement larguée... Noir. Noir à la fenêtre, noir dans mes yeux, noir partout. Noir partout. Noir partout dans la pièce. Noir dans ma chambre. Je ne vois plus rien. Je sens juste qu'on me touche. Qu'on m'allonge sur le dos. Qu'on me parle d'une voix rassurante. Une grand ombre s'agite je crois devant moi. Je ne sais pas ce qu'elle fait. J'ai chaud. J'ai putain de chaud. Pourquoi est ce que j'ai accepté ça déjà ? Je ne me souviens plus... Y'a un truc... Un truc que j'ai oublié... Ca m'obsède... C'était il y a quatre ans... J'ai oublié... C'était il y a longtemps. C'est du passé. Il fait chaud, noir, humide. Je n'ai pas le droit de bouger. Si je bouge je détruis tout. Si je bouges on va m'engueuler. Si je bouges... Mais je ne peux pas bouger. C'est comme une vague. Je dois me laisser porter sans ouvrir la bouche pour ne pas boire la tasse. Je n'ai pas le choix. La vague est plus forte que moi. Me sens pas bien. Pas bien du tout... Noir. Au fond de ma rétine une petite tâche lumineuse. Vraiment pas grand chose. Je la suis des yeux... Je la suis tout court. Elle m'emporte tellement loin... Il est là. Guettant dans le noir. Tapis dans mon esprit. Lui. Aussi loin que je me souviennes j'ai toujours eu peur du Grand Méchant Loup... Et quand je l'ai enfin rencontré, à seize ans je me souviens, je me souviens de ses grandes dents, et de son air coupable, de son odeur... Scorpio je crois. T'es cap ou pas cap ? C'est ça, la question qu'il faut se poser. Mais je me souviens. Je me souviens de tout. C'était peut être à la télévision. C'était peut être moi. Mais c'était dans un monde où les « non » sont entendus comme des « peut être » et où les « peut être » n'ont aucune espèce de valeur. Un monde silencieux et horizontal. Je me souviens. D'une tâche rouge, presque rose. Sur l'océan d'un drap blanc, sortit tout juste de la machine à laver familiale. Et le passé redevient passé. Mon corps est parcourus de spasme, mon sourire se tord, mes bras s'agitent, mes jambes se croisent et se décroisent. T'es cap ou pas cap ??! Non. Noir. 

Hum... 

Quand je me réveille je suis dans mon lit, il est six heures du matin, le soleil se lève. Le peintre me tend un thé. Je le bois en me cachant derrière la tasse. « T'as fais un sacré malaise. » « Un malaise vagal, j'en fais souvent. » « T'as fais un bad trip ? Elle était pas forte pourtant. » « Non, j'ai juste fais un cauchemars. » « Oh. Ca parlait de quoi ? » « M'en souviens plus. ». Je regarde la peinture : sauf quelques détails l'essentiel est intact. « J'avais posé un verni dessus. » « Tu m'as verni ? » « C'est hypoallergénique ». « Oh. Cool. ». 
Je regarde avec consternation mon corps pathétique et malade en repensant aux photos magnifiques d'Hélène. Pendant mon sommeil il a pu tracer ses arabesques, il a choisit de les faire rouges. Elles filent le long de mes bras. Vu d'ensemble on dirait que les lèvres des Rolling Stone veulent manger une fleur bleue sur fond tribal. Ca fait tilt dans ma tête. Et à présent je sais pourquoi. Le peintre, ça se voit, ne peut pas supporter à la fois une situation gênante et un silence pesant, il lance donc : « Tu ferais pas de l'épilepsie ? ». « Non pourquoi ? » « Jeune j'en faisais, ça ressemblait à ça... »  « Ah. Non.. Non c'était juste un malaise. » « ...A cause de ça j'urinais partout en public, même encore maintenant en fait. Dès que j'ai une émotion un peu forte. ». « Pas de bol... ». Je suis trop jeune pour savoir quelle réaction polie avoir face à un homme incontinent. Il continue : « Dis... Je peux te demander un truc ? Ca me servirait à présenter les photos dans le livre. ». J'hoche la tête et lui lance un sourire avenant. « Pourquoi t'as accepté de poser ? » « Hum... Je sais pas. Pour voir si j'en étais cap je suppose. Et puis aussi pour... Pour me prouver que c'est à moi tu comprends? Que cette carcasse c'est ma carcasse et que j'en fais ce que j'en veux. Si je veux je la recouvre de peinture, un point c'est tout. Si je veux je me tatoue, je me recouvre de beurre, je me mets du vernis, je me ballade à poil sur la plage à knot le zout si je veux. J'avais envie... D'affirmer ça... Et y'a pas de plage à Paris. ». 
Il ne répond rien et fais semblant de réfléchir à tout ça même si je pense qu'au fond il s'en cogne. Puis : « Je peux faire quelques photos, si ça va mieux ? ». Je le rassure et retourne au salon, ouvre en grand les fenêtres et me pose sur la barrière du balcon sans aucun respect pour la pudeur de mes voisins du 17ème. Le peintre rigole franchement pour la première fois depuis notre rencontre et commence à mitrailler. Incapable de pauser je me contente de bouger à chaque fois de quelques millimètres un sourire ou une hanche, de mettre en valeur son dessin. L'histoire d'une paire de lèvre vorace. Il faut beau et déjà chaud dehors. Un vent printanier donne envie de partir courir à poil dans les champs. Ou en jupe. La nudité c'est juste un moyen pratique. Mais c'est pas le fond du truc. Une jupe c'est bien aussi. Courir en jupe. Faire tourner une jupe en tournant tournant tournant jusqu'à l'ivresse. Je lui souris et le regarde dans les yeux pour la première fois. Il a de beaux yeux. Bleus. De grands yeux tristes, façon cocker. Mais aussi de grands yeux capables d'être amoureux, c'est sûr, et ce n'est pas si fréquent. Le genre de truc qu'on doit respecter. Et qui n'est certainement pas une forme de faiblesse. J'apprivoise les miroirs du reflex et la tâche rouge inquisitrice qui m'indique que l'appareil me surveille, c'est à mon tour d'être timide et malhabile, peu à l'aise à l'idée d'être ainsi enfermée dans une boite à image. Il est patient, ne critique rien et laisse faire, petit à petit je me détend et au bout d'un moment il s'arrête, visiblement avec quelques photos correctes sous le pied. 
La nuit a été épuisante et un bâillement indique aux peintres qu'il est temps pour lui de s'éclipser et de me laisser finir ma nuit, de toute façon lui aussi semble exténué. Je pense à Hélène et je me dis qu'on aura fait ce qu'on a pu. 

En partant, après avoir signé quelques papiers comme quoi je m'engage a ne pas tenter de procès potentiellement juteux un jour, et alors que je vais pour fermer la porte derrière lui il me lâche : 
« J'aimerais bien que tu fasses un texte, pour illustrer cette photo, pour le bouquin de l'expo». 
« Ok. ».

  • cdc

    · Il y a environ 11 ans ·
    Pedro almodovar 2012 150

    tiare

  • Alors là ! Quand j'ai vu 17 pages j'ai eu peur...Puis non, plus j'avançais plus ça m’intéressait. J'aime tout, les personnages, la façon de raconter et surtout le dénouement. Je reviendrais vous lire. Cette fille est vraiment attachante, j'aimerais la connaître. Merci pour ce bon moment où j'ai quitté mon fauteuil et bien décollé. Bravo

    · Il y a environ 11 ans ·
    Randonneur

    jeanro

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