Le petit Sept

Christian.Picaud Picaud

Albert Mossange, qu'il s'appelle. C'est le gamin du flic et de la journaliste, là. Mossange. Où trouver un nom pareil. "Mosse", comme la mousse en anglais, et "ange", pour... vous savez quoi, ces gars, avec des ailes, et qui sont tout blancs. J'vous jure.

Le 30 Septembre, le petit Albert Mossange fête son septième anniversaire.
Les copains d'école sont là, bien content pour leur camarade, mais aussi bien contents pour leur amusement... Ils redemandent à souffler les bougies, parfois plus d'une fois. C'est la jeune maman qui est bien aimable avec eux, bien décontractée; le père, fatigué, sourit juste à peine, passe sa main dans les cheveux de son grand garçon, et s'écroule dans un fauteuil non loin de là.

Il faut dire, il n'y a rien à envier aux Mossange. Ce sont des gens parfaitement sains d'esprit, arrangés, et tout ce qu'il y a de plus ordinaire.
Une voiture rachetée d'Allemagne à un prix d'occasion, plusieurs tableaux "à titre pornographique" tel que Le Baiser de Munch ou l'œuvre du même nom de Klimt; un intérieur très moderne, ou les technologies ne sont faîtes que d'antiques machines redoutées, car incassables. Vraiment, les Mossange savent se débrouiller. Ce couple vie d'ailleurs une belle idylle.

Il serait las de critiquer le pauvre père... Son travail ardu au poste permet à la famille entière de vivre un confort agréable; ni de trop, ni de pas assez. Il n'hésiterait pas le moins du monde de travailler davantage, même s'il en fut le désir de sa jeune et gaie femme; il l'aime plus que tout au monde (ou comme il aime son fils). D'ailleurs, assis même dans son fauteuil, à grogner en lisant dans son journal que le jour suivant serait Halloween, et qu'il devra sortir un jour sans travail pour aller acheter des friandises au supermarché du coin, il ne se garde pas de porter un chapeau rouge orné de points bleus pour saluer l'anniversaire de son fils.
Le couple Mossange compte faire un deuxième enfant...

La gentille soirée d'anniversaire se termine. Certains parents reviennent et récupèrent leurs fils et filles, toujours en fanfare. La soirée se termine dans le calme et la bonne humeur.

À se coucher, Albert demanda à sa mère pourquoi qu'il devait se coucher, même si à chaque anniversaire il était chaque fois un plus grand garçon... Elle lui raconta une petite histoire d'enfants en guise de justification. Le gamin s'endormit alors sous le poids des lettres et des syllabes (habilité que elle possède et use avec grand plaisir, notamment durant son emploi).

La jeune maman rejoignit son mari dans leur chambre; ce dernier portait des lunettes pour voir de près et lisait un livre intitulé La Route des Flandres, que son aimée épouse lui avait offert, et que lui s'efforçait de lire rien que pour lui faire plaisir, malgré la difficulté qu'il avait à en finir la moindre page.
Ils se soufflèrent brièvement qu'Albert était toujours aussi silencieux que d'habitude, malgré les cadeaux qu'il reçut et les visites de ses nombreux camarades. Mais voyons, dit lui... Si c'est un enfant tranquille, il n'y a pas vraiment de quoi s'inquiéter. L'exciter un peu, trouver de quoi lui occuper l'esprit, pourquoi pas. Puis ils changèrent en partie de sujet, et se dirent que faire le jour suivant.
Elle montra une feuille d'invitation écrite à la main au crayon épais, invitant Albert à la soirée d'Halloween. Lui se rappela alors brièvement du journal qu'il lis quelques heures auparavant, il se dit que si leur enfant passerait la soirée avec quelques copains, dont le grand frère de l'un d'entre eux (un jeune homme bachelier de confiance, ayant plusieurs fait la garde d'Albert) pour veiller à ce que tout se passe dans l'ordre ne lui ferait vraiment pas de mal.
Elle répondit avoir songé à la même chose, avant de l'embrasser et de lui demander, s'il le voulait bien, d'éteindre la lumière.
Il n'avait pas beaucoup de sommeil à écumer, mais elle avait les paupières lourdes comme du plomb. Alors il éteignit sa lampe de chevet.

Le jour suivant, Albert joua brièvement avec ses nouveaux jouets. Il fit beaucoup plus attention aux petites voitures en métal qu'à la radio à pile qu'on lui avait offert, car au fond, c'est la nouvelle technologie de l'époque, et on pensait les lui présenter d'ors et déjà...

La journée se déroula tranquillement. La mère cassa un verre à cause d'un faux mouvement, mais ce n'est pas grave. Albert l'a aidé à ramasser tous les morceaux de verre.

Vint alors le soir, Halloween!
Le jeune bachelier arriva, habillé en rouge; il portait un cache-œil. Albert lui demanda s'il s'était déguisé en pirate, ce qu'il crût.
Le jeune homme prit le père à part, pour lui révéler que sous ce morceau de plastique se cachait une sale marque mauve, évidement victime de coups, infligé par d'autres jeunes de son âge pour avoir "joué à la nounou". Le pauvre jeune homme a beau expliquer à ces gars-là qu'il garde des enfants pour pouvoir se payer vêtements et couverts, il n'y a rien à y faire.
Le père d'Albert lui donne très discrètement une matraque télescopique, pour éviter les plus extrême des problèmes, ce soir d'Halloween. "On n'est jamais trop prudents". Et lui disait "la prudence est une vieille fille peureuse". Un peu plus, et le flic s'énervait...

Enfin la mère dit au revoir au fiston, et ils s'en allèrent.
À peu près une heure plus tard, toujours à la maison où les deux parents étaient toujours, la mère se mit à griffonner quelques notes sur une feuille de papier d'une main plutôt nerveuse.
Le mari arriva à ses côté, et lui prit le poignet. Il lui dit "falsification d'information. Madame je vous arrête".
Elle le regarda dans les yeux, se mordit la lèvre, et posa sur la table une paire de menottes.

Halloween! C'est Halloween! Des bombons par-ci, des farces par-là, très vivant et très joyeux.
Le petit Albert était habillé en "fantôme de diable", avec un drap blanc et des cornes rouges en plastique. Comme il est de peau plutôt pâle et a les yeux noirs, il n'y a que les vieilles superstitieuses qui refuseraient de lui donner de ces friandises... à moins de le trouver mignons, ou "croquant".

Ça se déroula plutôt bien pour le jeune bachelier, tout ces enfants tous contents, ces citrouilles en plastique regorgeant de sachets roses... Pas sa tasse de thé bien sur, mais il en avait pour son argent. Et puis les parents étaient rassurés.

Le petit groupe continua sa tournée et alla vers une rue plus large, quémander à encore plus de portes encore et encore des friandises, pour les caries ou pour la joie. On préfère en avoir qu'à en manger. Que voulez-vous.

Mais, le petit Albert... se lassa de toute cette marche, et traîna un peu; on le dépassa.
Les gamins passèrent devant lui tout content, sans trop se soucier pour leur camarade. Dire que c'était son anniversaire hier.
Quelque chose attira son attention. Pas moyen de dire quoi, ni comment. Il se sépara brièvement du groupe pour aller vers une prochaine rue. Une fois là, il senti sa tête qui se mit à tourner; chaque fois plus, et chaque fois plus... ça s'obscurci. Il tomba par terre.

Il se réveilla, et quelle chaleur! Quelle soudaine chaleur il sentit! Mais il n'était plus dans cette rue; il reconnût sa chambre. Sauf que l'avion en bois qui planait au-dessus de son lit à un fil n'était plus immobile, mais il tournoyait dans tous les sens. On aurait d'ailleurs dit qu'il poursuivait un ennemi inconnu. Qu'importe, ce n'est pas un petit avion en bois qui doit se faire remarquer, mais l'étrange individu assis sur le fauteuil de sa chambre, chaque main posée sur chaque accoudoir, à les tapoter des doigts. Son visage comportait deux lignes, deux cicatrices en forme de V, descendant du front jusqu'au nez.
Albert remarqua également par la fenêtre des flammes immenses, et crût entendre des cris de femmes et d'hommes, sans pour autant savoir d'où est-ce qu'ils provenaient. Puis l'étrange homme parla.

- Albert, cher jeune homme! Bonsoir, bonsoir.
L'enfant bougea sa tête vers l'arrière, en l'entendant.
- N'ai crainte, mon cher enfant! N'ai donc crainte. Je ne te veux pas de mal. Bien au contraire...
Cet homme avait une ombre étrange, et ses cheveux étaient plus noirs, plus formées, et plus arrangés que jamais; il portait également un costume très sombre, orné d'une cravate rouge. Les boutons de sa veste ressemblaient vaguement de l'obsidienne.
- Si je dois me présenter... tu peux m'appeler Méphistophélès.
S'il s'agissait du diable, alors Albert n'avait jamais entendu ce nom. On lui parlait généralement de "Satan".
- Mon cher enfant, Satan n'est pas le diable... Je suis le diable. Et tu es plus proche de moi que tu ne le crois, ou le souhaites... Mais, joyeux anniversaire! Et joyeux Halloween! Regardes donc sur ton bureau, tu y trouveras Ton cadeau.
Sur le bureau se trouvait la plus belle barre de chocolat que tout chocolatier n'ait jamais vu.
- Goûtes donc à ce merveilleux produit, déballes donc ce cadeau. Fait-moi plaisir.
Il arracha la pellicule, sans trop faire attention; elle était aussi fine que de la soie. Le chocolat ne portait ni forme ni marque; en y croquant il se rappela de son premier anniversaire.
- Quel merveilleux sentiment, n'est-ce pas? Profite donc bien de ce cadeau. Et écoutes-moi donc, mon cher enfant. Tes amis ne sont pas tes amis. Tu es bien plus précieux que tous les enfants du monde, et tu iras bien plus loin. Va donc chercher les âmes de tes camarades, et offres-les moi. Oh, quel chemin dois-tu avoir!

Albert le regarda, la lèvre du haut tâchée d'un point marron. Il comprit très bien.
- Il te faudra prendre soin de ces âmes, et me les apporter. Tu n'auras qu'à étendre le bras, et voir. Je te promets que tu t'amuseras beaucoup. Passe un bel anniversaire, mon grand enfant!

Le jeune garçon se sentit alors fatigué... et se recoucha.

En rouvrant les yeux, il vit cinq adolescents agressifs le regarder méchamment. L'un d'entre eux commença à le narguer.
Puis, instinctivement, Albert lui attrapa le bras, qui commença à brûler.
Tandis que le gars se mit à crier alors que son bras grilla, les autres furent pris de panique. Les flammes atteignirent le visage.
L'un, plus courageux, voulu frapper Albert au visage avec un bout de bois, qui se cassa au contact. Le petit enfant, un peu surpris, lâcha l'autre, carbonisé, et pris le visage de l'ado entre ses mains, qui brûla aussi.
Pendant que l'ado criait, la chair fondait entre les petits doigts d'Albert; la tête se détacha du corps, qui retomba lourdement en tâchant l'enfant de rouge.

Les ados partirent en hurlant. Albert lâcha la tête bouillante, qui éclata en tombant au sol.

Puis il partit en courant à petit pas, rejoindre son groupe d'origine. Il écrasa les cornes rouges en plastique.

Ces derniers continuaient toujours à demander des bombons, jusqu'à ce que l'un d'entres eux remarqua Albert. Le bachelier, tout secoué, se dépêcha de voir si Albert allait bien... Il prit grande peur en voyant les tâches rouges de son déguisement, et lui demanda où il était allé.

Albert ne répondit pas. Il mit ses mains derrière son dos, en se balançant comme pour honte.

L'ado, terriblement surpris, pris l'enfant par les épaules, et voulut l'emmener à la maison.

Alfred s'échappa de son côté, et traversa la route en courant. Le bachelier lui cria de s'arrêter et couru après; une voiture le frappa en plein fouet et il tomba au sol, le visage éclatant sur le bitume.
Le groupe d'enfants se dispersa en poussant des cris de panique.

De l'autre côté de la rue, Alfred en suivit deux d'entres eux; étant aux côtés de la Seine, il pensa à l'eau, et deux tombèrent; l'un chuta et se frappa contre une encre de bateau. Le reste des enfants se dispersa à leur guise, et à leur perdition, dans la noirceur d'Halloween.

Alfred courût voir une femme qui avait aperçu un des enfants tomber, et la poussa par-dessus bord... Il le fit avec beaucoup plus de force qu'il ne s'y attendait.

Juste à côté de lui, l'homme apparut. Il vit son ombre grâce à un réverbère, ainsi qu'une paire de cornes sur cette forme noire.

- Mon cher enfant. Et si tu rentrais chez toi, maintenant? Il fait froid, il se fait tard... Viens avec moi, je connais la rue.

Alfred accepta de suivre l'homme.

Ils virent la scène de l'accident. Une deuxième voiture était entrée en collision et plusieurs passants s'étaient rassemblés autour de cette tragédie.
Au milieu des carcasses se trouvait une flaque toute noire. 

L'homme lui fit une tape dans le dos...

- Mon garçon, tu sais comment nous faire plaisir...

L'enfant pointa du doigt la flaque, qui prit feu. En trop peu de temps les deux voitures explosèrent, les gens autour inclus.

À l'entrée de sa maison, l'homme l'arrêta brièvement.

- Enlève donc ce costume, mon garçon. Jettes-le. Tu ne voudrais pas que ta mère te voie ainsi...

Alfred mit le drap dans une poubelle.

- Vas, mon enfant. Bonne nuit, et bon anniversaire!

Il monta à l'étage, ouvrit la porte de sa maison, rentra, passa en regardant la chambre de ses parents, et alla vers son lit.

Avant de s'endormir, le petit Alfred Mossange vit la tablette et sourit...

Et ça n'fut pas la dernière fois!

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