Les humanoïdes rêvent-ils de chaises éléctriques
Valentin Pyaterka
« If you leave me now you take away the biggest part of me » Hurle une voix dans ma tête.
J’ouvre lentement les yeux. Je ne sais pas où je suis. Une pièce aux murs de béton gris, certainement une cave ou un immeuble désaffecté. Il y a une forte odeur de cigarette qui flotte dans l’air. J’ai une douleur lancinante dans la tête. J’essaie de me toucher le crane pour me masser et remarque que mes mains sont attachées à un énorme fauteuil en acier. La voix provient de deux haut-parleurs placés de chaque côté de la pièce.
« Uh uh uh no ! Baby please don’t go » continue le chanteur.
Je regarde autour de moi, je suis seul dans la pièce. Je me mets à me concentrer sur mes derniers souvenirs et tenter de trouver une explication à ma présence ici. Face à moi, il y a deux panneaux lumineux qui affichent des séries de chiffres à l’aide de petite lumières rouges.
« Vous êtes enfin réveillé ? Questionne une voix monotone d’homme provenant de derrière moi.
— C’est quoi cette merde ? Je suis où là ? T’es qui toi ?
— Bonjour cher ami, Je ne suis personne, vous êtes nulle part.
— Je vais mourir ?
— Tout à fait, mais ce ne sera pas aujourd’hui. »
J’essaie de me retourner pour voir le visage de l’homme, mais je suis bloqué par la chaise. La musique se coupe.
« Calmez-vous mon petit, cela ne sert à rien de tenter de vous tourner, vous n’y arriverez pas. Nous comprenons que la situation dans laquelle vous vous trouvez est assez… incongrue je dirai, c’est pourquoi pour ne pas vous brusquer, nous allons faire les choses doucement. Commençons par une simple question : Aimez-vous votre famille ?
— Qu’est-ce que c’est que cette question à la con ? Libère moi !
— C’est une question très simple. Aimez-vous votre famille ? Aimez-vous votre sœur, votre mère, votre père ?
— Va te faire foutre avec tes questions de merde !
— Vous êtes terriblement vulgaire. Je ne pense pas que votre père apprécierait.
— Je t’emmerde et mon père aussi. »
Il ricane.
« Il va falloir que vous changiez d’attitude, je pense que vous n’avez pas du bien saisir la situation. Si vous regardez attentivement la configuration de la pièce, vous verrez que votre chaise est raccordée à un système électrique me permettant de vous électrocuter à ma guise.
— Tu crois que je vais te croire pauvre con ?
— Vous manquez surement d’imagination, mon cher. C’est pourquoi nous allons vous aider. »
« My way » de Franck Sinatra se met à résonner dans la pièce et une lumière verte s’allume sur la chaise. Tous mes muscles se mettent à se contracter jusqu’à l’apparition d’une douleur intense qui me déchire de l’intérieur. Ma cage thoracique est comprimée, je n’arrive plus à respirer. Mes dents sont prêtes à casser sous la pression de ma mâchoire et mon sang commencer à bouillir. Soudainement, tout se décontracte. J’ai des fourmis dans tout mon corps. La musique se coupe.
« Je pense que vous avez compris qu’il faut répondre aux questions quand nous les posons. »
J’ai l’impression que je me suis chié dessus sous le coup de la peur, à moins que l’électrocution ai fait se relâcher mon sphincter.
« Répondez à la question.
— Oui, je les aime.
— Bien ! Je pense que nous avons dorénavant toute votre attention pour la suite, cher ami. Nous allons enfin pouvoir réellement commencer la partie.
— Par ce que c’était quoi avant ?
— Juste un test préliminaire, ce que l’on appelle dans le jargon une amorce. Une broutille sans intérêt pour nous.
— Putain, putain ! Qu’est-ce que je t’ai fait hein ?
— Sachez que vous ne nous avez rien fait. Simple hasard, vous rentriez dans nos critères.
— Tu veux que je meure par ce que je rempli tes critères ?
— Vous n’avez rien compris, je ne désire pas que vous mourriez, loin de là, nous souhaitons juste voire ce dont vous êtes capable.
— Détache-moi, et je vais te montrer de quoi je suis capable.
— Vous êtes un être intéressant. Vous continuez de faire le fanfaron alors que vous êtes assis dans vos propres déjections. »
Je baisse la tête. Je m’étais bien fait dessus tout à l’heure. Il y a un silence dans la salle, pour une raison inconnue, l’homme a décidé de ne plus parler.
« Que la partie commence ! » lance-t-il après quelques minutes.
Une cloche retentie. Un rideau se lève et laisse apparaitre une vitre. De l’autre côté, mes parents sont ensemble dans une pièce, attachés sur des chaises similaires à la mienne. En me voyant, ils se mettent à hurler.
« Saluez vos parents. Dans quelques instants vous allez devoir en tuer un.
— C’est ça ton jeu sale connard ?
— Tout à fait, c’est ça mon jeu. Sous chacune de vos mains se trouve un buzzer. Celui sous votre main droite actionne le dispositif relié à la chaise de votre mère, celui de gauche actionne celui de votre père. Il vous suffit d’appuyer sur celui de votre choix. En compensation pour la perte d’un être cher, nous vous remettrons 50 000 euros de dédommagement. Ne vous trompez pas surtout. A droite c’est Maman, à gauche c’est Papa.
— Putain ! Mais t’es malade ! J’hurle en me débâtant dans mon fauteuil. Tu crois que je vais vraiment choisir ! Je t’emmerde ! »
Je me mets à tirer de toutes mes forces sur les liens en espérant qu’ils cèdent. Je reçois une petite claque sur la tête provenant de derrière.
« Calmez-vous. Si vous ne vous concentrez pas pour bien choisir, vous allez prendre la mauvaise décision.
— Mais je ne vais prendre aucune décision. Je ne vais pas te faire ce plaisir.
— Vous commencez à m’agacer. »
J’entends qu’il s’agite à l’arrière. Il passe à côté de moi en tirant quelque chose au sol. C’est un type d’une quarantaine d’année avec un bouc bien taillé, des cheveux mi long bien propres et un costume bien taillé, étonnement je trouve qu’il est plutôt bel homme. Il se tourne vers moi en souriant les yeux en demi-lune.
« J’espère que cela vous aidera. »
Du pied, il pousse la chose pour la faire se retourner. C’est un cadavre rouge violacé, boursoufflé et couvert de cloques. Une coulée de sang séché part de son nez pour aller jusqu’à son cou. Je devine que c’était une fille car elle a les cheveux longs.
J’ai un haut le cœur, la vision de cette fille et l’odeur de ma merde me foutent la gerbe. Du vomi me coule de la bouche et vient s’écraser sur mon torse. Je me mets à souffler par à-coups, j’ai l’impression de suffoquer, je tremble et sue comme un porc. Je me mets à chialer tout à coup pendant que mon cœur s’emballe. Je suis à un fil de crever et ce putain de tordu tiens une paire de ciseau dans ses mains.
« Alors, cela vous aide-t-il ? me questionne t’il.
Qu’est-ce que je peux lui répondre ? Rien, alors je ferme ma gueule, j’attends. Il me regarde, regarde la fille, puis me regarde de nouveau. Son sourire se fait plus large.
« Vous ne voyez rien ? Rien ne vous choque ?
— A part qu’il y a un cadavre à deux mètres de moi.
— Mais c’est votre sœur ! fait-il avec excitation."
Mon cœur se met à frapper un grand coup dans mon torse et je sens l’adrénaline qui parcourt mes veines. D’un coup, tous mes muscles sont contractés, prêt à frapper. Je me débats.
« Je vais te crever sale fils de pute !
— Il y a très peu de chance que cela arrive cher ami.
— Putain ! Putain ! C’est un cauchemar, c’est la caméra cachée. »
Il se met à rire, puis s’allume une cigarette. Il me regarde me battre avec ma chaise sans perdre son rictus de démon.
« Vous êtes drôle. Elle, elle ne l’était pas. Elle a eu la bonne idée de ne pas choisir… »
Il prend une pause, affichant un air consterné.
« Vous savez ce qui est le plus triste dans cette histoire ? Et bien, je lui avais expliqué que si elle ne se décidait pas, elle mourrait et que ce serait à vous de choisir. Et bien ? Elle n’en eu rien à faire et choisi de vous léguer le fardeau. Votre sœur vous a délibérément mis dans l’embarra par égoïsme. Heureusement, vous, vous ne pouvez pas vous défiler. »
Il met un coup de pied dans la tête de Lucile.
« Espèce de…
— A cause d’elle j’ai dû tout recommencer. Elle m’a fait perdre 30 000 euros. Ne faites pas la même erreur qu’elle. Si vous ne vous décidez pas, j’en choisirais un des deux qui succombera après de nombreuses tortures. Je vais faire passer Guantanamo pour un séjour au Club Med. »
Je continue à me débattre en priant que les liens cèdent pour pouvoir lui enfoncer quelque chose dans le crane et lui faire perdre ses petites manières et son sourire de con.
« Calmez-vous. Si vous ne vous concentrez pas pour bien choisir, vous allez prendre la mauvaise décision. Saluez vos parents.
— Papa ? Maman ? "
Mes deux parents sont assis côte à côte dans une pièce séparée de moi par une vitre. Leurs chaises sont identiques à la mienne. Ils me regardent, puis se mettent à hurler dans ma direction, je n’entends rien.
« Qu’ils sont drôles à se débattre dans leur fauteuil. Ils ne comprennent rien.
— Ferme ta gueule ! »
Ils s’engueulent pendant plusieurs minutes pendant que je les regarde et que l’autre se marre.
« Maman a l’air très remontée. Une vraie harpie. Je suis sûr qu’à votre place elle aurait déjà fait son choix.
— Va te faire foutre avec tes remarques.
— J’ai touché dans le mille, n’est-ce pas ? »
Je ne réponds pas. Ma mère continue de parler en pleurant alors que mon père reste tête baissée, il est tremblotant mais tente de garder un visage digne. Tout à coup, il se tourne vers ma mère et lui crache au visage.
« Ça dégénère un peu là ! Elle a dû le pousser un peu trop à bout. »
L’autre dégénéré semble jubiler, il ricane dans son coin.
« T’arrives pas à tirer ton coup alors c’est comme ça que tu t’excite…
— Vous pensez que je suis un de ces pervers qui font ça par excitation sexuelle ? Un de ces Dutroux ou Guy George ? Il n’y a rien de sexuel là-dedans. Juste de la curiosité, de l’espièglerie. Je ne suis pas plus pervers que ces médecins qui disséquaient des corps déterrés.
— Ca c’est ce que tu crois, mais t’es un putain de malade qui devrait se faire enfermer. T’es comme ces mecs. »
Il rit, puis tire une bouffée sur sa cigarette dont la lumière rouge vient illuminer son sourire narquois bouffi de contentement. Il regarde sa montre.
« Bien… il ne vous reste plus que 5 minutes pour choisir. »
L’autre demeuré fait le décompte du temps qui me reste à voix haute. Je n’arrive pas à me concentrer. Lequel des deux mérite plus que l’autre de vivre ? Putain ! Je n’en sais rien. Je les aime au même degré. Il n’y a pas de bonne réponse.
« 3 minutes 43.
— Tu peux pas la fermer ta gueule ? »
Il s’arrête. Il ne dit plus rien. Après quelques secondes il s’approche de moi.
« 3 minutes ! » hurle t’il.
Ce con me fera chier jusqu’au bout.
« Allez ! Il faut choisir, il ne vous reste plus que 2 minutes 33. Si vous n’arrivez pas à choisir avec votre cœur, faite avec votre cerveau »
Je réfléchi, je pèse le pour et le contre. Je me passe toute ma vie en arrière, pour trouver des raisons objectives. Rien ne sort, je n’ai que des flashes de moments. Je n’y arriverai pas. Je fais le vide dans ma tête, malgré que l’autre taré continue son petit jeu. Tout est noir, je n’entends plus que mon cœur battre. Je visualise ma respiration, je prends de grande inspiration. Je souffle une dernière fois. J’attends un signal.
Il aboie alors : « Appuyez ! »
Automatiquement, je m’exécute et enfonce un bouton au hasard. J’examine mes parents, je ne sais pas qui j’ai choisi. Mon regard est plongé dans la salle à la recherche du moindre mouvement, du moindre indice de la suite des évènements. Au fond de moi, je continue d’espérer que tout ceci n’est qu’un vaste canular
Cependant, « My way » démarre et inonde la pièce de la voix suave de Sinatra. La lumière verte du siège de mon père s’allume. Mes parents la fixe, puis se tournent vers moi. Ma mère est dubitative, mais je vois au fond des yeux de mon père qu’il a compris. Il sait que quelque chose va lui arriver, il sait qu’il a été choisi.
Brusquement, il se contracte dans sa chaise. Il devient rouge carmin tandis que ses bras tendus tirent sur leurs liens. Il se met à convulser, à vibrer de tout son corps. Vient ensuite le sang, des trainées lui coulent du nez et des oreilles. Ma mère se débat sur sa chaise comme pour s’éloigner de son mari qui est maintenant en train de s’enflammer. Elle hurle, hystérique, et tire tellement sur ses liens qu’elle se taillade les poignets. Elle pleure, elle crie, moi, je reste apathique.
Etonnement, je ne ressens pas grand-chose. J’ai tué mon père et je l’observe mourir derrière cette vitre mais j’ai l’impression de regarder la télévision. Je me sens mal de ne pas avoir de réaction, j’aimerai pleurer mais rien ne sort.
D’un coup, je sens qu’il a tout relâché. Qu’il n’y a plus de tension en lui. Il frémit par intermittence, derniers signe de vie. Puis tout s’arrête. Je n’arrive pas à réaliser vraiment.
La musique se coupe. L’autre malade éteint la lumière et ma mère se retrouve dans le noir. Seuls quelques points incandescents sur les restes de mon père illuminent la salle. Puis il baisse le rideau.
« Nom de Dieu ! Nous sommes au vingt et unième siècle ! Il a fallu que vous choisissiez votre mère comme un gros sexiste d’un autre âge. C’est fini le cliché de la gentille maman qui serait la seule capable d’aimer ses enfants. Les pères sont tout autant capable qu’elles et ont autant d’amour à donner… »
Je ne dis rien. Je garde ma colère pour mieux la relâcher ensuite. J’ai les yeux fixés sur le rideau de fer.
« … Je ne suis pas content. Je pensais que vous étiez plus évolué que cela. Sacrifier votre père pour sauver votre mère, c’est tellement rétrograde. Je suis contrarié, mais effectivement, je vais vous libérer. »
Il s’approche de moi une tenaille à la main. Mes muscles se contractent en le sentant prêt à me libérer. Je vais lui enfoncer ses yeux dans ses orbites jusqu’à ce qu’il crève. Il palpe mon bras.
« Vous êtes tout contracté mon cher. Vous comptiez me frapper une fois libéré ? lance-t-il en riant comme un diable. Vous me sous-estimez, continue-t-il en me murmurant dans l’oreille. »
Je sens une aiguille qui s’enfonce dans mon cou. Il se place devant moi et me regarde en tirant sur sa cigarette. J’ai mal au crane. Il coupe mes liens. J’essaie de l’attraper, mais mon corps ne répond pas. Il passe derrière moi. Il me jette un porte document qui s’ouvre en déversant des billets. J’entends une porte claquer.
Je l’interpelle : « Allo ? »
Il ne répond pas. Je vacille, je crois que c’est la seringue. Je chute au sol et me retrouve nez-à-nez avec ma sœur. Elle pue. Finalement, je chiale. Je me laisse doucement aller. Je sombre, les lumières s’éteignent. Je vais vivre. Nous sommes tous morts.