Le potiron

casimira

Le potiron

Ma mère avait jeté le potiron au fond du jardin. Elle pensait, je crois, que les merles en mangeraient par temps froid cet hiver. Elle espérait surtout que les grandes feuilles du potiron recouvriraient le fouillis d’herbes non maîtrisé derrière le fil électrique. Cet endroit est ce que le grenier est à une maison. On y met ce qui doit être jeté, mais qu’on garde encore pour des raisons diverses. Par exemple, il y a deux sapins de Noël en pot déplumés qui attendent d’aller à la déchèterie. Je ne le dis pas à Maman qui aime l’ordre, mais c’est l’endroit que je préfère dehors. La pelouse, c’est bien pour courir ou se dorer au soleil, mais il n’y a pas grand-chose à attendre d’une pelouse. Ca dit les mots polis qu’on lui a appris. Alors que ce coin de jardin… Ca ne dit pas des gros mots, mais ça parle beaucoup plus. C’est comme s’il y avait toujours quelque chose de nouveau à apprendre là. C’est là aussi où le chien ne peut pas aller, alors je suis tranquille, je peux écouter tranquillement.

Donc, un jour Maman y a mis un potiron. Comme un énorme mot nouveau. Je me demandais ce que ce bout de jardin allait en faire. Comment le potiron s’adapterait, ce qu’ils allaient me raconter maintenant. Le fait est que c’était bien incongru. Mes deux sapins déplumés, tout pleins de mauvaises herbes, du gaillet gratteron à ne plus savoir qu’en faire. Maman serait folle si elle venait là, mais elle préfère ne pas y venir, sinon, elle dit plein de choses méchantes sur Papa qui devrait prendre ça en main tout de même ! Donc, le potiron, au début n’a rien dit. On aurait dit qu’il était gêné, qu’il n’osait pas bouger. Il y a eu une phase d’observation. Autour de lui, tout était très à l’aise comme d’habitude. D’ailleurs le gratteron n’a pas hésité longtemps à approcher le potiron, dans le but de le recouvrir entièrement sans doute. Le gratteron n’écoute jamais personne. C’est un indécrottable bavard qui se moque pas mal du monde.

Je me demandais comment le potiron réagirait, s’il allait se laisser avoir, ou s’il allait dire stop à l’envahisseur. Le potiron a pourri d’avantage. Il n’a rien dit du tout. Il a petit à petit semblé s’adapter à son nouveau lieu. Mieux, il m’a semblé qu’il s’entendait très bien avec le gratteron qui a été content de trouver une oreille attentive chez le potiron. Leurs couleurs se sont merveilleusement bien mariées. Et j’avoue que j’ai beaucoup apprécié cette tache d’orange au milieu de la couleur verte fraîche de gratteron. Ils étaient faits pour s’entendre ces deux-là. Et puis le potiron a fondu dans les premières grosses chaleurs de mai. Il a éclaté, et a libéré très naturellement des dizaines de grosses graines, dans plein de filaments. Le gaillet gratteron fleurissait alors de blanc. Puis les grosses graines, comme de gros asticots ont semblé manger leur lit, et le potiron a peu à peu disparu. A cette époque, on entendait beaucoup les oiseaux. Dès que je revenais de l’école, j’allais au fond du jardin. Le chien aboyait un peu lorsqu’il me voyait franchir la frontière derrière laquelle il ne pouvait plus jouer avec moi. Et puis bientôt il s’en allait, dépité, chercher une autre occupation auprès de Maman, que j’entendais bientôt crier. J’étais enfin seule, et les oiseaux se mettaient à chanter. Enfin, disons que je me mettais à les entendre. Le gaillet gratteron ! Quelle étrange plante ! Pas élégante, limite vulgaire, non, commune, et si pressée ! Je ne m’assois jamais dessus, je fais attention, car cela s’agrippe aux vêtements. Tout est bon pour coloniser de nouvelles terres. Mais moi je dis « Non, bas les pattes gratteron ! » et je m’assois sur un peu d’herbe sous le petit saule. L’ombre des oiseaux et le vent me caressent un peu le visage, et j’observe, de loin la fondue, non la fonte du potiron.

Les graines ont eu du mal à faire leur trou dans tout ce fatras. C’est sûr que ce n’était pas de la bonne terre de jardinier. Il fallait déjà la trouver la terre ! Et puis un jour, j’ai su qu’une ou deux graines avait percé la terre et y avait fait leur nid, quand j’ai vu des grands mots majestueux se préparer à parler. On devinait le grand discours, ou la sagesse peut-être, tout ce que les graines avaient emmagasiné de mots dans le ventre de leur mère, tout allait sortir bientôt. Les petites feuilles se tendaient le soir. On les entendait presque crisser quand le soleil se couchait, calme, dans un ciel net, après une journée bien remplie, riche en oiseaux, en insectes, en nuages soufflés bien haut, en tracteurs, en voitures, en chats et chiens et en Mamans. Et puis le matin, elles étaient toutes mouillées de rosée, plus déterminées que jamais. Les sapins avaient l’air de vieux papis à côtés d’elles. Eux, ils en étaient revenus de la vie. Ils étaient aigris, désabusés. Pour toute la sève du monde, ils n’auraient pas recommencé tout ce cirque. Je les écoutais aussi, mais quand je regardais ces deux magnifiques feuilles naissantes, je savais qu’elles avaient raison. Et même les deux sapins l’auraient reconnu s’ils avaient tourné leur tête vers elles, mais ils préféraient regarder de l’autre côté. Je crois que ça leur aurait fait trop mal. Comme quand la sève veut remonter, mais que les branches sont trop vieilles. Il faut faire un gros effort pour que ça passe, et puis, il faut souffrir un peu. Je crois qu’ils préféraient ronchonner, et tout critiquer. En tout cas, les feuilles de potiron, elles n’avaient certainement pas peur, ni froid aux yeux malgré la rosée. Et puis un jour, elles ont été plus nombreuses, et bien larges, comme des éventails, ou des feuilles de palmiers. Et ce jour-là, le gratteron a dit « chapeau » et il s’est tu un moment. Il a enfin écouté ce que disent les autres, et il a même fait des boules rouges après, mais bien plus tard. Il faut le temps que les paroles fassent leur chemin ! Et même qu’un jour des petits potirons sont nés, mais ça c’est une autre histoire ! Maman m’appelle, je me lève et vous laisse ! A bientôt !

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