Le prestidigitateur

Caïn Bates

      J'ai rencontré ma femme au cours d'un spectacle de magie. Elle était assise là,  parmi la foule, et je l'ai choisie lors d'une sélection hasardeuse (sans arrière pensée, vraiment). Mes yeux se sont arrêtées sur son visage de porcelaine rehaussé de l'un de ces chapeaux à bords larges couvrant une partie du regard. Je n'avais distingué alors que le bout de son nez discret qui semblait si timidement caché sous le feutre et son sourire mutin à la fois intrigué par les prestidigitateurs tout en semblant se moquer d'eux. Mon choix aurait bien pu être de la provocation au final mais non, je voulais rendre hommage à sa beauté enfantine en la plongeant dans un monde de magie, ne serait ce qu'un instant. Quand j'ai pris sa main, elle était gantée de noir, de la dentelle que me vient à l'esprit maints sobriquets.

 

      "Et bien, avec un tel corbeau, on pourrait bien m'accuser de sorcellerie."

 

       La boutade ne fit rire personne et l'aumônier demeurant debout au fond du théâtre grinça des dents, bien qu'un rictus se glissa tout de même au creux de la bouche angélique de cette créature sombre.

          J'avais capté l'attention de l'assistance tout d'abord avec le coup du bidon de lait, un classique. Ensuite, un simple mouchoir transformé en un splendide bouquet de fleurs hébéta la foule et surprit la demoiselle. Je décida d'achever son scepticisme en lui jouant le tour de la téléportation. À la simple annonce de celui-ci, la belle fût si enthousiaste que je savais d'avance avoir su conquérir son âme d'enfant. Bien sûr, je maîtrisait cet exercice avec brio et la jolie corneille avait disparue bien avant que le rideau ne soit entièrement levé. Standing ovation, comme convenu.

           À la sortie du spectacle, une dame vint à ma rencontre pour tenter de percer le voile du mystère derrière cette intriguante disparition.

 

       "Dieu seul sait où elle a bien pu aller, peut être était elle magicienne et elle s'est envolée d'elle même."

 

   

       Depuis ce jour, elle était restée à mes côtés et nous vivions une vie assez bohème. Elle colportait ci et là que mes talents étaient sans égal et que j'avais de nombreux tours (et talents) dans mon sac. Pourtant, elle n'était nullement perçue comme une vulgaire assistante ou comme la femme du magicien mais bel et bien comme une entité à part entière. Les gens se bousculaient pour obtenir des places à nos représentations mais, un dimanche de mai, le scandale fit sa place jusqu'aux sphères de la Justice, nous attirions ces honnêtes citoyens et ces braves travailleurs dans notre temple de la sorcellerie pour les détourner de la sainte église si pure. Comprenez qu'ils avaient signés là notre arrêt de mort à tout les deux, bientôt nous brûlerions face aux rires des personnes que j'avais tant divertis.

 

       Nous sommes donc partis vers un pays plus laxiste et plus superstitieux encore, un pays peuplé de gens bien plus crédule, la France. Mes représentations me permirent très rapidement de gagner une coquette somme et de m'offrir un manoir à l'apparence légèrement lugubre, parfait pour nous.

       Mais très vite, mon bel oiseau perdit ses plumes dans une cage faites d'illusions malsaines. Un imposteur qui se produisait non loin de nous et qui ramassait nos miettes mit rapidement le grappin sur ma belle et douce promise. Cet homme était un imposteur, tous mes collègues le savait dans le pays mais elle avait succombé à ses mensonges. Très vite, il fit d'elle une banale assistante un brin potiche, l'enfant de salaud. Mon public lui me restait fidèle bien qu'il était tout de même intrigué par la présence de cet ange noir à ces côtés.

     J'avais pris soin d'éviter sa route pour éviter de m'emporter et de l'envoyer dans d'autres univers bien moins cléments, le "bonheur" de ma douce m'était bien plus cher encore que sa présence. J'y étais parvenu jusqu'à ce soir, cette funeste nuit où il avait profité de sa prestation lors de la Veillée des Corneilles pour lui demander sa main. Elle accepta avec un ton bien peu enthousiaste mais elle acquiesça tout de même. Cet événement ne lui avait permis d'obtenir qu'une maigre sixième place (un bonheur pour ce tricheur) tandis que je restais modeste à la seconde position du concours. C'est ainsi que je raflais un billet pour une croisière parmi les nobles de tout horizons.

        Ce billet, je lui en avais fait cadeau, prétextant que j'avais le mal de mer et qu'il valait mieux pour lui de saisir cette chance, cet oiseau rare avait toujours rêvé de découvrir le Nouveau Monde. Il fit donc ses bagages dans l'idée d'introduire son spectacle vers Boston avant qu'elle ne le rejoigne. Nous étions tout deux sur les quais pour le saluer, comme deux vautours attendent patiemment la fin de l'agonie d'une proie.

 

      "Et pourquoi ce revirement soudain à son égard?!

-Simple question de fair-play...

-Et ce mal de mer?!

-Je n'ai plus l'habitude de la mer...

-Tu as l'air ravi en tout cas.

-Tu m'as si souvent prétendu des dons de voyance...

-Et?!

-J'ai la curieuse sensation que ce Titanic fera une croisière... mortelle."

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