Le réseau de l'impudence

Scythe Crow

L’écran allumé, j’entrais mes identifiants de connexion pour rejoindre mon lieu de partage favori.
Ce n’était pas une plateforme communautaire classique, j’étais trop lassé par les forums et autres fils de discussions pleins de vermines à l’écriture laide et morte avant même de connaître le plus infime signe de maturité.
Je vérifiais les pseudos apparaissant en ligne, espérant trouver des personnes familières.
J’avais dû me connecter trop tard, le site ne présentait aucun des noms que je connaissais. Seulement des nouveaux ou autres membres inconnus. Autant improviser dans ce cas. Je n’aimais pas cliquer au hasard sur un de ces noms d’emprunt, je me devais de les trier selon leurs élégances. Un peu d’élitisme ne faisait jamais de mal et cela me permettait d’éliminer rapidement de potentiels candidats.
Adieu les pseudonymes aux stupides références filmiques, geek, ou de pré-adolescentes en chaleur au développement affectif frustré.
Lolita. N’avais-je pas dit non pour ce genre de surnoms ? En tant qu’entité prétentieuse et méprisante, j’avais un faible pour la littérature ( Et ne me citez pas les versions cinématographiques, en bon arrogant supérieur, je les conchie ), cela était donc mon exception. On ne respecte rien, sachez-le.
J’entamai donc la discussion sans attendre. De courtes présentations, j’aimais être concis et ne pas m’attarder sur les menus détails.
Je la vis observer mon profil sans se donner la peine de me répondre. Elle préféra m’envoyer une invitation à discuter de face à face. J’acceptai sans attendre, curieux de voir son visage. L’aperçu ne fut pas à la hauteur de mes espérances. Disons certaines de mes espérances. Il est vrai que si en ce jour, mon humeur aurait été celle de monter un freak show doté des êtres les plus dégénérés, elle avait sans nul doute le potentiel requis.
Je tâchai de ne pas vomir, cela aurait été du plus terrible effet. D’une main discrète, hors caméra, je tentais de fermer la fenêtre de discussion et faire croire à une déconnexion des plus sauvages, comparable à l’apparition d’un pokémon dans les hautes herbes. On a les références traumatiques que l’on a, ce n’est pas à vous de juger.
Je parvins à mon grand soulagement, à couper court à ce spectacle odieux pour mes yeux. Ressentais-je une honte de m’être comporté ainsi envers une personne qui au-delà des apparences pouvait être pleine de richesse ? Aucunement, mais si vous, c’est le cas, allez-y, soyez mon Jiminy Cricket, ça m’évitera toute la paperasse de la conscience. C’est encombrant ce truc là, un peu comme les systèmes d’exploitations Windows. Bref, ne tirons pas sur un cercueil, bien qu’il soit tentant de toucher un des porteurs. Je m’égare.
Déçu de ne pas avoir eu le plaisir d’une vision comparable à celle du roman de Nabokov, ce moment à la poésie euthanasié par ma grasse Lolita, feu de mes reins atteint d’insuffisance rénale, je décidai d’éteindre la machine mollement ventilée pour me remettre d’aplomb.
Et je vis un de ces noms appréciés apparaître, crâneur avec ses couleurs criardes. Trop tard. Il me fallait redémarrer.
A cet instant, Papa décida de débrancher le modem dans leur chambre, estimant que le couvre-feu était une bien belle invention contrairement à Internet.

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