Le Rouge Vif

ttr-telling

Il poussa la jolie porte rouge de l'établissement après avoir retiré son chapeau et l'avoir glissé sous son bras gauche. Une odeur de bougies parfumées au lila mélangées à différentes huiles auxquelles on attribuait des vertus aphrodisiaques lui caressa les narines. Il frotta soigneusement ses bottines sur le paillasson de l'entrée avant de passer devant deux cogneurs à la mine renfrognée et féroce. Ils portaient chacun un gourdin qui pendait à leur hanche, soigneusement mis en évidence pour attirer l'œil des visiteurs. Ils lui tirèrent le rideau qui donnait sur le hall de la bâtisse après l'avoir reconnu et salué d'un signe de tête.

Alors qu'il s'engouffrait dans une belle pièce chaudement éclairée par diverses bougies et lanternes, une femme à l'air strict vint l'accueillir avec un sourire, contrastant avec ses yeux durs et froids. Elle était presque aussi grande que lui grâce à des escarpins en lacets. Elle portait un chignon serré pour discipliner ce qui semblait être une chevelure épaisse et bien entretenue, bien que grisonnante. Elle était parée de boucles d'oreilles en argent en forme d'anneaux, et un fin collier en or blanc soutenait un pendentif qui attirait le regard sur un décolleté plongeant, laissant apparaitre une poitrine généreuse et rehaussée par un corset. Elle était subtilement maquillée, juste de quoi souligner une beauté qui refusait de décliner, et habillée d'une splendide robe rouge dont le tissu semblait aussi léger et doux que de la soie, et assez fin pour laisser suggérer ses courbes en transparence lorsqu'elle était à contre-jour.

Elle pouvait aisément, à elle seule, faire disparaitre la pièce toute entière rien que par sa présence. Pièce qui était pourtant d'une taille plus qu'honorable, digne d'un petit salon, avec une sorte de comptoir à la façon des auberges, et plusieurs fauteuils rembourrés et même un canapé garnis de coussins de plumes prenaient place autour d'une table basse en bois vernis. Deux hommes richement vêtus étaient accompagnés de trois femmes aux vêtements plus que suggestifs qui gloussaient en battant des cils.

Il fit une révérence digne de la plus haute bourgeoisie, avant de prendre délicatement la main tendue par la femme qui l'accueillait, pour faire mine d'y déposer un baiser. Elle ne portait aucune bague, mais avait des ongles parfaitement propres et soignés.

- "Bonsoir Hilda, tu es, comme d'habitude, éblouissante." Il avait pris ses intonations de charmeur, et les yeux de son interlocutrice s'adoucirent légèrement.

- "Je te remercie Capitaine. Tu n'es pas en reste non plus, toujours aussi élégant. Mila t'attend dans la suite numéro quatre, comme d'habitude." Elle lui indiquait distraitement un bel escalier en bois qui montait vers l'étage supérieur. "Mais je dois t'avouer que je ne comprends toujours pas pourquoi tu ne veux qu'elle. Plusieurs filles sont arrivées récemment et sont bien plus appréciées".

- "Merci Hilda." Il ne se donna pas la peine de répondre à la question de la matrone. Il se dirigea directement vers l'escalier, avant d'arriver dans un long couloir ponctué de lourdes portes ouvragées et numérotées. Il vint se planter devant la numéro quatre, ajusta soigneusement sa tenue, et toqua deux coups lents suivis de trois rapides, attendit trois secondes, puis entra.
La suite était baignée d'une lumière tamisée, offerte par de grosses bougies en cire rouge qui étaient disséminées ça et là dans la pièce. Un petit feu qui brûlait dans un âtre bien entretenu réchauffait l'air, incitant à tomber chausses, chemises et robes.

En son cœur trônait un gigantesque lit à baldaquin, sur lequel était installée une femme brune aux cheveux tressés en une longue et unique natte qui lui tombait sur la poitrine. Elle était allongée dans une position lascive, nue, dans l'attente qu'il la rejoigne. Elle avait un physique plutôt atypique, avec des hanches fines et une poitrine timide. Ses traits étaient acérés et lui donnaient presque un air androgyne. Ses yeux étaient d'un marron commun, et son nez étrangement long semblait rendre sa bouche encore plus petite et fine qu'elle ne l'était déjà.

- "Bonsoir  Capitaine. Comment tu vas ce soir? t'es parti longtemps... Tu m'as manqué." Elle avait une voix douce sans être particulièrement mélodieuse.

- "Je ne suis pas venu pour te faire le récit de mes voyages. Allonge toi sur le ventre." Il lui parlait d'une voix autoritaire mais sans agressivité, alors qu'il avait déjà retiré ses bottines et ses chausses.

Elle s'exécuta prestement, en prenant soin de laisser sa natte dans son dos, la tête enfouie dans un oreiller dodu qu'elle entoura de ses bras. Elle senti le matelas bouger alors qu'il s'était assis sur le bord du lit pour la caresser du bout des doigts. Il remontait doucement depuis la cheville, s'égarant sur ses fesses rebondies, avant de continuer le long de sa colonne vertébrale, jusqu'au creux de la nuque, pour finir en longeant les bras jusqu'aux mains.

Alors qu'il glissait ses doigts le long du corps de la jeune femme, il repéra plusieurs ecchymoses : une sur la cuisse, une près des côtes, et une au niveau du poignet droit. Il grogna avant de se relever.

- "Tu peux te rhabiller. Je ne paierai pas pour une putain abimée." Il avait déjà ramassé sa chemise, alors qu'elle se redressait brusquement, l'air presque paniquée.

- "Non ! S'il te plait ! Capitaine ! S'il te plait, reste ! Ce n'est rien ! Ce sont que des petits bleus de rien du tout !" Elle avait voulu lui poser une main sur l'épaule, mais il la repoussa prestement.

- "Je repasserai la semaine prochaine. Tâche d'être présentable cette fois-ci." Il ne prêtait déjà plus attention à la jeune femme qui tentait de le convaincre de rester. Elle semblait particulièrement affectée par cette rebuffade.

Elle resta figée, les yeux braqués sur la porte, perdue dans l'immensité du lit, alors que le Capitaine venait de quitter la suite.

- "Hilda !" Il avait hélé la matrone alors qu'il descendait l'escalier menant au hall de l'établissement.

Elle s'excusa auprès d'un des hommes qu'il avait vu plus tôt, vautré dans le canapé, avant de venir vers lui avec un haussement de sourcil interrogateur.

- "A quoi tu sers, si t'es pas foutue de conserver tes employées en état? Pourquoi Mila a des marques? Tu sais que je déteste ça." Il avait parlé calmement, mais sa voix grondait comme celle d'un loup.

- "Allons Capitaine, ce ne sont que quelques bleus... Un client a été un peu brusque, c'est tout ! Et il a d'ailleurs été rappelé à l'ordre. Tu ne vas pas nous faire un scandale pour si peu !" Elle avait pris un ton infantilisant, tentant de recadrer la situation.

La majorité des filles de joie étaient régulièrement molestées, rares étaient celles sans marques, en dehors de celles du Rouge Vif. Mais même dans son bordel, bien que les critères soient établis clairement auprès des clients, il arrivait que certains, aidés par la boisson ou l'herbe, se fassent rappeler à l'ordre.

- "Qui?" Il avait posé sa question en articulant soigneusement, en parlant lentement, en appuyant gravement.

- "Qui quoi?" Elle fit mine de ne pas comprendre.

- "Qui c'était, ce client ?" Son regard glacial et l'intonation qu'il eut suffirent à provoquer un frisson chez la matrone.

- "Donovan Davis. Un jeune nigot qui vient d'une famille de marchands. Pourquoi? Eh ! Attends ! Où vas-tu?" Elle le suivit alors qu'il se dirigeait vers le rideau qui menait à l'entrée du Rouge Vif.

Il se retourna subitement vers Hilda.

- "Combien pour une semaine?" Il avait posé la question en attrapant sa bourse dans son manteau.

- "Une semaine? de quoi? Tu veux louer Mila pour une semaine entière?" Elle semblait incrédule. Elle resta quelques secondes sans voix, alors que le Capitaine continuait de la fixer, dans l'attente d'une réponse. "Ce n'est pas la plus prisée, mais ca te couterait quand même trois couronnes..."

- "Que personne ne l'approche avant que je revienne." Il avait glissé trois pièces d'or dans sa main avant de disparaître derrière le rideau, laissant la gérante décontenancée, restant quelques instant immobile, la main encore ouverte devant elle, fixant des yeux les trois pièces frappées d'un cheval cabré.



TTR.

  • Oui. Un vrai talent. Agréable à lire, on aimerait que ça dure plus longtemps.

    · Il y a plus d'un an ·
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    terneecho

  • Je reste sans voix comme à chacun de tes textes.
    Les descriptions sont de véritables œuvres d'art et l'intrigue a tout d'un roman historique passionnant.

    · Il y a presque 2 ans ·
    Lwlavatar

    Christophe Hulé

    • Olalah, je suis pas certain que ca mérite tant, mais merci beaucoup !

      · Il y a presque 2 ans ·
      Tree paper

      ttr-telling

    • Vous êtes trop modeste, vous avez beaucoup de talent littéraire.

      · Il y a plus d'un an ·
      Lwlavatar

      Christophe Hulé

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