Le sel de la vie

aile68

Quand je me prends pour un garçon... puis un être libre.

Mettre le sel de la vie dans un petit flacon et l'emporter avec moi dans ma course contre le vent, dans ma poche y a des petits cailloux comme ceux du Petit Poucet, au cas où je me perdrais, mais je cours si vite que je n'ai pas le temps de les semer derrière moi, il est loin devant le vent, loin devant les courants d'air, je ne cours pas assez vite, la vie ne m'a pas appris à courir plus vite. Je ne suis qu'un petit garçon qui a grandi trop vite, moi mon truc c'est la liberté, je la connaissais bien enfant, je courais plus vite qu'elle, sur mes patins, sur mon vélo je filais comme une flèche, une fusée, je n'avais pas de garde-fous, de barrières, de limites, je n'avais pas peur de tomber, de mordre la poussière, l'herbe fraîche de rosée, j'aimais me lever tôt pour aller sentir le matin et son sel. ça me rappelait la mer, l'océan que je n'avais vus qu'en image, en photos dans de beaux livres en carton relié, c'était mes trésors, mes secrets que je cachais dans mon placard à double fond, quelle joie lorsque j'ai découvert cette cachette! Elle n'était rien que pour moi, à l'intérieur j'y ai caché mon soldat de plomb, une boîte avec mes étrennes, ma grosse bille du Japon et, attention les yeux, une voiture de collection rutilante, rouge pour laquelle je me serais damné.

Avec mon flacon de sel, je vole, oui j'ai des ailes, je n'ai peur de rien, je me prends pour un aigle royal, je dis au revoir aux enfants en bas dans la cour, ils jouent à se courir après, j'excellais à ce jeu, je rattrapais tout le monde, excepté le grand de la classe, le plus teigneux, le plus costaud. Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer!

Au milieu de ma vie, je me retrouve dans une forêt sauvage, j'ai trente ans dans ma tête et dans mes jambes, j'accuse le temps qui passe de me faire des cheveux blancs, les premiers, les plus effrayants, les plus surprenants. J'ai toujours mes grains de sel dans mon flacon de verre transparent, les vitres des maisons et leur buée arborent des coeurs et des fleurs, la pluie est encore tombée aujourd'hui, comme de la grêle, de grosses gouttes qui tambourinent sur les carreaux et les portes de bois, comme un étranger qui frappe à la porte en pleine nuit. Les maisons dans la forêt me semble fantomatique, c'est un village caché parmi les arbres, les fourrés pleins de baies rouges et noires, il y a de quoi tenir un siège! Avec mon flacon de sel, je me sens le plus fort, le plus atypique des êtres, la vie me porte comme une bonne mère porte la grosse marmite de pot au feu, avec soin, elle sent bon les légumes du jardin, les plus frais, les plus fins de la contrée, et puis elle sent aussi cette odeur rassurante des vraies mères, bonnes, dévouée, travailleuses.

Qu'écrire après cela, l'image de la mère et de sa marmite me laisse songeuse, ce n'est pas qu'une image, une figure de style, c'est aussi la réalité, une réalité pas si lointaine, j'ai parfois du mal à définir ce qui et loin dans le temps, ma mémoire, mes sentiments, mes émotions rapprochent les années, les rendent moins lointaines. C'est la mémoire affective qui me fait vivre, et puis les chansons dansantes, et, le sel de la vie qui sent le vent, la force et la liberté...


  • "elle sent aussi cette odeur rassurante des vraies mères, bonnes, dévouée, travailleuses. " Ça m'interpelle et me fait réagir, mais je ne dirai rien. Les choses les plus simples semblent être devenues complexes et les bases font parties d'un passé révolu.

    · Il y a 3 mois ·
    Gaston

    daniel-m

  • Un petit garçon qui s'élance vers le ciel
    http://welovewords.com/documents/illusions-de-liberte-1

    · Il y a 3 mois ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

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