Le serment.

kephas

Manuscrit retrouvé dans une valise...

I.

Nous vivions heureux jusqu'à ce qu'ils viennent le chercher.
Henri était au champ, lorsque j'ai entendu du bruit dans la cour de notre ferme; quelqu'un appelait pour attirer l'attention. C'est en sortant, que j'ai découvert les deux gendarmes et que j'ai compris que quelque chose de grave était arrivé...Face à leurs paroles, j'ai vacillé...les deux gendarmes ont dû me soutenir un moment.
C'est ce jour-là que j'ai appris qu'il devait me quitter, qu'il devait me laisser seule à la Ferme.
Pendant qu'Henri discutait avec les deux gendarmes dans la cour; Je préparais ses affaires à l'intérieur.

Je ne lui avais rien montré de ma douleur mais maintenant que j'étais seule, je tremblais de tous mes membres, des larmes coulaient de mes joues. C'est alors qu'une lumière a bondi dans mon cœur. Et mes larmes ont été séchées. J'ai saisi clairement ce que j'avais à faire : je devais me montrer digne et ne pas rajouter de peine à mon mari. Je devais me montrer forte pour qu'il conserve son courage.
Je suis sortie avec deux paquets de linge et je me suis approchée de lui à petit pas, sans un mot. Les gendarmes se sont saisis des paquets et sont repartis en direction de la ville s'arrêtant un peu plus loin, sous un arbre en l'attendant.
Debout dans la cour de la  ferme, plus rien d'autre n'avait de sens à part nos corps face à face, mes yeux étendus dans les siens, mon souffle mêlé à son souffle.
J'ai posé ma main sur son épaule, l'enveloppant de tout mon amour. Il m'a prise dans ses bras, son cœur battait contre le mien, nous n'étions plus qu'un corps.

- Je te promets que je reviendrai !
Fais-moi confiance ! Je reviendrais. Je t'aime !

Moi, je n'ai rien dit. J'ai gravé ses paroles dans mon cœur, dans mon âme.
J'ai hoché la tête et je l'ai laissé s'éloigner...
Je suis restée des heures, debout, au milieu de la cour, figée, longtemps après la disparition de sa silhouette.

II. 

Ma chère Hortense,
Depuis que je t'ai quittée, je ne me reconnais plus. Ici tout est différent. Nous attendons l'ennemi au fond de nos trous et il nous viennent lorsqu'on s'y attend le moins. Ils nous bombardent vilainement dans des gerbes de feu et de fer. Dans ces moments, serré contre la terre, je pense voir arriver ma dernière heure. Mais non, je suis en pied, vivant parmi les morts. Je sais que j'ai la chance d'avoir une femme qui m'aime et grâce à elle il ne doit rien pouvoir m'arriver.
Adresse-moi, s'il te plaît au plus vite, un bon couteau solide avec un cran d'arrêt.
Ton Henri.

III.

Ma chère Hortense, tout d'abord je te remercie pour ce fameux couteau gravé à mes initiales. Il est un précieux compagnon dans ma lutte pour ma survie. Moi aussi, je ne comprends rien à cette guerre qui nous a séparés. D'ici sur le front, je ne vois rien, je ne sais rien de plus qui pourrait te l'expliquer.
Il y a bien eu voilà trois jours, la visite d'un de nos généraux. Il nous a exposé la situation en  trois points :
1° Notre ennemi est une race immonde,qu'il  nous faut exterminer jusqu'aux derniers.
2° Nous combattons au nom de la justice et de la liberté.
3° Nous devons défendre notre pays avec patriotisme et esprit de sacrifice .

Voilà, six mois que nous nous battons, que nous nous terrons et nous n'avons pas vu un seul de ces ennemis. Nous changeons périodiquement de tranchée tous les deux ou trois jours tantôt nous avançons, tantôt nous reculons de quelques mètres.
Nous sommes toujours dans l'attente  de quelque chose, attente du ravitaillement, attente de la relève, attente de la fin des bombardements, attente de ton prochain courrier mon amour.
Ton Henri.

IV.

Ma chère Hortense,
Pardon pour ma dernière lettre. Cette guerre m'aura complètement transformé . Nous sommes sous la menace ennemie et je n'ai plus le courage de t'infliger ces horreurs que nous subissons. Demain nous montons en première ligne.
J'espère te retrouver en bonne santé.
Ton Henri.

V.

Je suis un couteau à cran d'arrêt avec deux lettres gravées sur le manche : H.B.
Depuis ma fabrication, je n'avais jamais connu de journée aussi terrible que celle-ci.
Pas une silhouette, pas une ombre ne s'est approchée de moi. Je suis égaré seul au beau milieu de nulle part. J'ai froid. La nuit tombe et j'ai peur de m'endormir, d'être envahi par ces images tourbillonnantes.
Au petit matin, il était sorti de l'ombre de sa tranchée à la lumière naissante, donnant l'assaut à la tête de sa troupe. Son corps percuté par un obus de trente a rompu le serment prêté à son drapeau.
À cet instant, je suis tombé de sa poche, sous un déluge de feu et de sang. Sa chair disloquée s'est entremêlée à la terre.
Si au moins quelqu'un  pouvait  me ramasser, et me sortir de cette boue, me nettoyer de son sang.
Étendu près de lui, j'ai reçu ses derniers souffles de vie :
" Mort sur la terre de mes ancêtres,
Mort sur le sol qui m'a vu naître,
Mais Hortense m'accordera-t-elle son pardon ?"

Kephas

  • mourir à !a guerre... et le petit. Luge!as in love t.. si tendrement écrit les horreurs 14-18

    · Il y a plus de 2 ans ·
    Dsc00086

    mada

    • Merci pour eux...même s'il n est qu'une maigre consolation...
      Cela vaut pour le souvenir et le message d outre tombe qu'ils nous envoient:

      "PLUS JAMAIS ÇA !!!"

      · Il y a presque 2 ans ·
      1200px mont saint michel vu du ciel

      kephas

  • jusqu'où la bêtise immonde, celle des hommes, celle au front de taureau, pourra-t-elle encore nous conduire ?

    · Il y a plus de 2 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

    • Elle poursuit son chemin infernale...au porte de l europe...!
      Où cela peut il nous mener à part une destruction totale???

      · Il y a presque 2 ans ·
      1200px mont saint michel vu du ciel

      kephas

    • L'art des grands patrons est de faire durer ces conflits, surtout ceux par personnes interposées

      · Il y a presque 2 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

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