Le temps des mouchoirs

Christian Boscus

Ecrit Hier soir en atelier d'écriture

LE TEMPS DES MOUCHOIRS

L’automne bien sûr est arrivé

un peu sur la pointe des pieds.

Les rhumes aussi sont revenus,

à l’école, à tous les coins de rue.

J’en avais un carabiné

qui me tirait les vers du nez.

Ma gorge me piquait tout au fond

comme un troupeau de hérisson.

Je toussais comme un dératé,

une locomotive surchargée

de charbons noirs et de galets.

A ça oui, j’étais un gars laid !

C’est du moins ce qu’elle me disait,

Violaine, la fille du charcutier

qui était belle à en croquer

comme le soleil en plein été

brulant les corps freluquets

et les peaux d’enfants sans crème à bronzer

Chez Augustine comme chaque année,

j’allais un mois me reposer.

Aux grandes vacances, je le savais,

Violaine, la fille du charcutier,

 allait encore me faire pleurer.

Des mouchoirs, j’en amenais par paquets.

Je suis chez mémé Augustine

qui me prépare dans la cuisine

une de ses potions magiques

 à base de racines d’angélique.

Ce qui est drôle pour une fois

c’est que Violaine n’arrive pas

en me disant des méchancetés

à me faire vraiment pleurer 

car j’ai les yeux tout embrumés.

Je reste au lit toute la journée,

je n’arrête pas de tousser

et j’ai la gorge qui s’est nouée.

 Je suis patraque et enrhumé.

 Violaine vient me visiter

et bien sûr c’est pour se moquer

de mon visage tuméfié.

Ce matin au petit levé,

une mouche a dû me piquer…

Dans mon lit, encore allongé,

j’ai vu Violaine arriver

avec toute sa méchanceté.

Cette fois je n’ai pas eu peur

qu’elle me badigeonne le cœur.

Quand dans ma chambre elle est entrée,

elle s’est assise sur l’oreiller

mais avant qu’elle n’ouvre la bouche

et qu’elle se change en farouche,

je lui ai cloué le bec de la mienne

et j’ai mis ma bouche sur la sienne.

Je sais bien que c’est dégueulasse,

la bave des filles c’est tenace

mais je l’ai fait, oui je l’ai fait :

j’ai mis ma langue contre la sienne

comme m’avait dit la pharmacienne

 et sept fois je l’ai tourné

dans ma bouche comme un tourniquet

avant qu’elle dise quelque chose

de noir velu et de pas rose.

Quand enfin je l’ai retiré…

j’ai vu Violaine tomber.

Elle aurait pu tomber par terre,

tomber de haut sur le derrière,

non elle est tombée en amour

comme une étoile brille en plein jour.

Elle m’a regardé dans les yeux,

elle m’a fait un sourire radieux

et m’a dit : Veux-tu m’excuser

pour toutes mes méchancetés.

Qu’auriez-vous fait ? Qu’auriez-vous fait ?

Elle m’a dit : « Je te trouve beau ! »

Moi je restais sans dire un mot

et c’est elle qui a commencé.

Elle m’a refait ce que j’ai fait

et je crois qu’on s’est régalé.

On avait vu à la télé

deux amoureux qui s’embrassaient

et nous deux ont les a copié…

C’est le temps de mouchoirs papiers.

L’automne nous est arrivé

doucement sur la pointe des pieds

et moi j’ai toussé, j’ai toussé

mais plus jamais je n’ai pleuré.

Violaine, je l’ai bien gâtée :

mon rhume je lui ai refilé.

Avec l’accord de sa mémé,

dans mon lit elle s’est allongée

avec l’accord de ma mémé.

On tousse, on tousse toute la journée

comme des fours enfumés.

On a les yeux écarquillés ;

on a la gorge toute enflammée ;

on a le nez enrubanné

et des tonnes de mouchoirs-papier.

Et on n’est pas près de guérir.

Ca je peux bien le dire…

Quand les grands ont le dos tourné,

on s’embrasse comme deux gringalets

qu’on découvert le goût d’aimer.

… Je vais mourir, ça je le sais.

Mon automne à moi est bien arrivé.

Ca fait quatre-vingt ans passés

que Violaine je l’ai embrassée

et tous les jours sans oublier,

on a encore recommencé.

… Au ciel, on va se retrouver

et on se fera des baisers

mais sans jamais plus s’enrhumer.

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