Le train de 8h01

gelau

Il est des voyages que l’on ne fait qu’une fois. Et d’autres que l’ont fait tous les jours. Ce trajet-là fait partie de ces derniers, ceux dont on a l’habitude mais dont on s’étonne chaque fois.

Il est des voyages que l'on ne fait qu'une fois. Et d'autres que l'ont fait tous les jours. Ce trajet-là fait partie de ces derniers, ceux dont on a l'habitude mais dont on s'étonne chaque fois.

Lui par exemple, ce grand type aux cheveux blonds, ou blancs. Disons blonds. Il attend toujours au même endroit sur le quai le train de 8h01. Il a l'air bien réveillé, ce qui n'est pas le cas de tous ces autres passagers. Il ressemble à un acteur mais je ne me rappelle plus de son nom. Nous sommes toujours dans le même wagon, il s'assoit toujours au même endroit, dans le sens inverse de la marche, contre la fenêtre. Il a une femme et deux enfants. Il est businessman mais veut changer de boulot. Comment je sais tout ça ? Je le vois dans son regard. Non, en fait, je n'en sais rien mais je me plais à croire que je peux deviner quelle vie il a.

C'est comme cette femme, plutôt petite et blonde. Pour le coup je peux affirmer qu'elle est blonde parce que ça fait plusieurs fois qu'elle se retrouve en face de moi. Elle est indécise et inconstante aussi. Elle est également très autoritaire. Elle lit systématiquement un livre, mais je pense que ce n'est qu'une façade. La preuve, elle était à ma gauche lundi dernier et elle lisait un livre dont je ne me souviens plus du nom. Et bien elle avait le même le vendredi suivant, et elle n'avait pas l'air d'avoir avancé. Je crois que c'est un espion. Vous savez de ceux qui mettent des écouteurs dans lesquels aucune musique ne crache puisqu'ils s'en servent d'alibi pour écouter vos conversations. C'est fou à quel point ils peuvent ne pas respecter la vie privée.

Il y a aussi ces étudiants. Je me demande d'ailleurs si le petit brun a réussi son examen d'espagnol. Non parce que c'était pas gagné. Il a révisé tout un matin sans pour autant s'améliorer sur la prononciation des mots. C'est triste. J'espère qu'il a réussi. Il y a des profs aussi, je le sais parce qu'ils ont tout l'attirail de l'enseignement chercheur y compris les lunettes et la barbe d'un mois.

Ma station arrivait bientôt mais je ne voulais pas les quitter. Et s'ils allaient vivre des aventures fabuleuses sans moi ? Moi qui les contemple chaque matin cherchant chaque jour à décrypter un peu plus leurs vies. Et si j'en suivais un ? Et si je m'aventurais avec eux découvrir un peu de leur quotidien ? Alors que je pensais me lancer à la poursuite du grand blond je surpris le regard de cet homme. Il me fixait. Et s'il était en train d'imaginer ma vie ? Et s'il avait lui aussi décidé de me suivre aujourd'hui ? Et si chacun de nous étions en train de suivre quelqu'un ? Et si le grand blond cherchait lui-même à découvrir la vie de quelqu'un d'autre ? Et si nous formions tous une chaîne dans laquelle chaque maillon cherchait à en savoir plus sur le suivant ? Et si… Le signal de fermeture des portes se mit à retentir, je fis volteface. Le grand blond n'était plus là. 

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