Le train de la vie (1)

dechainons-nous

Enfin les vacances!
L'été c'est le moment propice pour poser ses valises, aller les poser quelque part. Je marche dans la rue, la gare n'est pas très loin le parfum des vacances estivales se répand dans l'atmosphère. Le soulagement, cette légereté du coeur et de l'esprit commence à me plaire et à envahir mon être.

La valise symbole du départ, du début de quelque chose frôle ma jambe à chaque pas, pour que je n'oublie pas ce bonheur. Je marche en me vidant progressivement la tête de tous ces tracas inutiles, je ne vois plus rien autour de moi, tout au plus une fourmillière qui s'active selon des lois et des codes qui lui sont propres et qui m'échappent. Moi je ne suis plus qu'un touriste, une espèce de passager clandestin dans une vie insipide.
Prendre un train et s'enfuir, aller se réfugier dans une nouvelle vie. Je m'éloigne de moi, de toi d'eux et de tous.

Assis près de la fenêtre, en position pour voir défiler le paysage, je me rappelle enfant les incessantes disputes entre frère et soeurs pour être à coté de celle ci. Magie du sifflet du contrôleur qui commande le train, il démarre au doigt et à l'oeil.
Je regarde au travers de la vitre, je suis perdu dans mes pensées. Le train roule à son allure normale, et je réalise que le paysage défile au ralenti, j'ai la tête dans un nuage de coton, tous les bruits sont atténués, un coup d'oeil autour de moi et je me rends compte que je suis tout seul dans le wagon. Dehors la nuit est tombée, le paysage disparait dans les ténèbres, l'éclairage du compartiment est jaune et blafard.

On croise un train, étrangement je n'entends pas ce bruit et ces turbulences d'air si caractéristiques. Le croisement s'éternise, je suis hypnotisé par la lumière des compartiments d'en face. La lumière devient troboscopique, les fenêtres des deux rames se synchronisent, et comme l'image qui sort d'un colimateur, se projette en face de moi comme un seul compartiment éclairé par intermittence.

A l'intérieur sur la table de travail, la sage femme m'attrape par la tête et me tire doucement, gluant et frippé pendu par les pieds je reçois la claque de fraternité sur les fesses. Je crois apercevoir un sourire sur les lèvres de ma mère que déjà nous passons au compartiment suivant.

Tous les cinq affairés autour du sapin, les emballages sont déchirés à grandes amplitudes de bras, juste un coup d'oeil bref sur les cadeaux du frère ou de la soeur, je brandis et montre le jouet à mes parents qui sourient les yeux humides, ma grand mère est là aussi, elle a déposé pour chacun une orange symbole du luxe de son époque. Dans le compartiment suivant, je la vois sur son lit endormie à jamais, il y a si longtemps et si présente depuis peu.

Changement de décors, mon premier baisé, appuyée contre un arbre je pose mes lèvres sur les siennes en fermant les yeux. Ma première nuit, le matin au réveil enlacés l'un contre l'autre, je vois le monde autrement.

Un job d'été je suis sur la mobylette de télégraphiste et je porte les missives chez les particuliers, avec mon salaire je fais l'acquisition d'un superbe magnétophone à bande.
Là, je suis avec mon père entrain de faire un trou dans le jardin, mon chien qui a accompagné mon enfance et mon adolescence me quitte aussi.
Les mariages, la maison se vide petit à petit, je la quitte à mon tour.

Le premier enfant que je porte maladroitement dans mes bras, je le repose dans son berceau. Sa soeur est là sous ses yeux il ne comprend pas. Ensemble ils m'accompagnent à la maternité pour aller chercher leur mère et la petite dernière.
On emménage dans notre maison, tous les trois ils courent dans le jardin à la recherche des oeufs de Pâques.

Le crématorium, mon père abandonne la partie.

Je me vois sur un trottoir je marche dans tous les sens une valise à la main, tout autour de moi, la vie se déroule à grande vitesse je suis apeuré et perdu dans cette foule qui ne me voit pas, je cherche la gare.
Le train passe dans une gare, le bruit rabattu et amplifié par le défillement des quais me fait sursauté. A la sortie de la station les deux trains viennent se recoller l'un contre l'autre.

Je m'aperçois acoudé à la fenêtre d'en face, je me regarde, je lis de l'inquiétude dans mes yeux. Dans mon compartiment tout s'efface, je ne distingue plus la banquette, la porte coulissante, le plafonnier. Je me retourne vers mon image d'en face, je me tends la main, je n'arrive pas à me l'attraper, je suis en apesanteur je flotte dans les airs. Le visage de mon image se décompose il souffre, il regarde tout le monde autour de moi. Non loin il entrevoit la voiture défoncée dans le bas côté, je me cramponne à ma valise. je vois l'urgentiste saisir une couverture et l'étend sur moi en faisant non de la tête.

Sous la couverture c'est le noir total, les bruits ne sont plus que chuchotements et froissement de papiers. De la fenêtre je crois deviner des ombres, la scène de l'accident a disparu. Je vois une lumière, au loin, j'entends un battement. Dans la pièce les ombres se révèlent petit a petit, je vois ma mère allongée recouverte d'un drap blanc. La lumière se rapproche, je ressens une douleur dans le cou. Je glisse le long d'un tunnel, la lumière m'aspire. Une femme est penchée sur son ventre et elle soutient un nouveau né par les pieds. La lumière est aveuglante, une brûlure pénètre dans mes poumons je me mets à brailler. Je me vois posé sur ma mère elle me sourit, je suis déjà endormi.
Un sifflet strident perce la nuit le train disparait à l'horizon.

  • celui là, je crois le reconnaître et si ce n'est lui c'est donc son frère !!!! (comme dirait le loup à l'agneau de La Fontaine)

    la vie à l'envers : parait que cela nous arrive au moment de mourir

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Image de femme baroque

    anna-c

  • PArticulièrement bien vu ce rapport à ces temps successifs mêlés à des retours en arrière.
    Superbe texte, d'une très belle densité avec une métaphore que tu développes à son summum.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Tyt

    reverrance

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