Le vendeur

victoria28

   C’était les soldes et je cherchais un pantalon pour mettre au bureau. Un truc classique, de qualité. Je pensais trouver au Printemps ou aux Galeries Lafayette. Ca faisait longtemps que je n’avais pas fait du shopping et j’étais contente de sortir.

   Une fois arrivée boulevard Haussmann j’ai eu envie de traîner un peu. Il faisait doux. J’ai pris par les petites rues. Les magasins étaient bondés, des filles sortaient les yeux brillants avec des sacs pleins à craquer.  Je me suis arrêtée devant une vitrine où des mannequins décapités prenaient de poses provocantes. Je suis entrée.

   Dans la boutique noire et blanche des gamines jouaient des coudes, avides comme des chiens efflanqués. Le volume de la musique était poussé à fond. C’était samedi, troisième démarque, il faisait chaud sous les spots, et pour ne pas faire la queue aux cabines prises d’assaut les filles essayaient entre les portants, elles se déshabillaient  dans l’indifférence générale. J’ai regardé des pulls à paillettes sur les cintres, des jeans moulants qui ne pardonnaient rien. Il y avait des t-shirts transparents avec des portraits de Marylin imprimés dessus, des débardeurs en résille, des chemises de bûcheron et des pulls fluos. C’était importable et excitant. Moi aussi j’ai commencé à fouiller du côté des manteaux.

   La première veste que j’ai tirée du rayon avait un côté militaire avec des fermetures à brandebourgs et du strass aux épaules, elle était noire et cintrée, à la fois sage et provocante, j’en avais eu une un peu pareil quand j’avais quinze ans.

   J’ai  ôté mon imperméable, j’ai passé la veste et j’ai cherché un miroir. C’était un peu petit. Bizarrement je ne me trouvais pas jolie dedans mais ça me donnait un air sophistiqué qui me plaisait bien. J’ai laissé une fille à talons compensés prendre ma place devant la glace et j’ai tiré sur les pans de la veste pour bien l’ajuster.

   « Tout va bien madame ? Je peux vous aider ? »

   Un vendeur était planté à côté de moi, les bras chargés de cintres aux vêtements froissés. Il souriait d’un air confiant, le regard attentif sous les cils recourbés. Il était jeune, il avait les yeux verts.

   « Je me demande si c’est la bonne taille », j’ai dit.

   Le garçon m’a regardée en plissant les paupières.

   « Oui, ça va. Je peux vous donner une taille au-dessus, mais vous êtes bien comme ça. Ca se voit à la carrure ».

   Il avait posé ses vêtements en tas et il tirait des deux mains sur les épaulettes de la veste. Il était concentré et ne me regardait pas, tout occupé à lisser le vêtement sur le haut de mes bras. Je pouvais sentir son parfum bon marché par-dessus la fadeur tiède de la sueur. Il a reculé de quelques centimètres et il a penché la tête.

   « C’est une jolie veste, il a dit. C’est un joli tissu aussi ».

   Il a tendu la main et il s’est mis à caresser le lainage de haut en bas sur mon bras, en souriant un peu. « Un très joli tissu ». Son visage était délicat et sa peau fine comme celle d’un bébé. J’ai souri à mon tour.

   « Un samedi de soldes, vous devez avoir mieux à faire que me conseiller, j’ai dit.

   – Mais non,  il a dit, en me caressant toujours le bras. Vous voulez essayer la taille au dessus ? Ca vous va bien, vous savez».

   Il me regardait en face, avec son air appréciateur, la main un peu plus lourde. Il avait les dents très blanches entre ses lèvres ourlées. J’ai baissé les yeux. J’avais chaud dans cette veste, sous les spots aveuglants, brusquement la musique était montée d’un cran.

    « Non, c’est bon, j’ai dit très vite. Je la prends ».

   Il a laissé tomber sa main,  il a reculé d’un pas. Il souriait toujours. Il a repris sa pile de vêtements et il a cherché quelque chose dans sa poche.

   «Vous avez raison. Si vous changez d’avis vous pourrez toujours revenir le changer»,  il a dit, et il m’a tendu une carte cornée avec son nom dessus.

   «Vous pourrez leur donner ça à la caisse ? »

   J’ai souri, j’ai fait la queue et j’ai payé. Après je suis sortie du magasin sans regarder à gauche ni à droite et j’ai tout de suite pris le métro. J’avais un peu mal au cœur. Le sac pesait au bout de mon bras.

   Ce n’était pas ça que je voulais.

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    · Il y a environ 13 ans ·
    101 0061 500

    saki

  • @soft: c'est juste, il manquait une fin, j'ai changé. merci!

    · Il y a environ 13 ans ·
    New orleans louisiana may 1953 chevrolet orig

    victoria28

  • tu as vraiment une écriture agréable ! Et ce recto-verso d'une rencontre est une bien belle idée... Ca vaudrait sans doute la peine de lier ces deux textes de manière plus évidente, de guider le lecteur de l'un à l'autre (un NB en fin de page?).
    Je reste un peu frustrée, pourtant : il me semble ici qu'il manque la "fin"...

    · Il y a environ 13 ans ·
    Commeca 58

    soft

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