Le verre de l'amitié

petisaintleu

Le zolli, à Bâle, au-delà du plaisir des zozoteurs qui y voient l'occasion de prendre une jolie revanche, est le plus ancien jardin zoologique du pays. Dès son ouverture en 1875, il connut un franc succès, quoique situé en Suisse. Le nombre de visiteurs, dès la première année d'exploitation des animaux captifs, dépassa largement le nombre d'habitants de cette localité helvète. Il est vrai qu'il n'est situé qu'à quelques encablures de la frontière française et allemande. On peut alors supposer qu'en 1945, c'est une toute autre faune que celle de son zoo qu'elle vit migrer, les camions chargés de lingots et d'œuvres d'art.

Au détour d'une virée pour découvrir les spécialités chocolatières et les coteaux viticoles, nous arrivâmes enfin dans la capitale du canton alémanique. J'étais tout excité de découvrir des espèces exotiques que j'avais vues pour de faux et en autocollants grâce à la Vache Qui Rit.

Le premier objectif était d'ordre alimentaire. Si la cavité abdominale de mon papa ne commençait pas à se remplir à midi pétante, de noirs desseins le faisaient ruminer. Je rentrais d'instinct la tête dans les épaules, craignant d'être écrasé comme une citrouille aux douze coups de l'horloge.

Un autre point venait le rendre vache. Nous nous en mettions plein la panse lors de nos vacances alsaciennes, à condition de rester sur le territoire hexagonal. Je ne sais par quel moyen il avait obtenu un stock de Tickets Restaurants qui aurait pu nourrir la ménagerie du cirque Pinder pendant plusieurs semaines. Je présume qu'il avait dû les racheter à moindre frais à ses employés qui n'osaient contester de se faire pigeonner. Ainsi, si sur la rive occidentale du Rhin, la matinée consistait à repérer les restaurants acceptant les précieux sésames, le challenge consista ce jour-là à courir à la vitesse du cheval au galop dans le but de trouver une gargote qui ne nous assommerait pas, le change entre les francs suisses et français étant un obstacle supplémentaire.

Nous nous rabattîmes enfin sur un self. Comme dans tout restaurant en libre-service était disposée une montagne de verres.

J'eus la malchance d'être avec mon plateau juste devant mon papa. Je passais devant l'avenante caissière lorsque dans un fracas, la pile des récipients s'écroula. J'allais boire la tasse. Et il n'y aurait pas de demi-mesure, de verre à moitié vide. Je dégusterai jusque la lie les poings qui me clouèrent au sol alors que la gentille receveuse essayait, dans un français approximatif, de s'interposer.

Pour faire amende honorable, il me demanda de m'excuser pour la pile renversée, me tenant fermement le menton pour que je regarde la dame dans les yeux en lui parlant. Je vous jure du haut de mes neuf ans que ce n'était pas moi. Je vis une larme couler sur sa joue. Comme quoi, les Helvètes sont plus sensibles que nous ne pourrions le penser et peuvent avoir un cœur de petit suisse.

Au niveau du moral, Je me retrouvais dans le trou de Bâle. Je n'ai pas su profiter du spectacle animalier qui s'offrait à moi. Je ne garde que le souvenir des cris de primates que je pris comme autant de ricanements.

  • justement, s'il te tenait le menton
    tu ne pouvais plus parler ?
    en tous cas, ça me parle , ce geste paternel
    j'aimerais en savoir plus sur cette intention :
    le fait de tenir le menton

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Mars 2012 063

    halpage

    • Précision sur le geste technique : il mettait le pouce et l'index sous le menton, non pas pour me presser comme un citron (Attention, jeu de mots !) mais pour me forcer à ne pasbaisser la tête.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

Signaler ce texte