Le voyage intérieur

Le cagibi est une petite pièce qui sert de débarras. En l'occurrence, j'étais le débarras. Mais, n'allez pas penser que pour moi c'était un lieu d'angoisse.

Une fois passée la très naturelle peur d'une araignée et que mes yeux s'étaient habitués à l'obscurité, il s'agissait même d'un havre propice à mon imagination. En effet, l'exiguïté des lieux me faisait irrémédiablement penser à une tente.

Ainsi, et alors que mes parents avaient toujours refusé que j'intègre les scouts, je m'imaginais louveteau au coin d'un feu de camp. La couverture, jetée sur le carrelage, devenait un accélérateur pour développer mes aventures. Merci maman, je n'oublierai jamais cette délicate attention.

Je fermais les yeux pour appuyer sur mes paupières. La pression exercée sur les vaisseaux sanguins de mon humeur vitrée me transportait dans le monde des phosphènes, peuplé de formes étranges, proche de visions chamaniques. À une lumière blanche auréolée de traînées sombres succédaient des formes flottantes. Un bestiaire psychédélique se présentait formé de cercles, de poussières, de cristaux ou d'étoiles.

Le jeu consistait, après les avoir baptisés de sobriquets lovecraftiens, à les suivre tandis qu'ils devenaient de plus en plus diaphanes avant de disparaître dans l'éther de mon lobe oculaire. Par la force de mes pensées, je parvenais quelquefois à en créer. Avec beaucoup de concentration, je pouvais les colorier de rouge alizarine, de bleu cobalt et de vert smaragdin.

Aujourd'hui, j'ai passé l'âge de ces enfantillages. Je n'ai plus que mes yeux pour pleurer.