L’échappée salvatrice de Biscarrosse
Marion Dm
Elle eut besoin de partir. Loin. De s'isoler.
Quitter le navire alors qu'il est en train de sombrer et abandonner les siens dans la peur et la douleur, c'était sûrement inhumain. Seulement, elle n'en pouvait plus...
Ils ne comprendraient pas son départ et ne lui pardonneraient peut être jamais. Mais c'était ainsi.
Ils venaient la voir jour après jour. Ou du moins, voir en elle l'oreille attentive, la sœur solide et mature dont on se sert pour décharger sa colère et exprimer son incompréhension.
Je les voyais défiler dans sa maison, sans même prêter attention à ce qu'elle faisait.
Avait-elle le temps de les recevoir? Était-elle occupée? Avait-elle besoin de repos? Ces questions, jamais ils ne se les posaient. Ils s'en fichaient complètement...
Ils se servaient d'elle comme d'un trou noir dans lequel on jette tout ce qui nous ronge et nous hante. Une décharge que l'on choisit de remplir chaque jour sans se poser de questions.
Seulement plus les jours passaient, plus le poids de leurs souffrance, ajouté à la sienne, l'entraînaient vers le fond.
Là où rien ne vit, là où tout est sombre. Dans les abîmes de son cœur.
Elle était prête à imploser, à transformer sa patience en violence et son courage en haine.
Jamais n'avaient-ils pensé, qu'elle aussi aimerait pouvoir se confier? Pour alléger son fardeau? Trouver du réconfort et un peu de sécurité, dans les bras des siens?
Non...
Car elle était devenue le chef de famille. Prenant la place de son père, qu'elle n'avait même pas eu le temps de pleurer...
Elle était le pilier de la maison et ne pouvait plus se permettre d'être faible...
Mais à présent, elle était loin.
Sans dire un mot, elle était partie. Elle avait pris la route de nuit pour ne pas qu'on la voit s'enfuir.
Le chemin était long et elle n'arriva qu'au petit matin.
Lorsqu'elle coupa le moteur et sortit de la voiture, elle sentit cette odeur de pins qui vint la réveiller et lui fit comprendre qu'elle était enfin arrivée.
Elle prit son sac et commença à remonter le chemin à pied.
Le vent soufflait et balayait ses cheveux devant son visage, tandis que ses pieds peinaient à marcher dans le sable.
Tête baissée, elle avança tant bien que mal à travers la forêt jusqu'au moment où elle la vit.
Elle se figea quelques instants et sans décrocher son regard de cette vision utopique, elle sortit de sa poche une photo vieillie qu'elle tendit devant elle.
C'était bien elle, la maison que son père louait tous les étés depuis plus de 40 ans.
Cet endroit, au bord du lac. C'était son endroit à lui, son havre de paix et elle comprenait pourquoi.
Cette petite cabane en bois, cachée dans la forêt de pins, faisait face au lac calme et paisible de Biscarrosse.
La maisonnette était simple et n'avait rien d'extraordinaire. Pourtant elle avait quelque chose d'attirant et surtout de réconfortant, comme lorsqu'on retrouve un jouet de notre enfance et qu'on prend plaisir à l'animer une nouvelle fois.
Elle regarda de nouveau la photo. On la voyait poser devant la maison, assise sur les genoux de son père.
Cette photo, elle l'avait découverte dans le porte-feuille de son père quelques jours après l'accident. Et presque instantanément le souvenir de cet été lui était revenu en mémoire.
Elle repensa à ces moments passaient auprès de lui. Aux sorties en bateau sur le lac. Aux poissons qu'elle avait attrapé. Aux grillades qu'ils faisaient le soir...
D'un coup son sac lâcha et s'écrasa au sol. Elle sortit de ses pensées, puis le regarda retomber mollement dans le sable.
C'est à ce moment là qu'elle constata que ses mains tremblaient, ainsi que ses jambes. Sa vue se troubla et ses lunettes semblaient ne plus faire leur travail. Elle avait très chaud et une douleur vive dans la poitrine. Que se passait-il?
Puis elle comprit.
Elle pleurait, enfin...