L’effet Johnny

Hervé Lénervé

- Hervé ! Tu ne respecteras donc, jamais rien ? - Euh… non !

En allumant le téléviseur, je suis tombé par hasard, mais comment faire autrement, sur des images de la foule rassemblée pour rendre un dernier hommage à Johnny. Incroyable le monde qu'il pouvait y avoir. La popularité du chanteur a été largement représentée. Malheureusement au détriment de tous les enterrements d'anonymes de proximité. On ne peut pas blâmer les cortèges d'endeuillés d'avoir profité, d'avoir la tenue idoine, pour prendre la poudre d'escampette et préférer se rendre à un enterrement people plutôt qu'à celui du tonton ronchon, de la tata atrabilaire.

Ce rassemblement de personnes attristées m'a rappelé l'enterrement de ma propre mère. Elle avait fini sa vie retirée dans un minuscule village en Bourgogne. La tradition voulait que tous les habitants se déplacent pour accompagner le disparu tout du long de son dernier périple. Mais bien que ma mère réside sur la région depuis plus de vingt ans, aucune âme autre que celles de la famille ne vint. J'avais préparé un petit texte, mais pris dans l'évènement, j'avais oublié de le rectifier. Aussi la tête absente, j'en commençais la lecture.

« Merci, d'être tous venus, en ce triste jour pour honorer celle qui partagea votre vie rurale… »

En même temps que je lisais, je réalisais qu'il y avait un truc qui clochait.

En même temps que je lisais, je voyais les yeux de ma famille s'arrondirent.

En même temps que je lisais, le curé n'arrêtait pas de me pincer le bras. J'avais pourtant passé l'âge d'être un enfant de cœur à caresser. Bref, je m'aperçus enfin de ma bévue. Il fallait rectifier le tir, mais comment ? L'enterrement de Johnny n'aurait lieu que dans trente ans et je n'étais pas assez de ses intimes pour lui demander qu'il l'avance d'autant pour dépeupler la région de ses fans bucoliques. Qu'aurais-je pu inventer pour excuser cet affront fait à ma mère ? Dans ces situations de tension, on choisit souvent la mauvaise, la pire, aussi m'entendis-je proclamer.

« Oui ! Maman, il est des jours de grandes tristesse. La peste bubonique a encore frappée en réduisant à néant tant de bonnes volontés. Le village se meure de maladie létale. Les seuls survivants sont si exsangues qu'ils ne tiennent plus debout sur leurs jambes. Peu leur importaient, ils voulaient ramper, coûte que coûte, en rampant même, à ton ultime rencontre. Nous avons dû, les en dissuader par la force. Aussi, ne soit pas affligée par cette désertion, elle est de volonté Divine… »

Le curé en avait fini de me malaxer le bras, il était devenu une sorte de tête de pivoine poussant sur une aube blanche. Je subodorais que mon oraison lui déplaise, cela se voyait comme son gros nez de poivrot au milieu de sa figure couperosée. Il allait nous péter une durite, le curé, le jour de tes obsèques. Je devais faire encore quelque chose, mais quoi ? Mais quoi ?

« Bientôt, les enterrements se bâcleront à la chaine. Tu as été inspiré de partir avant. Ah, l'intuition féminine fait des miracles… Pourquoi Seigneur ! Pourquoi as-tu condamné ainsi toutes tes brebis, bon pasteur ! Que t'avons-nous fait pour mériter tel châtiment ? Quels sont ... »

Cela en était trop ! Le curé en profita pour faire sa syncope. Ça faisait désordre !  Il s'étala de tout son long sur le dallage de pierres de la croisée du transept. Les bras en croix, il imitait en miroir, le Jésus dignement suspendu, au-dessus de ses yeux révulsés. Un gisant crucifié, cela est peu banal, mais ridiculement inoffensif et pourtant, il était mort. Ah, ces ecclésiastiques de campagne, ils n'ont pas la santé.

Depuis je ne fais plus dans la nécrologie, c'est un style qui ne me sied pas.

Signaler ce texte