L'enfant
Ségo Ydrat
Ils attendaient bébé depuis longtemps, des mois de mariage qui s'éternisaient. S'ils s'étaient promis devant témoins fidélité, c'était dans le but de fonder une famille, d'avoir des héritiers. Mais le temps a passé sans qu'aucune cigogne n'apporte de nouveau-né.
Jusqu'au jour, un beau jour de printemps, elle s'est levée avec la nausée.
Le médecin confirma la bonne nouvelle, il arrivera en décembre, entre les cadeaux et les baisers de fin d'année. Les deux familles se réjouirent, le mariage était en quelque sorte enfin consommé ! Dans les magasins tout le monde se précipita et acheta pour son arrivée. La chambre fut prête et les commodes remplis de vêtements et de jouets avant même qu'on sache s'il avait bien ses 2 mains et ses 2 pieds. Mais peu importe qu'il soit ou pas entier, ce petit était déjà adoré.
C'est donc le 28 décembre qu'il est né et au champagne qu'il fut baptisé. Il porta le nom de Marcel, un prénom un peu désuet mais c'était celui qu'elle avait toujours rêvé de donner. Sans demander l'avis du père, elle lui porta le sein à la bouche parce que c'est ainsi qu'elle l'avait imaginé. Lui, tellement heureux d'avoir un fils ainé, qu'il prit la chose sans même sourciller : la nature est ainsi faite, la mère nourrit son bébé.
Les semaines qui suivirent le retour à la maison furent comme dans un rêve éveillé. La maman s'épanouit, s'émouvant de tous les petits apprentissages que son nourrisson faisait. La moindre grimace était soulignée, le moindre bruit interprété. Et toujours elle continuait d'allaiter, repoussant le moment de le sevrer. Quand arriva le dernier jour du congés maternité, il fallut bien alors se séparer, du moins pour quelques heures dans la journée.
Les jeunes parents, très entourés, ne manquaient pas d'avis sur leur enfant et d'aide pour bien l'élever. Ils le laissèrent aux bons soins d'une nounou agréée, triée sur le volet après plusieurs entretiens et jours d'essai. L'hiver s'acheva, le printemps aussi, et l'été s'enfuit, emportant avec lui le souvenir de vacances joyeuses à la campagne, au milieu d'amis un peu étonnés de voir toujours Marcel téter.
A l'approche de l'hiver, alors qu'ils s'apprêtaient à souffler la première bougie de leur garçon, le père perdit son emploi à la banque HSBC. La nouvelle, difficile à accepter, n'était néanmoins pas catastrophique car ils savaient qu'il retrouverait facilement grâce à son Cv et à ses nombreuses amitiés. En outre, elle avait un très bon poste, très bien rémunéré. L'anniversaire fut donc fêté comme ils le souhaitaient, avec clown et poney dans leur jardinet.
Seulement l'économie allait mal en ces temps-là et des millions de chômeurs cherchaient à se caser. Il n'était donc pas aisé de se faire embaucher, même pistonné. Le père en prit son parti, renvoya la nounou et garda Marcel la journée. Ce fut pour lui une décision formidable qui lui permit de voir grandir son fils tant aimé. Ensemble ils jouaient, se promenaient et écoutaient Mozart en regardant des petits livres illustrés.
Mais alors que les hommes de la famille s'apprivoisaient, la mère s'étiolait. Les heures au bureau, loin de son foyer, devenaient de plus en plus dures à supporter. Son travail, qui l'avait toujours passionnée, perdit soudainement de son intérêt. Les réunions devenaient des séances de torture pendant lesquelles elle ne pouvait pas téléphoner : Que faites-vous ? Dort-il ? A-t-il bien déjeuné ? Que lui as-tu préparé ? M'a-t-il réclamé ?
Or, un dimanche matin enneigé, alors qu'il rentrait du marché avec plein de produits frais, il trouva sur son bureau un petit papier : « Je suis partie, avec Marcel. Ne nous cherche pas, tu ne pourras pas nous retrouver. Ce que tu as fait est abject mais heureusement je ne suis pas faite bernée. Comment as-tu pu croire que je te laisserai l'accaparer, me le voler ? Je te quitte, et ton fils aussi, à tout jamais. »