Effroi

pourquoilavie

Participation au concours "Shakespeare et la jalousie"

« Dépêchez-vous, vite », hurlaient les médecins, qui venaient à peine d'arriver sur les lieux et qui s'affairaient avec énergie autour du corps. Une vie était en jeu. C'était le branle-bas de combat. L'hélicoptère prêt à décoller. La foule des badauds était au rendez-vous. Tout le monde voulait voir, savoir.

Son cœur, merde son cœur… On le perd… C'est à peine croyable… Que se passe-t-il ?

« Jamais vu cela… Chef… » criait un des infirmiers, tentant de se faire entendre au milieu du vacarme environnant… C'était une cohue indescriptible. La panique s'était emparée d'une partie de l'équipe pourtant aguerrie à ces interventions d'urgence.

Rapidement, la victime fut transférée à bord de l'hélicoptère qui s'envola aussitôt en direction de l'hôpital le plus proche.

Il ne s'agissait ni plus ni moins que d'une course contre la mort.

Le diagnostic vital était engagé… Avec un cœur qui répondait, ou plus exactement, qui ne répondait pas, même plus aux interventions des médecins d'une façon qui dépassait leur entendement.

Les portables ne cessaient de sonner, car on consultait dans le même temps des spécialistes dans le monde entier. Dans le but d'obtenir des expertises leur permettant d'envisager de nouvelles pistes. Mais les fruits de leurs recherches ne se montraient guère fructueux.

Une fois à l'hôpital, il était devenu clair que le patient était perdu. Pourtant tous les soins requis avaient été prodigués. L'énigme restait entière…

Comment son cœur avait-il pu ainsi le lâcher, les lâcher de la sorte ? Le silence, couplé à l'abattement, emplissait lourdement la salle des opérations. Au point de rendre l'atmosphère suffocante.

Puis, dans l'une des poches de sa veste, ils trouvèrent une lettre… ils y virent comme un espoir… peut-être les sauverait-elle de leur noire ignorance… peut être… 

Ils la déplièrent avec une fébrilité inhabituelle encore sous le choc d'avoir perdu ce patient. Et dans des circonstances qui les laissaient dans un véritable état d'effarement...

Le médecin, avec une certaine appréhension, commença à lire à haute voix, la lettre, écrite à la main :

‘'Chérie (je ne sais si depuis cette minute je dois t'appeler encore ainsi… Mais, il faut croire que le cerveau est plus lent que le cœur à comprendre ce qui relève des sentiments, ou alors agit-il comme un paratonnerre pour encaisser le coup et rester en vie ?)

Chérie (donc), plus de vingt ans de vie commune, des moments de bonheur et de complicité me reviennent en mémoire, et ont fait de notre vie une étoffe soyeuse, douce au toucher mais aussi composée d'une maille résistante aux coups durs que chaque couple, en dépit de l'Amour, subit.

Les assauts du temps sont nos plus dangereux ennemis, car ils s'obstinent dans leur travail de sape comme des vagues qui usent inlassablement les falaises.

Je pensais que nous avions réussi, tous les deux, à faire face à toutes ces épreuves. Là ou tant d'autres couples avaient échoué. J'ai cru que nous en étions ressortis grandis, et nos sentiments tout aussi forts qu'au premier jour. 

Tiens, de ce premier jour, je me souviens, comme si c'était hier, de ton généreux sourire plein de malice, de ta robe en flanelle, de ton baiser timide puis téméraire sur ma bouche, mon visage… et tes mains impatientes parcourant avec frivolité mes épaules, mon buste…  

Et puis, ce soir (pardonne mon écriture mais j'en tremble encore), sans parler de ma vue qui se brouille, sous les larmes car je ne peux retenir la peine qui m'affecte… je… je découvre cette liaison...

Ce que j'ai ressenti ? Une vive jalousie, bien sûr. De la trahison sans aucun doute. Mais, ce qui m'étonne le plus, c'est que j'aurais dû être envahi par la colère, et envisager les plus viles vengeances.

Mais non, au lieu de cela, au moment où ton infidélité m'était révélée, mon cœur s'est subitement glacé d'effroi….''.

La lettre n'allait pas plus loin… Tout le monde se regarda, stupéfait. Tout le monde comprit. Le mystère était résolu. Ils n'auraient rien pu faire. 

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