L'envers du décor

Zouz

Degas , ce merveilleux peintre des danseuses dévoile au travers de ses œuvres une vision sociétale et les danseuses si chères au peintre sont figures de l'envol et de la chute.

Degas disait de ses danseuses qu'elles ont « cousu son cœur dans un sac de satin rose, ce rose un peu fané de leurs chaussons »

L'oeuvre "Le foyer de la danse à l'Opéra Le Pelletier" ,est une huile sur toile datant de 1872 qui est conservée au musée d'Orsay a retenu mon attention. 

Degas , un peintre particulièrement attiré par la vie moderne , ses artifices , ses travers dévoile des aspects sociologiques très intéressants. Edgar Degas est selon les Goncourt celui qui a le mieux « attrapé l'âme de la vie moderne ». Au sein de cette toile au rendu instantané irrémédiable , il est possible d'observer divers groupes de jeunes filles , chacune attelée à sa propre tâche , elles ne semblent s'accorder aucune importance. La concurrence entre ces dernières est rude et une amitié probable entre celles-ci serait malvenue.  Cette toile est petite, intimiste , les jeunes danseuses se trouvent dans la salle de répétition : le foyer (endroit où elles devaient obligatoirement passer avant et après le spectacle). Quand on regarde  cette toile , on a cette forte impression d'un monde lointain qu'on ne pourrait toucher du bout des doigts , un monde inaccessible. Degas ne représente que des femmes en tant que danseuses , les hommes sont soient musiciens , soient maîtres de ballet ou encore les spectateurs. Les hommes sont autrement dit soient actifs ou alors passifs. Est-ce sous-entendre que la femme est la seule à pouvoir subir cette cruauté , ces douleurs corporels. Degas fut particulièrement fasciné par les « frontières »  , celles qui séparent le ballet du monde qui l'entoure. Les poses statiques , figées et cristallisées sont une source d'inspiration , le corps au repos et le corps en mouvement sont sa source de travail. La danse reflète un automatisme , une déshumanisation vue dans les œuvres de Degas. Degas dépeint le monde extérieur par le truchement des mères venant accompagner leurs enfants , du public , des admirateurs en coulisse , des grandes sœurs qui les aident à s'habille , leur tiennent compagnie, les soutiennent psychologiquement un parallèle entre le monde extérieur et le monde intérieur, cloisonné des danseuses est mis en œuvre au sein des œuvre de l'artiste. Ses modèles sont des produits très spéciaux de la civilisation contemporaine , de son luxe , de son entrainement , de sa misère et de sa déchéance psychologique. Les danseuses étaient en général de condition modeste  , leurs mères les voulaient danseuses pour qu'elles gagnent de l'argent pour survenir aux besoins financiers de la famille. Elles n'étaient pas réellement éduquées , ce qui explique parfois leurs attitudes. Le statut des danseuses au XIXème siècle : la situation de la danse s'améliore après 1870 : peu à peu , la danse est reconnu comme un art et un métier.

Les danseuses subissent une véritable métamorphose quand elles dansent.  L'artiste compare leur vie de tous les soirs au cycle pathétique du papillon : dans l'atmosphère douillette de sa loge , la danseuse abandonne ses ternes vêtements pour d'autres plus éblouissants , entre tout engourdie , elle se dégage gauchement de son cocon , puis ajustant une dernière fois ses nouveaux atouts , elle se prépare à s'envoler ».  Les danseuses de Degas sont l'incarnation de l'envol et de la chute à la fois. Leur quête de perfection artistique peut être dangereuse. Le superficiel , la fausseté , les étincelles du monde de la danse sont fausses , Gauguin parlait de cette fausseté sous ces propos » Tout est faux , la lumière , les décors , les chignons des danseuses , leur corset , leur sourire ». Seuls vrais sont les effets qui en découlent , la carcasse , l'ossature humaine , la mise en mouvement , arabesques , de toutes sortes. Degas insiste sur cette fausseté, sur la « magie » de la danse qui dispose de certains travers. Degas traite alors les belles « imperfections »  qui se trouvent dans la nature. Degas ne représente pas ce que l'on voit quand les rideaux s'ouvrent mais il nous dépeint l'envers du décor.

Il est un artiste aux multiples facettes. Il a représenté les danseuses par le biais de la peinture , de la photographie , du fusain , de la sculpture dont la célèbre "Danseuse de quatorze ans" qui est conservée au musée d'Orsay et qui ne cesse de fasciner le regard des spectateurs.

 Cet artiste défini comme inclassable a consacré la quasi-totalité de sa vie à la représentation de la danse , mais plus particulièrement des danseuses.  Cette apprentissage a couvert plus de la moitié de son œuvre. Peindre des danseuses était pour lui essentiel et se révélait comme une préoccupation anthropologiques. Son acharnement pour le rendu de ces danseuses fait écho à l'acharnement qu' il consacre à son œuvre.  Il est pareil à la danseuse qui travaille indéfiniment une même position , comme le modèle qui reprend 100 fois la même pose , lui exécute un dessin , le décalque , le répète , le reprend et l'apprend par cœur. Un certain automatisme ressort de ces trois professions et cela les rapproche. Ces derniers ont en commun de ne pas être des arts de l'improvisation mais de la rigueur.  Le peintre choisit de dépeindre des ballerines qui vont au-delà du pur divertissement esthétique.  Degas a réussi à construire une palette de danseuses extraordinaire grâce à sa curiosité psychologique et à son intense pouvoir visuel.   Le génie a su osciller entre la gloire éphémère du théâtre et le sordide de la réalité.

Ce tableau m'a particulièrement attiré et inspiré dans la mesure où le peintre a su au travers d'une peinture claire , douce transmettre un message dur , fort , réaliste de ce monde de la danse à l'époque. Il a su marqué les esprits et son influence a été vue tant bien dans la reprise du thème de la danse dans la peinture que pour un thème d'opéra "La petite danseuse de Degas" en juin-juillet 2010. 

 

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