L'ermite

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L'agitation du port était à son paroxysme malgré les nuages menaçants qui s'amoncelaient, privant les marins, marchands, pêcheurs et autre faune locale du soleil d'été. L'air était lourd et humide, chargé d'odeurs de sueur, d'épices et de poisson.

Il avançait au milieu de la foule qui, instinctivement, se dispersait devant lui, tel un banc de sardines face à un requin. Son port droit et altier contrastait avec les autres bipèdes qui grouillaient autour de lui, sans parler de sa tenue impeccablement soignée. Il portait des bottines à talonnettes noires, serrées d'une boucle d'argent étincelante. Ses chausses d'un rouge carmin élégant étaient coupées parfaitement, et maintenues par une ceinture de cuir bouilli ouvragé. Il était couvert d'un long manteau de la même couleur que ses chausses, sur une chemise d'un blanc immaculé qui soulignait un torse musculeux et puissant. Son visage, long et fin, portait un nez aquilin sous lequel s'épanouissait une moustache huilée et raffinée, dont les extrémités étaient recourbées par un lissage régulier et minutieux entre le pouce et l'indexe. Geste qui était devenu l'une de ses mimiques favorites au fil du temps. Ses yeux étaient d'un bleu perçant, surmontés de fins sourcils entretenus avec soin. Son crâne était coiffé d'un magnifique chapeau feutré, orné d'une majestueuse et colorée plume de paon. 

Il filait droit vers une petite boutique à l'air miteux, dont l'enseigne, représentant un parchemin accompagné d'une plume, pendouillait lamentablement de travers au dessus d'une porte en bois rongée par le sel. Il ne pretait pas attention aux regards mi envieux mi impressionnés que les badauds posaient sur lui. Il marchait d'un pas vif et assuré, comme en terre conquise. Il était armé d'une canne en métal brossé, dont le pommeau n'était autre qu'un crâne en ivoire blanchi, avec laquelle il frappa trois coups secs sur la porte de l'échoppe, avant de s'engouffrer à l'intérieur.

Une odeur d'encre, de pétrole à lanterne et d'huile de lavande bon marché remplaça la pestilence de la rue. De grandes étagères, remplies de parchemins soigneusement roulés, encerclaient un petit bureau en bois massif derrière lequel était penché un petit homme rondelet au crâne dégarni. Il leva des yeux de fouine agrandis par deux énormes verres de lunettes, avant de se redresser prestement, comme s'il venait de recevoir un coup de fouet.

- "Mais qui voilà?! Mon Capitaine préféré ! Toujours aussi élégant ! Puis-je vous offrir une tasse de thé? ou de café peut-être?" Il s'exprimait d'une voix mielleuse et nasillarde, en voutant les épaules et gardant la tête légèrement baissée, comme un cabot craintif.

Le Capitaine s'avança doucement dans la pièce, en faisant claquer ses semelles à chaque pas, caressant sa canne et observant avec attention le contenu des étagères. Il s'arrêta enfin devant le bureau du propriétaire, avant de le toiser quelques instants, prenant le temps de lisser sa moustache. Le petit homme grassouillet tentait de contenir son stress en se tordant les mains, le cœur battant la chamade, dans l'attente que son invité daigne enfin prendre la parole.

- "Je ne suis pas venu dans ton taudis pour prendre le thé en t'écoutant déblatérer tes pitoyables tentatives de charme. Est-ce que tu as ce que je t'ai demandé?" Il avait parlé d'un ton froid et égal, articulant soigneusement chaque mot.

Le petit homme se courba encore un peu plus, regardant les papiers éparpillés sur son bureau, fuyant le regard glacial du Capitaine.

- "Euh... Eh bien... Pas exactement. Mais j'ai peut-être quelque chose qui pourra vous intéresser ! Attendez ici deux minutes." Il disparu dans l'arrière boutique sous les yeux impassibles de son visiteur, avant de revenir avec un bout de parchemin froissé. "Tenez, c'est le nom d'un ermite qui vit sur un ilot au large de la côte. On dit qu'il aurait déjà été là où vous savez, et qu'il a réussi à en revenir. Mais ce ne sont peut-être que des ragots..." Il tendit, la main tremblante, le papier sur lequel était griffonné un nom.

Le capitaine s'en saisit d'un geste lent et fluide, avant d'y jeter un œil.

- "James Barried... Merci." Sur ces mots, il glissa le bout de parchemin dans son manteau avant d'en sortir une bourse bombée et sonnante. Il y piocha une pièce d'argent qu'il déposa sur le bureau du petit homme qui s'en empara aussitôt avec avidité.

- "Merci beaucoup Capitaine ! Votre générosité n'a d'égale que votre splendeur !" Remercia-t-il alors que le pirate au manteau rouge s'éclipsait déjà dans le brouhaha du port...



TTR.

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