Les apparences...
yaz
Concours le polar aux trousses
Synopsis
Une jeune fille a été retrouvée morte dans un paisible village de campagne. Son corps repose dans la maison du bourgmestre. L’enquête est menée par un inspecteur bourru, au physique disgracieux mais doté d’une étonnante perspicacité et par son assistant fraîchement nommé. Petit à petit, ces deux hommes que tout oppose vont lier connaissance et apprendre à travailler ensemble, si ce n’est à s’apprécier.
L’enquête se déroule à notre époque dans un petit village perdu au milieu des campagnes. Pourtant, les mentalités des habitants n’ont pas l’air d’avoir suivi les progrès technologiques. Ils sont nombreux à avoir des idées préconçues sur la place des femmes dans la société, l’homosexualité ou encore l’immigration.
L’installation dans le village d’une famille étrangère y a d’ailleurs créé de vifs remous.
Au cours de l’histoire, nous allons découvrir que l’intolérance dont font preuve les villageois face à ce qui trouble leur vision étriquée du monde n’est pas le véritable mobile du meurtre mais le catalyseur : le meurtrier a agit pour sauver les apparences, pour conserver sa position sociale et ne pas faire lui-même les frais d’un lynchage en place publique.
L’autopsie du corps révèlera que la jeune fille n’est pas morte d’un coup de couteau mais par empoisonnement, le coup porté n’ayant pas entraîné la mort immédiate de la victime. D’abord menée sous l’angle d’un crime passionnel, l’enquête est rapidement réorientée.
La maison du bourgmestre ne semble pas non plus être le véritable lieu du crime. Le corps a vraisemblablement été transporté là où on l’a retrouvé.
La colère des villageois se dirige presque naturellement contre les étrangers, qui sont victimes d’humiliation et d’attaques de plus en violentes, d’autant plus absurdes qu’ils sont innocents.
L’enquête se révèle difficile pour l’inspecteur car dans ce village d’apparence si parfait nombreuses sont les personnes à en avoir gros sur la conscience.
Après la jeune fille, c’est le curé de la paroisse qui est retrouvé mort, pendu. Ce suicide en est-il vraiment un ou s’agit-il cette fois encore d’un meurtre ? Si tel est le cas, est-il lié au premier ? Les policiers devront mener de front les deux enquêtes.
NB : je ne fais pas figurer ici le contenu intégral du synopsis. En effet, dans le cas où cette histoire vous plairait (sait-on jamais…) je m’en voudrais de gâcher votre plaisir en vous dévoilant le cœur de l’intrigue.
Récit
Chapitre I
Les curieux se rassemblaient déjà autour de la minuscule place des Déportés, provoquant des ralentissements sur l’unique grand route du village. En ce début de matinée, les gens se rendaient au travail. Certains klaxonnaient pour faire circuler les piétons et poursuivaient leur chemin. Mais d’autres, plus nombreux, ralentissaient et interpellaient leurs parents, leurs amis, leurs voisins ou n’importe quelle connaissance parmi les badauds juste pour savoir ce qui se passait. La perspective d’un bon potin à raconter l’emportait sur celle d’arriver en retard au travail.
On avait retrouvé un corps dans la maison du bourgmestre. Officiellement, la victime de la place des Déportés n’avait pas été identifiée. Les seules informations dont on disposait à cette heure étaient qu’il s’agissait d’une femme blanche d’environ vingt ans, tuée d’un coup de couteau. À part ça, rien n’avait filtré. La police avait su tenir sa langue… ou peut-être n’en savait-elle elle-même pas davantage.
Une voiture noire s’arrêta soudain en bordure de la place et trois hommes vêtus de longs imperméables – des inspecteurs sans doute – fendirent le flot des curieux afin de gagner le perron de la maison. Une fois rendus, l’un des inspecteurs se pencha et adressa quelques mots au planton de service devant l’entrée. Ce dernier pivota afin de leur livrer passage et tous trois disparurent dans l’obscurité de la maison.
Les curieux en poste sur la place s’animèrent. Un homme d’une cinquantaine d’année lança : « hé mais c’est le gros Langlois ! Le plus gros des trois. Vous avez vu ?
- tu es sûr ?
- Sûr et certain. J’étais à l’école avec lui. Je le connais bien.
- Vous avez vu comme il a grossi ? Je ne l’aurai pas reconnu.
- Peut-être que sa femme est partie...
- Moi je me suis laissée dire qu’il était devenu alcoolique.
- Vu sa dégaine, ça ne m’étonnerait pas.
- Oh, il n’a jamais craché sur un petit verre, déjà quand il était ici… Vous vous souvenez de la fois où il s’est endormi à l’église, le nez dans le décolleté de sa belle-mère ? ».
Ils éclatèrent de rire. L’un d’eux, tout particulièrement, qui se tenait les côtes en rigolant pendant que le premier poursuivait :
- il avait fermé le café à peine une demi heure auparavant et... arrête de rire comme ça, Jul’, tu étais avec lui.
L’autre pleurait de rire à présent.
- Oui, c’est vrai. Je me souviens que cette fois-là il…»
La conversation avait tourné court. L’intéressé sortait du bâtiment, toujours flanqué de ses deux acolytes. Son visage épais était crispé, ses sourcils froncés en un plissement de mauvaise augure. Cette affaire l’embarrassait. Dans le petit village de B., il ne se passait jamais rien. Les seules contraventions dressées par la police locale concernaient les excès de vitesse ou le dépôt illégal d’immondices. Alors, un cadavre dans la maison du bourgmestre ! Il y avait là de quoi alimenter les commérages pendant six mois au moins. Le problème était que ces commérages ne facilitaient pas l’enquête. Pas de témoin, et pourtant tout le monde avait quelque chose à dire.
Langlois et ses collègues marchèrent jusqu’à la voiture et, après de rapides poignées de mains, les deux plus jeunes inspecteurs reprirent la route. Le gros resta là, planté au milieu de la chaussée, perdu dans ses pensées. Il regardait la foule amassée devant lui mais il ne semblait pas la voir. Il fouilla dans ses poches et en sortit un paquet de chewing gums mentholés. Une voiture passa en trombe, klaxonna férocement et le frôla de près. L’inspecteur n’avait même pas eu le temps de bouger une semelle que déjà le conducteur s’éloignait, les doigts passés par la fenêtre en un geste évocateur.
Ce furent les éclats de rire des curieux sur la place qui tirèrent Langlois de sa rêverie : « Tu l’as échappée belle, Théo ! ».
En reconnaissant la voix qui l’interpellait de la sorte, l’inspecteur sentit ses lèvres s’étirer en un lent, très lent sourire. Enfin il se détendit ; il était chez lui.
Chapitre II
Au premier regard, Théodore Langlois n’était pas le genre d’homme à marquer quiconque croisait sa route. Certes, il avait son petit succès auprès des dames car il était grand, bien bâti et la plupart du temps habillé avec goût, mais l’âge lui jouait des tours : en approchant de la cinquantaine, son corps s’était peu à peu enveloppé d’une couche de graisse plutôt malvenue dans son métier et qui provoquait l’hilarité de ses plus jeunes collègues lorsque, pour des raisons officielles, il devait laisser tomber ses trois pièces sur mesure au profit de l’uniforme règlementaire.
L’inspecteur principal Langlois, puisque tel était son titre, ne se souciait guère de ces moqueries. Il les assimilait à une certaine forme d’envie, voire de jalousie de la part de personnages peu évolués pour qui l’uniforme n’était qu’un prétexte pour rouler des mécaniques. L’idée de s’offusquer de leur attitude ne lui venait même pas à l’esprit : « il faut bien que jeunesse se passe, disait-il à qui voulait l’entendre. »
Langlois était né à B. et il avait été plongé très jeune dans l’univers de l’ordre et de la loi. Son père, garde-champêtre du village, avait une haute opinion de son métier. Il avait inculqué à ses enfants une vision très nette de l’autorité, son ceinturon prenant le relais de sa voix lorsque d’aventure ils n’obtempéraient pas assez vite. Adepte des quatre cent coups, le jeune Langlois avait pris sa part de raclées. Certains de ses camarades se demandaient souvent comment il arrivait encore à s’asseoir – et sans doute se le demandent-ils encore aujourd’hui…
Quoi qu’il en soit, cette éducation à la dure n’avait pas dégoûté le futur inspecteur. Son diplôme d’humanité en poche, il s’était inscrit au concours de la police et avait remporté l’épreuve avec succès. Cela reste à ce jour la plus grande fierté de son père… et la pire infamie aux yeux de ses complices d’autrefois. C’était pour cette raison qu’il avait demandé à être muté en ville. D’abord simple agent de la circulation, il avait peu à peu gravi les échelons et, au fil des enquêtes, s’était forgé une réputation de fin limier au sein de la profession. Seuls les villageois se risquaient encore à le prendre pour un imbécile. Certes, son attitude placide et son caractère réservé le faisaient souvent passer pour un crétin, sans parler de son embonpoint, qui parachevait le tableau, mais il suffisait de s’entretenir avec lui plus de deux minutes pour être lourdement détrompé. Sous ses aspects bovins, l’inspecteur principal Langlois était doté d’une intelligence remarquable et d’un esprit acéré.
Ce n’était pourtant pas pour ces raisons qu’on lui avait confié l’enquête sur « la victime de la Place des Déportés », dans un village qui ne relevait plus de sa juridiction. L’édile local – candidat officiel à la nomination de gouverneur de la Province – jouait au golf avec le commissaire divisionnaire lequel, souhaitant être agréable au potentiel gagnant des élections, lui avait promis de lui trouver l’homme de la situation. Et voilà pourquoi lui, Langlois, croyant avoir laissé derrière lui une époque peu glorieuse de sa vie, était de retour au bercail.
Chapitre III
Henri Lagarde, commissaire divisionnaire de la région, n’était pas homme à s’embarrasser d’états d’âme. De ceux de Langlois en particulier. S’ils se saluaient volontiers en présence de tiers, les deux hommes se détestaient cordialement. Ils se manifestaient une froide indifférence qui, à la rigueur, pouvait passer aux yeux de certains pour de la politesse. Ainsi, les apparences étaient sauves. Du reste, personne n’avait jamais su la raison de leur discorde, aucun des deux hommes n’y ayant jamais fait allusion.
À la seconde où il raccrocha le combiné, Lagarde appela Langlois et lui enjoignit de le retrouver dans le parking. L’aspirant inspecteur Régis, chauffeur et souffre- douleur favori du commissaire, était également de la partie. Le trajet jusqu’à B. leur prit dix minutes, durant lesquelles Lagarde mit Langlois au courant de ce qui se passait. Encore dix minutes, le temps d’un rapide coup d’œil à la victime – ainsi que d’une poignée de main déférente au bourgmestre – et le commissaire disparaissait, plantant l’inspecteur au milieu de la chaussée, devant tout ce que le village comptait de curieux désœuvrés.
Dire que l’inspecteur n’était pas très content de se retrouver là serait un doux euphémisme. Pourtant, lorsqu’il reconnu la voix de Julien Desrieux qui se moquait de lui après le passage de la voiture qui avait failli le renverser, toute la colère et la frustration qu’il ressentait s’évanouirent. Finalement, cela lui plaisait de pouvoir montrer à ses anciens concitoyens ce qu’il valait. S’ils s’attendaient à le voir agir en parfait péquenot, ils risquaient d’être gravement dépités.
Ainsi, c’est avec un sourire moqueur aux lèvres que l’inspecteur Langlois regagna le centre de la Place des Déportés pour s’arrêter face à l’homme qui l’intéressait.
« Julien Desrieux… ça me fait plaisir de te revoir. Qu’est-ce que tu deviens ? »
L’intéressé ouvrit les bras et fit un tour sur lui-même. Il avait l’air ravi.
« Bah, comme tu vois. Toujours le même. Mais tu peux m’appeler Jul’, tu sais.
- On verra ça une autre fois, si tu veux bien. Là, j’ai autre chose à faire ».
Son visage avait retrouvé tout son sérieux et c’est d’une voix forte qu’il s’adressa à la petite foule toujours amassée devant lui. Les bruits et les chuchotements se calmèrent aussitôt. « Mesdames et messieurs, je suis l’inspecteur principal Langlois. Un crime a été commis et la police a besoin de tranquillité pour travailler. Je vous demanderai donc de rentrer calmement chez vous. Un policier prendra note de vos noms et nous vous recontacterons au cours des prochains jours. Si vous avez été témoin de quelque chose de particulier s’étant déroulé ici ces derniers jours, signalez-le afin que nous puissions prendre votre déposition.».
En disant cela, il fit un geste de la main pour attirer à lui un jeune homme en uniforme qui se tenait au bas du perron, n’osant pas braver le garde en faction devant l’entrée de la maison. Le jeune hésita, tourna la tête de tous côtés, rougit jusqu’à la racine de ses cheveux, hésita encore et, lorsqu’il fut sûr que c’était bien à lui que s’adressait le chef, il avança, trébucha sur l’unique caillou présent dans la cour et approcha enfin.
Ce petit manège avait déjà eu raison de la patience de Langlois et du calme de la foule. Les ricanements se faisaient entendre de toute part. Aussi fut-ce d’un ton peu amène que l’inspecteur donna ses ordres au pauvre agent. Son visage était constellé de taches de rousseur et il avait l’air passablement effrayé, d’autant plus que les badauds ne faisaient aucun effort pour cacher le mépris qu’il leur inspirait.
« En voilà encore un qui ne fera pas long feu dans le métier, se dit l’inspecteur. » Puis, se reprochant presque immédiatement son attitude, il lui dit, sur un ton un rien plus doux, quoique légèrement condescendant : « c’est bon, vous avez compris ce que vous aviez à faire ? Je peux vous laisser ? ». L’autre acquiesça et Langlois le laissa là. Lorsque fusèrent les premiers quolibets à l’encontre du jeunot, l’inspecteur ne se retourna même pas. « Il faudra bien qu’il s’endurcisse. Et s’il n’y arrive pas, il ne lui restera plus qu’à aller pointer… ».
Chapitre IV
Pour la deuxième fois ce jour-là, Langlois entra dans la maison du bourgmestre. C’était une ancienne maison de maître, tout en pierre du pays. Elle était classée au patrimoine et faisait la fierté de la famille depuis plusieurs générations. L’inspecteur contempla les murs tendus de soie et les plafonds hauts. Tout ici respirait le luxe. Et pourtant… il était bien placé pour savoir qu’il s’y était passé des choses peu glorieuses.
Le hall, spacieux, était d’une propreté éclatante et sur le dallage de marbre blanc, le sang écarlate de la victime paraissait presque obscène. La morte était couchée sur le dos, les bras et les jambes repliés dans une position grotesque. Son sang formait sous elle une flaque ronde, trempant ses vêtements, souillant le sol ainsi que les pieds d’un miroir en bois précieux posé face à l’entrée. La victime semblait très jeune. Ses cheveux noirs étaient ramenés en un chignon serré sur sa nuque et, sans cette mare de sang et l’angle inquiétant que formaient ses membres, on aurait pu la croire endormie tant ses traits étaient paisibles.
Langlois contempla la scène quelques instants encore, notant machinalement certains détails. Quelque chose le chiffonnait et, avant de faire enlever le corps, il souhaitait en discuter avec Grégoire, le médecin légiste. Ce dernier venait d’arriver et était en train de donner des instructions à ses aides. Il n’avait pas encore eu le temps de se pencher sur le cadavre. La température augmentait rapidement et le corps commençait à exhaler un parfum douçâtre, l’odeur écœurante du sang et de la mort.
L’inspecteur salua Grégoire d’un signe de tête et, après un dernier regard à la victime, il reporta son attention sur les lieux. Les rayons de soleil se multipliaient et bientôt la maison serait entièrement inondée de lumière. Il traversa le hall et entra dans une pièce à sa droite. L’atmosphère y était confinée, comme si les fenêtres n’avaient plus été ouvertes depuis un certain temps. Il pensait entrer dans un salon mais il ne s’agissait que d’un ancien cabinet de toilette réaménagé en remise. Il referma précautionneusement la porte et sortit à reculons, espérant que son erreur passerait inaperçue. C’est alors qu’il heurta quelque chose de grand et de mou. La première idée qui lui vint à l’esprit était qu’il venait d’entrer en contact avec une toile de tente noire, placée là par l’équipe du légiste afin de cacher le corps à la vue des curieux. Lorsqu’enfin il se retourna, il était nez à nez – ou plutôt nez à poitrine – avec l’immense majordome de la famille. Langlois fit aussitôt un bond en arrière et il lui fallut quelques secondes afin de se ressaisir. Lui qui voulait éviter de passer pour un abruti, c’était réussi.
Le regard du géant était insondable et lorsqu’il prit la parole, professionnel jusqu’au bout des ongles, rien dans sa voix ne trahissait la moindre moquerie : « Monsieur souhaiterait vous parler, inspecteur. Si vous voulez bien me suivre. ». En le suivant dans le salon (il ne s’était pas trompé de peu, c’était la pièce juste à côté) Langlois n’était pas dupe : il connaissait le personnage et il savait qu’aussitôt sa journée finie, il se précipiterait au café pour raconter tout ce dont il avait été témoin aujourd’hui. Et ce qu’il ne savait pas, il l’inventerait, c’était toujours mieux que de n’avoir rien à dire.