Les autres.
Daniel Macaud
synopsis: année 2298. Soulèvement dit "de Gobin". Depuis quelques mois, des manifestants prétendent pouvoir mettre le monde à feu et à sang, sous pretexte de souhaiter plus de liberté. Ces ennemis d'état font le jeu des renégats mutants, qui, depuis l'extérieur, souhaite détruire l'humanité. La marine supérieure a été dépechée sur place pour mater la révolte, et déporter les survivants vers Bolenda. Voici le récit de ceux qui ont vécu ce passage oublié de nos mémoires numériques.
Cours, ne t'arrêtes pas ! Surtout, ne regarde pas en arrière, de toutes façons, il est déjà mort.
J’ai beau me répéter ces mots, je me sens totalement perdu, je ne sais pas où je suis, et je ne sais pas où je vais, je voudrais revenir en arrière, allez voir Grek, voir comment il va, peut-être simplement pleurer sur son cadavre, mais je ne peux pas. Mes jambes m’emportent loin de la zone, loin des tirs de fusils. Loin des meurtriers.
Cours. Surtout, ne t’arretes pas.
Les mots cognent dans mon esprits, dans ma tête, dans ma peur et mes tripes. Ils ont osé ouvrir le feu. Ils ont tiré. On s’est fait canarder... Comme de vulgaires mutants. Bordel, on est des humains, on veux juste vivre comme des humains, et pas comme des esclaves !
Cours, surtout ne te retourne pas.
Derrière moi, j’entends encore les hurlements de terreur de mes compagnons d’infortune, les tirs et il me semblent, le bruit des balles déchirant les chairs. Mon coeur s’affole, je m’arrête enfin. Autour de moi, d’un seul coup, c’est le silence. Les militaires doivent s’en donner à coeur joie. Eux, ils s’en foutent, ils ont du crédit eux ! Nous on a quoi ? Bolenda.
Attention, ne reste pas là, ils pourraient te choper.
Je reprend ma route. Histoire de donner le change, je me mets à marcher, tranquillement, enfin j'espère que je donne cette impression. parce que je ne veux pas être dénoncer. De nos jours, on peut se faire arrêter sur simple dénonciation, et on peut dénoncer sur simple présomption. un regard de travers, un air qui convient pas, et vous finissez au poste. Pour peu que vous ne soyez pas à jour de vos chiffres, vous finissez à Bolenda, aussi sec.
Ne regarde personne, avance. Ne reste pas là.
Bolenda. Le no man’s land des refusés. Je ne veux pas devenir un refusé. Je suis libre moi, je suis né libre bordel ! Et j’ai toujours consommé, toujours, mon taux d’endettement est dans les prévisions, mes chiffres de consommations sont bons. Je n’ai aucune raison de craindre une déportation. Et si O-Com m’a racheté il y a six mois, c’est bien parce que je suis un bon employé, un bon élément non ? Alors pourquoi imposer encore des quotas de dénonciations ? Pourquoi mettre la pression comme ça ? Ces fils de...
Cours ! Ils t’ont vu !
Les cris derrière moi sont sans équivoques. Ces salauds m’ont vu. Ils savent que j’étais dans la manifestation contre la loi des quotas de dénonciations. Maintenant, ils ont le choix. Soit ils me tirent comme un lapin, soit il me choppent et m'envoient à Bolenda. Ils ne m’auront pas aussi facilement, ça non, puisque je n’ai pas le choix, je vais me battre. La colère monte en moi. Cette espèce d’instinct de survie qui vous prend au tripes quand vous êtes sur le point de crever. Ils veulent tuer ? Ces monstres ne font qu’obéir aux ordres des gouvernements. Les gouvernements qui obéissent aux multinationales et aux surmultinationales. Tout cela est lié, je le sais, nous le savons tous. On se tait tous, sinon c’est la surface, et les mutants, et la mort. Mais là... Je suis déjà mort si je ne me bats pas.
Cours, sauve ta peau, cours...
Ils ont tué Grek. Ils ont tiré sur la foule qui manifestait. La place du Cardinal Sarkozy doit être pleine de sang. Ils vont tous nous tuer. Nous virer dehors, où nous envoyer sur Pégase, avec tous ces fumiers de mutants ! Hors de questions. Je me battrais, ça oui je vais me...
Fallait courir, je le savais... Et merde...
Ce gosse a quoi... vingt ans. Quelle petite ordure, oser ainsi se lever contre l’ordre établi. C’est à cause de petits merdeux comme lui qu’on en arrive à mettre en place des lois sévères. Si tout le monde obéissait, ce serait plus simple. Tant pis pour sa gueule.
Cours, vas-y, cours, ça ne sers à rien...
Il vient de tomber. Une seule balle, et tous ses rêves de révoltes et de destruction viennent de tomber net. J’ai fait mon taf. Je serais bien récompensé. Ca oui. On va les mater ces petites ordures qui veulent foutre le bordel dans ce pays. Je vais tous les mater.
Allez-y, courez, je vous aurais tous. Courez, que je m’amuse un peu.
Etre sniper, c’est facile dans le fond. on est là, à l’affut. On trace sa cible, facile, avec les puces épidermiques aujourd’hui. On trouve sa cible, et on attend. Pas de violence inutile. Une seule balle, en pleine tête, et fin du problème. Je serais bien récompensé. Je ne sais même pas qui était ce mioche, pas grave, on s'en fout, j'ai pas d'enfants...