Les boules Quies

Camille Agard

Les boules Quies permettent, non pas de ne plus rien entendre, mais d'entendre ce que l'on entend jamais et que l'on a de plus proche.

Pour des raisons d'hygiène, je m'intéresse davantage aux boules Quies neuves -les boules Quies usagées ne me donnant jamais la même satisfaction. C'est justement la question de l'usage qui rebute. Pourtant, il y a dans la finalité des boules Quies, un monde à soi, un milieu sourd qui nous renvoie probablement au ventre maternel. Les boules Quies permettent, non pas de ne plus rien entendre, mais d'entendre ce que l'on entend jamais et que l'on a de plus proche. Le ronronnement du souffle, le va-et-vient des veines chaudes, la salive qui s'affaire dans les dents et le cou. Les boules Quies déploient un univers automatique dont on est le créateur, et que l'on connait cependant moins bien que la sonnerie de son téléphone. Elles génèrent une expérience auditive sensationnelle, alors que ce sont deux minuscules montagnes de mousse. Parfois, c'est si simple de vivre une expérience sensationnelle. Il suffit de déplacer des montagnes, jusqu'à ses oreilles.

Mon attachement aux boules Quies ne provient pas seulement du cocon sonore qu'elles savent créer. Elles ont aussi, sans le vouloir, une allure conviviale. Elles sont deux. Ca me donne l'impression qu'elles cohabitent bien ensemble et qu'elles ne seront pas gênées de sentir mes yeux intéressés qui sourient tout près d'elles. Elles semblent heureuses. Comme un vieux couple qui a trouvé son train de vie, facile, fluide, sans heurts. Elles sont disponibles. Je ne les utilise jamais, mais j'aime les avoir à côté, juste là, en pensant qu'elles ont raison de proposer ce service, parce que souvent la vie fait bien trop de bruit extérieur. Elles sont fluorescentes. Des points vifs et négligeables dans la pièce, qui ne fanent pas et appellent les regards. Ca a l'air dynamique, comme ça, les boules Quies. Mais quand je les presse sous mes doigts, j'ai le sentiment de les sortir d'un sommeil douloureux. Si elles pouvaient s'exprimer, elles soupireraient. Nonchalamment, elles retrouvent leur ogive indestructible. Je leur demande ensuite pardon. Combien de fois ont-elles été pincées sans états d'âmes? D'ailleurs, je préfère leur forme moelleuse et statique, à la déformation stupide que je leur fais subir. Je dirais même que cette forme a quelque chose d'universel. De basique. De commun. De semblable. Et de si beau : une courbe longue au pied plat. Les lignes qui font naître le monde. Les fourmilières, les fusées, les amarres, les ponchos, les phalanges, et renversées elles donnent encore des tornades, des vases, des mines de crayons et des puits.

Quand je ne sais plus comment vivre, je pense aux boules Quies. A leur stabilité amicale et à leur flexible lenteur. Je les imite, et inévitablement je sais où aller.

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