Les bretelles
le-fox
Un jour, la mort viendra me saisir par les bretelles. Ce sera un matin. Il y a des matins, comme ça, où l'on ferait mieux de ne pas mettre de bretelles. Mais je suis pauvre, et j'ai maigri, alors mes pantalons sont tous trop larges. De toute façon, la mort a plus d'un tour dans sa faux, depuis le temps. Elle trouverait un subterfuge, le port ou le non-port de bretelles ne devrait pas la gêner outre mesure. Elle me ceinturerait, voilà tout.
En revanche, il me faudra porter des bretelles solides. Si elles cassent, je risque de souffrir horriblement. J'ai peur de souffrir horriblement. Pour définir l'adverbe horriblement, le Larousse donne pour exemple : horriblement cher. Or, je suis pauvre, je le répète. Il n'est donc pas dans mes moyens de souffrir horriblement, d'autant que l'achat d'une paire de bretelles neuve est certes un investissement, mais raisonnable. Beaucoup plus raisonnable que celui d'une nouvelle série de pantalons, à ma taille.
Je pourrais grossir. Les gens qui se nourrissent mal grossissent, paraît-il, d'après les articles des journaux féminins. Je me nourris fort mal, je le sais parce que je l'ai lu dans les magazines usagés que le coiffeur, un ami, me prête. Du pain, des féculents, des matières grasses saturées. Le nombre de choses malsaines qui transitent par mon organisme est effrayant. Normalement, mon pèse-personne devrait pousser des couinements aigus à ma seule vue. Il est vrai que ces régimes doivent être étudiés pour les gens qui mangent tous les jours, ce qui est loin d'être mon cas.
Je pense choisir ces bretelles neuves d'une teinte sobre, comme le noir ou le violet. Il y a aussi le bleu marine, j'ai lu quelque part que Brummel portait des gilets bleu marine avec ses redingotes noires, et qu'il est mort sans manger grand chose non plus. Cela dit, le bleu marine pourrait paraître un peu fantaisiste. J'hésite.
Emplettes faites, je songerai à Dieu. Peut-être même irai-je à la messe, pour me tenir un peu au courant de ce qui se fait. Dieu porte-t-Il des bretelles ? Si oui, nous aurons déjà un sujet de conversation. Bien que pour l'éternité, cela risque de faire un peu court.
Lol ! Si Dieu était plus souvent à la messe il y aurait moins d'affamés...
· Il y a environ 13 ans ·Edwige Devillebichot
Wow, ça c'est subtil et bien dans le ton. J'aime beaucoup ton style de pensée d'abord et d'écriture. Je suis ressorti ému de ton texte..Je laisse la fenêtre ouverte encore un peu. Histoire d'en profiter jusqu'au bout.
· Il y a environ 13 ans ·Isabelle Revenu