Les chicots de la belle-mère

petisaintleu

Edith Teraste avait les dents longues. C'est qu'elle ne machait pas ses mots malgré sa diction qui pouvait laisser croire qu'elle parlait une sorte d'espéranto borborygmique. L'été, elle vendait des chouchous et des beignets sur la plage de Malo-les-Bains. Tout le monde la connaissait par ses initiales, E.T.

Ce matin-là, L'extra Teraste ne fut pas à la fête. Pourtant habillée de sa robe couleur pourpre, sa préférée et son porte-bonheur, elle se fit alpaguer dès potron-minet par deux individus qui lui dérobèrent des friandises et se sauvèrent en criant « Arrête-nous si tu peux ». La rencontre avec le troisième type ne fut guère plus avenante. Ce gros baratineur lui conta d'hallucinates histoires fantastiques, tout ça pour finalement lui quémander un euro. Ce pauvre gars prénommé Ryan, elle le connaissait. La chose dont elle était certaine, c'est qu'il vivait dans une sorte de quatrième dimension. Il était accro aux substances illicites. Cet aventurier du hash, perdu dans les paradis artificiels, se trouvait souvent confronté à des hallucinations. Un jour, on l'avait retrouvé courant nu sur le rivage dunkerquois où il y avait fait un crochet de ouf.  Monté sur un balai étique en guise de cheval de guerre, Il provoqua en duel un pauvre touriste allemand de Munich. Nous n'étions plus en 1941. Il en fut quitte pour une nuit au poste.

Il serait fastidieux de dresser une liste des mille et des cents turpitudes de ce pauvre garçon qui ne lui rapportèrent pas un radis. À sa décharge il n'avait pas eu une jeunesse facile. Élevé dans un ghetto de banlieue, il avait surnagé dans un monde perdu peuplé de dinosaures et de requins. La guerre des mondes était quotidienne au pied des tours délabrées pour le contrôle des trafics. Pas assez fort pour devenir un caïd, il n'avait pas eu l'opportunité de se créer une escouade de frères d'armes qui lui eut permis de prendre le contrôle et de régner sur ce temple maudit.  Il lui fut plus aisé de passer de l'autre côté, celui des consommateurs, et de se reporter, minoré de la perte de toute réalité, vers les shoots ou les soufflettes.

Sa dernière croisade, il l'avait connue avec son ami Tintin. C'était un petit génie de l'intelligence artificielle. Il s'était mis en tête de percer le secret de la licorne et d'atteindre le milliard de dollars de valorisation. Ils se lancèrent dans le rap et la vente de produits dérivés sur internet. Ils s'improvisèrent impresario de Grant Corps Malhabile, un bon gros géant qui tentait de recueillir dans sa prose maladroite les rêves de sa petite amie Sophie. Ils écumèrent les salles de concerts des villes paumées au volant d'une Lincoln Continental défoncée comme eux. Ils firent les gros titres et cinq ans de prison. Un soir de désœuvrement à Dijon, ils kidnappèrent Edgardo Moutarda.

Edith eut pitié de lui et elle le prit sous son aile. Derrière son air renfrogné, elle avait bon cœur. Si elle ne souriait jamais, c'était par pudeur pour masquer ses dents cariées. Elle préférait donc rire dans ses moustaches. Elle l'accueillit dans sa petite bicoque du quartier du Pont des espions.

La génétique est pleine de mystère. Comment expliquer la beauté parfaite de sa fille Nathalie, reflet des plus beaux portraits des peintres flamands ? Du jour au lendemain, Ryan se métamorphosa, subjugué par la beauté de la calaisienne. Enchaîné tel un bourgeois à ses charmes, il se transforma en bon petit soldat. Il fut sauvé de l'emprise de la drogue après avoir entrepris une cure de désintoxication.

À ce jour, Ryan est en rédemption. Les règles du jeu ont changé. Il a trouvé un emploi de vigile au terminal du port où il sert épisodiquement de balance pour les douaniers. Pour remercier sa marâtre de l'avoir sorti d'une mauvaise passe, il lui masse tous les soirs les gencives avec de la jouvence de l'Abbé Soury.

Elle n'hésite plus désormais à se gausser avec les touristes. Ses affaires tournent à plein régime pour enfin réaliser la chose qui lui tient à cœur : migrer vers les cieux azuréens chaussée d'un dentier. Elle a même abandonné sa tenue amarante au profit d'une toilette citron.

  • Bravo ! Réussir à marier Spielberg et Hergé, avec une pointe de phytothérapie ecclésiastique, fallait oser !
    Et le résultat n'est pas amer, mais plutôt rieux.

    · Il y a plus de 3 ans ·
    20180820 215246

    caza

  • Avoir les dents longues n’empêche de réciter : « Les fossettes de l’achi dusiecle vont rèches, archibêches. » Mais, je sais, on ne comprend rien. :o))

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

  • Qu'il est grand, qu'il est doué, qu'il est fort le Petisaintleu à ses heures perdues :) n'en jetez plus la cour est pleine :) Trêve de plaisanterie, il fallait quand même le faire ! Glisser autant de titres de films du grand Spielberg et en faire un texte à la fois drôle, tendre et cohérent ! Chapeau bas Monsieur l'artiste !

    · Il y a plus de 3 ans ·
    W

    marielesmots

    • Tu es trop forte d'avoir trouvé les références à Spielberg ! Sinon, tu aimes bien la photo de mon beau-frère Marcel ?

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

    • :)

      · Il y a plus de 3 ans ·
      W

      marielesmots

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