Les cyprès

Aujourd'hui on est allé déjeuner chez le méchant de la famille, mon oncle Giovanni. Je ne l'aime pas malgré ses sourires qui se veulent joviaux. C'est un des frères de mon père. Il y a eu une histoire d'héritage entre eux, mon père qui se trouvait en France a été le grand perdant, paraît que les absents ont toujours tort, c'est très vrai dans ce cas-là. On a beaucoup souffert, normalement nous les enfants n'aurions pas dû être au courant, mais les choses se sont passées autrement. Seul le petit dernier a été épargné étant donné son jeune âge. Mon père n'a pas vu son frère pendant cinq ans environ, il en souffrait trop, ils ont fait la paix quand il a reçu un faire-part de mariage de l'oncle Giovanni qui mariait sa fille aînée. ça tombait en août, on y est allé, on ne savait pas sur quel pied danser. La situation était tellement délicate. On a été accueilli comme des rois, comme si de rien n'était. Comment l'oncle Giovanni a-t-il pu trahir son frère? Bref! Pour nous les enfants, c'était les vacances, on était gentil avec nous, on a même eu des cadeaux, moi j'avais eu un beau bracelet en or, les bijoux là-bas c'est toute une institution. Moi qui étais la plus grande (j'avais douze ans à l'époque) j'étais la plus silencieuse, c'est le seul moyen que j'avais trouvé pour réagir face à cette énorme injustice. Avec le temps les choses se sont un peu calmées, mais je garde envers mon oncle Giovanni, de l'animosité qui me ronge à l'intérieur. C'est dommage car sa femme est très gentille, ses enfants également. Les deux derniers apprennent le français au collège, pour rompre la glace à mon égard ils m'ont un peu parlé en français, ma deuxième langue en fait, la première étant le napolitain. ça m'a fait sourire, par politesse je leur ai dis qu'ils parlaient bien la langue de Molière, c'est comme ça qu'ils m'ont eue. J'ai même porté le bracelet qu'on m'avait offert, par politesse toujours. Il était beau mais bon...

Le repas chez mon oncle était un peu tendu, j'aimerais qu'ils se parlent franchement mais ils l'ont peut-être fait, je ne sais pas tout. Cela dit ce que je sais, c'est de trop.