Les doigts qui collent et la langue pendante (Sticky Fingers, avril 1971)

Romain Veys

Œuvre considérée comme incontournable dans la discographie des pierres qui roulent, Sticky Fingers l’est surtout dans leur histoire. Une pièce maîtresse, certes, mais avant tout une pierre angulaire, ni plus ni moins que la clé de voûte du succès de la paire Jagger/Richards.

Fin soixante-neuf, les Stones se retrouvent à un tournant de leur histoire. Brian Jones n’est plus, Mick Taylor débarque. Si le fantasque blondinet n’était déjà plus que l’ombre de lui-même depuis des mois, l’apport musical de Taylor à la slide et la totale liberté créative laissée désormais au tandem de Dartford feront de Sticky Fingers l’un des albums majeurs de l’histoire du rock. Premier album autoproduit et où apparaît le génial autant que célèbre logo à la langue, il participe activement au mythe rollingstonien.

A commencer par sa pochette ! L’album à la banane de la bande à Reed a peut-être marqué durablement la bande à Jagger, mais nul doute que la couverture de Sticky n’a rien à lui envier ! Le paquet de l’acteur gay Joe Dallesandro immortalisé par l’objectif de Warhol est tout aussi monumental que les dix morceaux qui composent le disque.

Phénoménales aussi, les nombreuses anecdotes qui entourent la création de l’album, comme la fameuse session de décembre 69 au Muscle Shoals Sound Studio, à Sheffield, Alabama, lorsque les pierres surchauffées par le triomphe de leur tournée américaine déboulent dans cette petite bourgade paumée au milieu du sable et décident d’enregistrer en douce trois pépites : « Brown Sugar », « Wild Horses » et « You Gotta Move ».

Si la première assouvit la soif de riffs ravageurs des fans, à ceci près que pour une fois c’est à Jagger qu’on le doit, la seconde est une ode à la nouvelle lubie de Richards et des autres. Déjà présente de façon épisodique quasi parodique, la country semble désormais un nouveau territoire à conquérir pour les Rolling Stones, avec la bénédiction des potes ricains à Keith : Gram Parsons, Sam Dickinson ou encore Bobby Keys. Et si au départ c’est une chanson écrite par Keith pour Marlon, son gamin âgé de 2 mois à peine, c’est finalement de Marianne Faithfull dont parlera subrepticement « Wild Horses », une fois le texte revu et corrigé par Mick. Quant à la troisième, magistralement bluesy, il offre une profonde inspiration prise dans le Delta du Mississipi où le soleil brûlant beigne les champs de cotons de l’Amérique ségrégationniste.

Passant en revue toutes leurs influences du moment, le reste des compositions alterne entre rock (« Sway » et « Moonlight Mile », composées par Taylor, « Can’t You Hear Me Knocking » et « Bitch »), country (« Dead Flowers ») et blues (« I Got the Blues »). L’autre grand standard de l’album, « Sister Morphine », fut mis en boîte lors d’une session d’enregistrement de l’album précédent, Let it Bleed. Titre évocateur, il expose sans détour les problèmes de drogues de Faithfull et Richards.

Sticky Fingers sort en avril 71 et demeure quarante ans après l’un des plus grands classiques de l’histoire du rock.

  • Salut Romain,

    Merci pour tes remarques utiles et pour tes compliments tout à fait bienvenus. C'est gentil en tout cas et j'apprecie sincérement ton commentaire étant donné la qualité très élevé de ton texte et le bon gout de ton pedigree. On voit que tu sais précisemment de quoi tu parles et ça fait plaisir. Ta chronique est fluide et très agréable à lire et de plus, trés informée. Au plaisir d'échanger à nouveau avec toi.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Photo shunrize

    Gilles Rolland

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