Les gens de la mer -21-

aile68

Véronique a attrapé la grippe en sortant de la pizzeria samedi soir. Elle profite de son dimanche pour se soigner mais c'est sûr elle va louper trois jours de lycée sans parler du théâtre. Elle ne demandera pas les cours à ses copines. C'est peut-être l'occasion de se rapprocher de Valérie si elle ne l'envoie pas balader. Bien agréable cette sensation d'avoir la tête dans du coton...Elle reste bien au chaud dans son pull d'hiver, impossible d'apprendre son rôle à cause de la migraine. Le professeur va râler comme d'habitude. Calfeutrée dans sa chambre, elle regarde le plafond blanc, pourvu qu'il ne neige pas. Nous sommes à trois semaines de Noël. Elle ne travaillera pas pendant les vacances, il y aura trop de monde à la pizzeria et elle ne doit pas retomber malade. La journée est longue, elle a fait la sieste enveloppée dans son doux coton et sa couette. Elle a la gorge sèche, envie de boire un thé bien chaud à la mûre. Personne dans la maison, elle écoute le silence profond, elle a envie de se lever. Un petit mot dans la cuisine: "Nous sommes chez Tatie Manue. Papa travaille ce soir." Seule, elle est absolument seule. Elle n'appelle pas pour avertir qu'elle sera absente au lycée, elle pense qu'elle n'a même pas le numéro de Régis. L'aurait-elle appelé? Mystère et boule de gomme! Dehors personne non plus. Il fait trop froid et gris, un vrai temps de novembre. A la télé que des bêtises. Elle retourne dans sa chambre compter sa fortune. Les utiliser pour acheter des cadeaux  ou pour son grand projet à Paris? Pour son projet à Paris. C'est mieux. De toute façon les cadeaux c'est pour les enfants. Chaque pièce, chaque centime compte. Payer le billet de train et l'hôtel une étoile, la nourriture, trouver un petit travail, ces comptes-là, Véronique les a fait des dizaines de fois. C'est compter sans son argent à la banque. Chaque mois elle consulte son relevé de compte avec soin. Elle aimerait faire du baby-sitting pendant les vacances de Noël. Une fois remise, elle mettra des annonces dans les petits commerces de son quartier, on sait jamais. Quand elle va faire les courses elle regarde les caissières avec envie, elle aimerait être à leur place au moins deux jours par semaine, gagner de l'argent, elle ne pense qu'à ça. Et si elle postulait pour les vacances d'été? Oui elle fera ça. Partir à Paris avec le plus d'argent possible. Parfois son esprit s'emballe, elle ne sait comment avancer plus vite, comment accélérer les choses. Si au moins elle avait une copine avec qui partir! Elle est toute seule comme dans ce grand appartement en ce moment. Les autres ne vont pas tarder à arriver. Il faut bien qu'un jour ou l'autre elle en parle à sa mère. Ses parents ont vécu dans la capitale il y a vingt ans. Ils ont peut-être gardé des contacts là-bas, comme ça elle économisera sur l'hôtel, elle a envie de pleurer, elle n'y arrivera jamais.

(à suivre)

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