Les maisons des vieux

Camille Agard

Les maisons des vieux se perdent lentement, s'attachant à leurs âmes qui s'éloignent.

Les maisons des vieux se perdent lentement, s'attachant à leurs âmes qui s'éloignent. Comme leurs propriétaires, les objets y patientent entre l'abandon et l'utile. L'arrosoir, le balai et la télécommande n'ont de place que dans cet espace latent que savent créer les vieux. Une non-zone qui leur est accessible.

 

Les maisons des vieux ne font plus les 35 heures. Elles s'animent sous les étoiles le soir en fantômes mélancoliques et font de longues siestes le reste du temps. Seul le poulet rôti du dimanche rappelle à la vie ses habitants, comblant ses silences par des cris de marmaille momentanée. Et puis, elles se couchent à nouveau.

 

La cuisine attire les mouches et colle aux mains. Les chambres appartiennent aux invités qui ne passent plus. Elles leur lancent un souffle froid, une lueur fragile, une porcelaine morte. La salle d'eau asséchée exhibe les ustensiles confortables qui facilitent la vieillesse. Les portes, dans tout ça, claquent en silence. Les couloirs noircissent et s'allongent. L'horloge se balance.

 

Les maisons des vieux ont un corps qui s'achève. Leurs os de bois et de béton craquent la nuit et effraient les premiers âges. Leurs rides sont des fissures qui dévisagent les murs en suggérant leurs beautés d'antan. Les cheveux blanchis des demeures sont ces lierres morts qui dégarnissent le toit. Elles portent des bracelets en caoutchouc morcelé. Elles accueillent des arbres devenus trop grands pour grandir encore. Les fleurs se décoiffent. L'électronique est en panne. Les gonds manquent d'huile et les bibliothèques éternuent leur poussière. Il y a des jeux qui n'amusent plus et des vinyles qui ne chantent plus. L'horloge respire.

 

La modernité qui pénètre les maisons des vieux est vétuste alors que les obsolescences déprogrammées racontent encore de jeunes histoires. Les maisons des vieux dotent les visiteurs d'une incapacité à dynamiser la vie qui s'y essouffle. Ils voient en elles des clichés éteints et des bonheurs absents. Ils y saisissent la fraîcheur de l'ancien venue calmement dévorer les habitudes soignées du couple. L'horloge s'essouffle.

 

Les maisons des vieux regrettent chaque jour le temps de leur éclat où le monde tournait rond. Elles se plaignent des guerres que leurs télés inondent. Elles se plaignent des villes qui ont su persévérer sans elles. Elles se plaignent une fois de trop pour insulter la jeunesse qui prendra le flambeau et enfouira les souvenirs heureux dans un coin de jardin que l'on ne verra plus. L'horloge se tait.

 

C'est ainsi que meurent les maisons des vieux.

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