Les mémoires plou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 11eme Partie
Remi Campana
11. L’ESCROC ESCROQUE.
On dit souvent qu’une femme libérée, qui s’amuse à droite ou à gauche, est une gourgandine ;
au contraire j’honore son manque d’égoïsme : celle qui fait profiter plusieurs hommes de ses
vertus est pour moi l’égale de la Vierge Marie, j’en veux pour preuve cette histoire.
En ce début d’année mille-neuf-cent-quatre-vingts-neuf, le Mur de Berlin se préparait à
tomber, et le monde commençait à changer. Sous une saleté d’orage qui n’en finissait pas, je
réfléchissais, après avoir délesté notre petit vassal des grandes fortunes. Dupa et moi-même
avions décidé par prudence de nous séparer un petit moment. Il était reparti dans le sud, et
moi je stagnais dans la capitale. Comme beaucoup d’autres à l’époque, votre moricaud avait
atterri à Montparnasse. Le quartier respirait alors ses dernières heures de gloire, entre putes,
bohémiens et gens du peuple. Petit à petit, je me sentais bien dans ce village, et commençai à
me trouver de nouveaux repères.
Je vivais alors dans ma petite pension de famille, « Chez la mère Liliane », au sept rue du
Boel, la rue des juifs comme on l’appelait. Elle me semblait bien douillette ma mansarde,
terriblement chaude l’été et horriblement froide en hiver ; et on y vivait à douze, esquichés
comme dans une boîte a sardines. Outre la patronne, Madame Anastasie, une vieille fille à
moitié folle qui désirait me convertir au catéchisme, il y avait la douce Louison Parmentier,
une jolie mondaine d’un an à peine plus âgée que moi. Elle gagnait son pain comme modèle
pour des peintres et des messieurs en manque de souffle créateur.
L’Arabe amélioré que j’étais alors se trouvait choqué par l’émancipation de cette femme.
Quant à elle, elle se moquait gentiment de ma jalousie, revendiquant l’amour libre, batifolant
parfois avec moi, parfois avec un autre. De la Coupole à la Closerie des Lilas, je la suivais
comme un toutou en manque d’amour, en m’interrogeant sur la justesse de mon éducation.
Car son indépendance d’esprit me fascinait, et petit à petit, nous nous apprivoisâmes. Nous
nous acoquinâmes des journées entières à d’autres fainéants de notre espèce, tout en nous
laissant aller à des discussions passionnées et stériles sur les carcans de l’esthétisme et de
l’ordre établi.
Notre cheval de Troie se trouvait être ces boboïsants de gauche, dont les seuls ouvriers qu'ils
avaient jamais rencontrés se trouvaient dans «Germinal», c'est dire le trop plein de honte
qu’ils avaient à assumer leurs propres embourgeoisements. Pour avoir autant de haine, je
pense que Scarabée souffrait au plus profond de lui du déshonneur de ses ancêtres.
Tout commença avec l’arrière-grand-mère, une jeunette de la noblesse qui eut la maladresse
de se laisser compter fleurette par le métayer de la propriété, car malheureusement ses
gambettes frémissantes ne mirent pas longtemps à l’attendre. Trop accueillantes, elles
s’étaient entrouvertes suffisamment pour avoir le ballon rond, perdre une particule et gagner
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un nom bien moins savant. Quant au grand-père, en digne fils de sa mère, quand « mourir
pour Danzig » pointa son doigt, ce fou, malgré son âge, ne trouva pas mieux que de s’engager
pour des principes. Pourtant dès le début de la débandade, capturé, il fut envoyé une première
fois comme esclave dans des fermettes teutonnes.
Vous me direz qu’il n’était pas le plus mal loti : ces demoiselles en manque de main-d’oeuvre
l’aimaient bien, ce communiste travailleur. Malheureusement pour elles, très vite, il prit la
poudre d’escampette. Quand il fut rentré en France, ces messieurs de la justice, un brin zélés
et collaborateurs nés, eurent vent de l’affaire, et ne trouvèrent pas mieux que de l’offrir en
cadeau à leurs cousins de la kommandantur, oubliant au passage qu’ils condamnaient l’un de
leurs soldats. Envoyé en vacances en Pologne, dans un de ces lieux dont on ne revient pas, il y
rencontra une jeune femme venue des Flandres et dont la mère avait terminé, à peine arrivée,
en savonnette. Pour lui éviter de subir le même sort, il la fit passer pour sa femme.
De cette rencontre improbable d’une vestale de dix-huit ans et d’un homme de presque trois
fois son âge, naquit une entraide amoureuse pour échapper à cette folie orchestrée. Pour le
remercier, elle s’offrit à lui et lui donna deux filles avant de prendre le large avec un autre.
L’une d’elle était ma mère et, de cet abandon, elle porta toute sa vie les stigmates. Pas assez
juif pour les juifs, et trop juif pour le reste du monde, Scarabée était, comme ceux qu’il
condamnait, un « dégénéré». Dans sa propre hypocrisie, il regardait sa Louison comme une
pécheresse, et lui, comme un apôtre, devant reproduire le schéma de son grand-père, et se
devant de réussir à la sortir de son purgatoire.
Un soir, la belle ne pût s’empêcher d’assouvir une curiosité bien féminine :
- Je ne te vois jamais bourlinguer, tu vivaces de quoi mon chérubin?
Ne sachant quoi lui répondre, il la blottit dans ses bras. Dans sa tête, tout s’enchevêtrait :
devait-il lui dire la vérité, ou au contraire l’estomper? Il prôna la voix de la sincérité, et lui
raconta tout, de Dupa Grave à l’argent sale, gagné par ses arnaques, tout en lui précisant qu’il
avait envie de changer.
- Pourquoi un tel crime d’insociabilité ? Tu n’avais pas besoin de tout me raconter. Moi aussi,
auprès de toi, je suis une autre femme.
Rassuré par ces belles paroles, il se mit à croire qu’il pourrait l’aimer. Dans les jours qui
suivirent, ils croisèrent leurs idées sur des projets d’avenir, et ils choisirent l’Italie pour y élire
domicile. Leurs visas enfin prêts, la date du départ se concrétisa. Fatiguée et alitée, elle
demanda à Scarabée de partir à l’ambassade les chercher.
Sur le chemin du retour, il pleurait de joie, et s’attendait à beaucoup de choses, mais pas à ce
qui l’attendait. Dans leur chambre, assis sur une chaise, le «commandeur» Dupa Grave le
regardait :
-Surpris, mon biquet ? Je suis venu te rapatrier, ne la cherche pas, elle est partie avec ton
grisbi. Elle se faisait appeler « Louison Parmentier », mais je l’ai bien connue il y a quelques
années sous une autre appellation, celle de « Lili peau de chagrin ». Pas de larmes,
moussaillon, dans la profession, on vit toujours aux dépens de ceux qui nous écoutent. Hier, tu
fus le flatteur, et aujourd’hui le flatté ; de cette leçon, tu as perdu ton fromage… Qu’espéraistu,
d’une histoire aussi faiblarde ? La sexualité de la femme est toujours triomphante, elle
s’oppose aux discours galants ; et l’amoureux, en dernier ressort, est toujours perdant. Allons,
retiens ta hargne, je ne suis pas venu en ennemi, elle m’a prévenu, il y a quelques jours. Dans
le fond, elle t’aimait bien, mais pas au point de rester avec toi. Arrête tes jérémiades, tu
m’ennuies, c’est là toute la différence entre toi et moi. Là où je me contente de la putain, toi,
tu as ce besoin de rechercher la vierge. Personne ne doit jamais exister pour nous, ou
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seulement pour l’intérêt et le plaisir qu’il nous apporte, et apprends à ne ressentir aucun
devoir envers les autres. Et ne me dis pas que je me trompe, je te connais bien, trop bien
même, ne somme-nous pas le pendant du même cerveau ? Je suis la vitrine, tu es l’hypocrite ;
je suis l’escroc, tu es l’assassin. Et le drame, c’est que je ne peux exister que si tu existes.
Scarabée aurait aimé lui répondre, lui dire à quel point il se trompait.
Mais Dupa Grave ne l’entendait pas de cette oreille et continua sa tirade de plus belle :
- Quant à tes artistes, ce ne sont rien d’autre que des mouches à merde aux prétentions
disproportionnées, se prenant pour le nombril de Dieu. La preuve : tu secoues le bananier, des
tonnes en tombent dans les caniveaux ; et le pire, c’est que tu n’as même pas besoin de te
baisser pour les ramasser tellement ils te grimpent le long des jambes. Des petits mercenaires
qui se prostituent pour le moindre billet, et tu respectes ça ? Et je vais même te dire mieux, si
je trouve un jour chez un de ces canidés une once d’honnêteté, je te jure, que je l’épouse sur
le champ !
Dupa Grave avait raison. Le regard frôlant le sol, attristé, je n’arrivais pas à échapper à ma
destinée. Mon histoire parisienne se terminait par un gros chagrin. A la gare de Lyon, avant de
rentrer, le coeur pincé, je contemplai une dernière fois avant longtemps la beauté de cette ville
un peu folle.
Je l’avais aimée, elle m’avait fait rêver, et j’en avais payé le prix. (A la semaine prochaine)
Beaucoup de références, j'ai beaucoup ris de cet omniprésent humour noir auquel on peut ajouter la dernière tirade de Dupa Grave qui relate une vérité dont peu de monde connaît l'existence.
· Il y a plus de 14 ans ·Bravo
kira
ATTACHANT
· Il y a plus de 14 ans ·Marcel Alalof
la femme des uns sous le corps des autres a des soupirs de volupté, on s'en fout quand c'est pas la notre (gainsbourg)...pour moi en connaissance de cause !...
· Il y a plus de 14 ans ·gandalf989
Genial voila un texte vrai qui a des c.....es, rare a notre epoque
· Il y a plus de 14 ans ·lepoete-pouet-pouet
En core un manque page 9 Dupa Grave avait raison. Le regard frôlant le sol, attristé, je n’arrivais pas à échapper à ma
· Il y a plus de 14 ans ·destinée. Mon histoire parisienne se terminait par un gros chagrin. A la gare de Lyon, avant de
rentrer,
Remi Campana