Les mémoires plus ou moins vrai de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 9eme Partie

Remi Campana

10. LA PREMIERE ESCROQUERIEAh! Je l’avais bien payée, ma petite bouffonnerie ; mais je dois dire que j’aimais ca ! Biensûr, après l’histoire du prieuré, je fus interdit d’exposition dans tout le département ; et lesappuis politiques de quelques bigots allèrent dans ce sens. On ne me répondait plus autéléphone ; quant à mes courriers, ça devait leur faire mal aux poignets d’ouvrir l’enveloppe.Certes, il me restait encore quelques-unes de mes habitudes, et je continuais à aller boire monpetit arabica, ou flâner dans les rues, mais le coeur n’y était plus. Là où j’aurais dû avoir del’entrain, il ne me restait plus qu’un goût amer.Des journées entières, entre deux programmes télévisuels, je m’essayais encore à dessiner,mais l’inspiration me fuyait, ma curiosité s’était éteinte et plus rien ne m’intéressait. Jen’avais pourtant pas à me plaindre : durant des années, j’avais toujours fait ce que je désiraiset refusé de me plier aux règles de la société, mais une telle liberté a un prix. Lada étaittoujours là, elle n’était pas désagréable et me faisait du bien quand j’en avais besoin. J’avaistoujours rêvé de cette normalité ; maintenant qu’elle régentait ma vie, l’autre moitié de moncaractère me manquait. Je regrettais l’inadapté, et me percevoir dans la norme me donnait lanausée.Dupa-Grave m’avait bien proposé d’intégrer sa bande mais quelque chose, pour le moment,m’en empêchait. Bien sûr, suriner du bourgeois sur sa propre profession de foi m’amusait,mais peut-être me restait-il encore quelques principes… L’argent, je l’avais toujours méprisémais, malheureusement, je savais aussi trop bien ce qu’il pouvait apporter. Mes faméliqueséconomies étant au plus bas, résigné, je ne voulais plus m’en inquiéter. Me mentant à moimême,je passais mes journées assis dans un parc, ou le bon Scarabée préférait se délecterd’une mauvaise blague, que de se confronter à la dure réalité de la vie.Il avait pour cela créé les bonbons à la harissa – qu’il offrait à de sales gosses qui trainaientdans le jardin au lieu d’aller à l’école – ou, mieux encore, des miches de pain fourrées de poilà gratter, dont les oiseaux se régalaient avant de gesticuler dans tous les sens. Ces minusculeslubies l’amusaient : d’un caractère méchant, il jouissait d’un malin plaisir aux souffrancesd’autrui. Quand soudain au loin, il vit un visage qu’il aurait aimé oublier.Se faufilant entre les arbres, il le cherchait du regard pour mieux l’éviter. Malheureusement, ilsentit la main de la culpabilité se serrer sur son épaule. Se retournant, il en eut un haut-lecoeur: il était là, servile comme la première fois. La tête rentrée entre les épaules, ilressemblait toujours autant à ces caricatures antisémites du siècle dernier :- Bonjour, cher ami, vous me reconnaissez ? Cela fait longtemps que je vous cherchais, etaujourd’hui le hasard, qu’Allah soit béni, a fait que je vous retrouve ; et comment se portenotre chère amie? J’étais si affligé de vous avoir perdu, ce n’était pas mignon d’être parti envoleur, sans même un petit mot d’adieu – cette facétie n’est pas à votre avantage – et en plus,

9. LA PREMIERE ESCROQUERIE

Ah! Je l’avais bien payée, ma petite bouffonnerie ; mais je dois dire que j’aimais ca ! Bien sûr, après l’histoire du prieuré, je fus interdit d’exposition dans tout le département ; et les appuis politiques de quelques bigots allèrent dans ce sens. On ne me répondait plus au téléphone ; quant à mes courriers, ça devait leur faire mal aux poignets d’ouvrir l’enveloppe.

Certes, il me restait encore quelques-unes de mes habitudes, et je continuais à aller boire mon petit arabica, ou flâner dans les rues, mais le coeur n’y était plus. Là où j’aurais dû avoir del’entrain, il ne me restait plus qu’un goût amer.

Des journées entières, entre deux programmes télévisuels, je m’essayais encore à dessiner,mais l’inspiration me fuyait, ma curiosité s’était éteinte et plus rien ne m’intéressait. Je n’avais pourtant pas à me plaindre : durant des années, j’avais toujours fait ce que je désirais et refusé de me plier aux règles de la société, mais une telle liberté a un prix. Lada était toujours là, elle n’était pas désagréable et me faisait du bien quand j’en avais besoin. J’avais toujours rêvé de cette normalité ; maintenant qu’elle régentait ma vie, l’autre moitié de moncaractère me manquait. Je regrettais l’inadapté, et me percevoir dans la norme me donnait lanausée.

Dupa-Grave m’avait bien proposé d’intégrer sa bande mais quelque chose, pour le moment,m’en empêchait. Bien sûr, suriner du bourgeois sur sa propre profession de foi m’amusait,mais peut-être me restait-il encore quelques principes… L’argent, je l’avais toujours méprisémais, malheureusement, je savais aussi trop bien ce qu’il pouvait apporter. Mes faméliques économies étant au plus bas, résigné, je ne voulais plus m’en inquiéter. Me mentant à moimême,je passais mes journées assis dans un parc, ou le bon Scarabée préférait se délecterd’une mauvaise blague, que de se confronter à la dure réalité de la vie.

Il avait pour cela créé les bonbons à la harissa – qu’il offrait à de sales gosses qui trainaient dans le jardin au lieu d’aller à l’école – ou, mieux encore, des miches de pain fourrées de poil à gratter, dont les oiseaux se régalaient avant de gesticuler dans tous les sens. Ces minuscules lubies l’amusaient : d’un caractère méchant, il jouissait d’un malin plaisir aux souffrances d’autrui. Quand soudain au loin, il vit un visage qu’il aurait aimé oublier.

Se faufilant entre les arbres, il le cherchait du regard pour mieux l’éviter. Malheureusement, ilsentit la main de la culpabilité se serrer sur son épaule. Se retournant, il en eut un haut-lecoeur: il était là, servile comme la première fois. La tête rentrée entre les épaules, ilressemblait toujours autant à ces caricatures antisémites du siècle dernier :- Bonjour, cher ami, vous me reconnaissez ? Cela fait longtemps que je vous cherchais, etaujourd’hui le hasard, qu’Allah soit béni, a fait que je vous retrouve ; et comment se portenotre chère amie? J’étais si affligé de vous avoir perdu, ce n’était pas mignon d’être parti envoleur, sans même un petit mot d’adieu – cette facétie n’est pas à votre avantage – et en plus,en omettant de payer sa petite ardoise. C’est que vous m’avez fait de grosses frayeurs, vous discernez ce que je veux vous dire ?

Bien sûr que Scarabée comprenait très bien, après la nuit sombre de leurs premiers ébats, il avait enlevée Lada à ce bourbier qu’on appelle avec élégance une « maison close ».

Aujourd’hui, leur péché les rattrapait, et bien plus vite qu’il ne le craignait. Tout en diplomatie et avec une politesse de circonstance, il lui proposa d’en parler. Le fourbe avec son sourire aux dents gâtées, sans perdre de temps, creva l’abcès :

- Combien ?

- …

- C’est-à-dire que je suis un peu gêné de vous demander ça, mais notre complice se trouvait être une bonne gagneuse et, pour moi, le préjudice est dramatique. Dans ma grande bonté, elle m’a occasionné beaucoup de frais, le passeur que j’ai dû payer, les spectacles annulés et je ne parle pas de tous les à-côtés. Scarabée se doutait bien des « à-côtés » :

- Je pense qu’on peut s’entendre, dite moi votre prix ?

Il s’interdisait d’en rajouter, de la marchander comme du bétail, de l’humilier. Sans même attendre la fin de sa question, l’ignoble petit gnome lui répondit :

- Quarante Mille francs!

- Vous les aurez, je vous en donne ma parole.

- Quand, dites-moi quand ?

- Donnez-moi quelques mois de délai.

- Quelle exigence, vous comprendrez très bien que je ne peux accepter. Les affaires sont délicates, et je suis un homme de bonne moralité, la générosité est un mal que je ne puis outrepasser. Je vous offre un mois, mais attention de ne pas me décevoir, et surtout de ne pas trahir ma confiance, ou je devrai faire appel à quelques amis pour reprendre mon bien. Voici ma carte, téléphonez-moi dès que vous aurez l’argent.

L’affaire se trouvait ainsi conclue. Torturé et acculé, Scarabée pensa un moment faire appel à Dupa-Grave pour se sortir de ce mauvais pas. Le temps jouait en sa défaveur, plus fauché qu’un aristocrate, il ne concevait pas comment rassembler une telle somme en si peu de temps. Les jours passaient, le malaise s’accentuait, que pouvait il faire ? Prendre la fuite ou devenir le vassal de son ami, tout était troublé… quand germa dans son esprit une idée sordide : sa connaissance du dessin classique était un atout pour prétendre à les contrefaire… Bien malgré lui, cela avait marché une fois, pourquoi pas une seconde ?

Pour l’encre, il réalisa divers essais, mélangeant à la matière première du thé ou un jus dilué d’ocre jaune, voire de citron ; avec toutes ces tambouilles, il réussit à recréer une patine d’ancienneté dont le résultat paraissait des plus convenables. Maniaque du détail, il peaufina par un dernier coup de gomme afin de retirer les ultimes brillances. Pour le vieux papier, il détenait la parade, et partit aussi sec à la bibliothèque municipale. Sur place, il demanda à consulter quelques manuscrits anciens. La bibliothécaire, une vielle fille aigrie, surprise qu’on s’intéresse encore à ces vieilleries, alla les chercher de bien mauvaise humeur. Recouvertes de poussière, elle les posa avec un dédain évident et en râlant dans un coin. Scarabée, tout tremblant, fit semblant de les lire et, discrètement, arracha quelques pages blanches. Arrivé en vainqueur il repartait en voleur.

À son domicile, il plancha à l’exécution de ses « oeuvres d’art », et plus d’une grande signature ressuscitèrent sous sa plume. Avec les heures passées, il devenait un vrai petit musée à lui tout seul. Modestement, il s’attaqua à la thématique des peintres de son pays, de Puget à Lesueur en passant par des noms bien plus obscurs. Quelques jours plus tard, parvenu dans cette lugubre cité Phocéenne qu’on nomme Marseille, il prit la direction du cours Julien, un quartier chic de la grande ville. Sur place, il hésita entre deux victimes, tira à pile ou face, le sort joua en défaveur de la brocante « Au bon Ysengrin ».

Le marchand, un peu rougeaud (je vous le concède, ami lecteur, il n’avait pas bu que de l’eau), croyant avoir à faire à un bleu de misère et flairant la bonne aubaine, s’approcha de lui et requit de notre compère la raison de sa visite. Scarabée, avec condescendance, répondit prestement:

- Oh ! Rien de précis, j’ai juste quelques dessins pas très beaux à vendre, retrouvés au grenier de mon papé, peut-être désirez-vous les voir ?

Celui-ci accepta, en précisant qu’il n’était pas intéressé par grand-chose. Quand, surprise, merveille des merveilles, il entrevit des pièces rares, n’en laissant rien paraître, il en salivait déjà :

- Oui, tout cela est bien sympathique, vous en désirez combien ?

Rajustant ses culs de bouteilles au-dessus de son nez, Scarabée, avec un sourire, lui répondit :

- Oh ! Rien pour le moment, Monsieur, je me renseigne.

Le marchand grinça des dents, inquiet, comprenant que l’affaire lui échappait

- Ecoutez, cher ami, je vais être très honnête avec vous, votre lot m’intéresse, non pour sa valeur marchande, ce qui a peu d’importance, mais seulement pour une question de sentiment. Certains paysages que vous possédez ont été réalisés par un proche de la famille décédé, et à les voir cela me touche fortement. Allez, n’en parlons plus, je vous propose pour l’ensemble cinq cents francs.

Allez savoir pourquoi, Scarabée ne s’arrêta pas là, et en demanda sept mille.

L’autre tituba :

- Vous profitez de la situation et de mes bons sentiments, un peu d’entendement que Diable!

- Non, je suis chagriné par la vente de ces précieux documents, et donc je ne peux me permettre d’avoir le vice de la bonté, ça sera sept mille francs et pas un sou de moins.

Finalement, au bout de vingt minutes, nos deux margoulins se mirent d’accord sur une somme rondelette de six mille cinq cents francs. Soulagés, ils burent le petit verre de l’amitié, en songeant à la bonne affaire qu’ils avaient réalisé chacun au détriment de l’autre.

Heureux de cette forfaiture qui lui avait coûté moins de cinq francs et rapporté un joli pactole, il renouvela l’expérience, aux quatre coins de la ville. A chaque fois, les transactions se terminaient de la même manière par un juteux bénéfice. Enfin, la journée finissante, épuisé et grisé, il s’affala sur un banc, face au vieux port. Dégoulinant de sueur, il regarda le soleil couchant ; jamais il n’aurait cru aussi facile de duper des spécialistes de la supercherie ! Au total, sa petite arnaque lui avait rapporté la coquette somme de quarante mille huit cents cinq francs et une petite statuette africaine sans grande valeur. Enhardi par cette aventure, il désira la renouveler, mais se raisonnant, il décida d’en rester là. Rentrant chez lui, un léger remords l’envahit mais, de toute manière, que pouvait-il faire puisqu’il devait payer ?

A l’arrivée, il s’empressa de téléphoner à son usurier. Se fixant rendez-vous à l’ endroit de leur rencontre, l’attente fut longue. Au loin, le métèque apparut, méfiant, jetant des coups d’oeil un peu partout de peur de tomber dans un vilain traquenard. Quand tout risque lui sembla écarté, il rejoignit le pauvre Scarabée :

- Vous avez donc réussi, bravo !

L’homme semblait de bien mauvaise humeur, certainement surpris de voir qu’il avait pu rassembler une telle somme. La chose semblait tellement improbable que, s’il l’avait su possible, il aurait certainement demandé davantage. Scarabée lui tendit la sacoche. L’autre, empressé, la lui arrachant des mains, la bave aux lèvres, compta et recompta. La somme était exacte.

- Vous m’avez dupé avec beauté, je tiendrai ma parole : elle est libre mais, un jour ou l’autre, nous nous retrouverons ! Adieu, Monsieur. Scarabée savait que leur route se croiserait de nouveau, et que l’issue n’en serait que bien plus dramatique. Mais pour le moment, il avait mieux à faire que de penser au méprisable Mourad Ben-sala. Il prit un taxi pour rentrer dans son cocon familial, il était apaisé et avait payé sa dette vis-à-vis d’elle.

Dans l’appartement, Lada était là dans ses abusifs excès, s’attaquant lourdement à une seconde bouteille d’un rosé frelaté. Scarabée, usé par cette vie, se détesta en silence, comment avait-il pu sombrer dans une aussi sordide décadence ? Les douces vapeurs de l’alcool retombant, sa jolie russe demandait bien plus que ces simples gourmandises. Il ne pouvait les lui accorder, castré par sa vérité, et choisit la voix de la sincérité pour lui expliquer ce qu’il ressentait. De la voir là, si douce, si frêle, il lui arrivait d’en avoir peur, il entrevoyait en cette femme la foi du coeur. Quant à lui, se glorifiant dans sa quête purificatrice, il ne pouvait plus se fourvoyer à confondre ses souffrances, car l’imprimatur de sa propre folie, il en faisait une vertu. Mortifié dans cet enfer, il ne désirait pas en trouver la sortie car, son purgatoire, il finissait par l’aimer, et en avait trop besoin pour construire l’oeuvre de sa vie.

Sans rien exprimer, elle l’avait désavoué, et son regard en disait plus long que bien des mots. Prenant son mouchoir, elle en fit un petit cône sur lequel elle déposa un peu de salive, et lui essuya la commissure des lèvres. Par ce geste, elle lui offrit leur dernier baiser. Se levant et titubant, elle lui dit juste :

- Merci et adieu, pauvre Scarabée au coeur bien laid.

Il la regarda s’éloigner, il aurait pu la rejoindre et lui dire « je t’aime ». Il se contenta de penser à ce qu’il venait de perdre, mais surtout de gagner. Son masque retomba, cynique et froid, il s’affala dans son canapé et se mit à rire en poussant un soupir de victoire, il l’avait échappée belle !

Cette petite comédie m’avait bien réussi et, à peu de frais, je m’en étais débarrassé. Le pouvoir des mots est une arme redoutable pour faire illusion, et heureux celui qui en possède un chouia. Je fus enchanté par la griserie de cette aventure qui me fit comprendre beaucoup de choses. L’honnêteté est un crime dans une société qui prône la morale sans savoir l’appliquer. Avec les huit cents cinquante francs qui me restaient, par un dernier outrage, je descendis au drugstore m’acheter une bouteille de leur meilleur Champagne. J’avais envie de fêter ma liberté nouvellement retrouvée, car je venais de découvrir ma voie.

Je partis retrouver mon compagnon de galère en la personne de Dupa-Grave.(A suivre) 

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