Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 14eme Partie

Remi Campana

14. LA VIELLE FOLLE-

Après l’histoire rigolote des deux curés, voici l'une des duperies les plus incroyables qu’il me fut possible de réaliser. Moi qui adore leurrer les amateurs des marchés de l’art, en leur cédant toutes sortes de reliques factices pour des sommes pyramidales, je dois dire que je fus servi. Encore aujourd’hui, je me demande comment ce brave Scarabée a réussi un tel exploit…

Depuis quelque temps, on m’avait parlé d’une librairie ésotérique « Le Conan Doyle », fréquentée par toute une faune d’allumés aux poches bien remplies. Je me fis donc un devoir d’aller visiter ce lieu fort agréable, dans un beau costume à rayures, sous l’apparence bien respectable d’un métèque de bonne famille, aux cheveux et la barbe teint en roux. Je me baladai dans les rayons, achetant bien moins que je n’observais. La petite vendeuse, une post-hippie aux cheveux gras et à l’haleine fétide, m’avais pris en estime ; et me racontait tous les secrets de sa ménagerie de farfelus.

Après quelques jours de cet effroyable régime, mon dévolu se porta sur une jeune veuve du nom d’Elsie Cottingley, elle semblait encore bien conservée pour une femme qui avait dépassé la cinquantaine et restait une jolie laide. Grande, aux cheveux blonds, sa peau était couverte de « cacas de pigeon » comme il se dit dans la région, ou si vous préférez de taches de rousseurs ; elle aurait pu être parfaite si sa dentition n’avait pas été aussi vulgaire.

Après quelques politesses d’usage, je l’invitai à prendre une collation tout en plaisantant. Mais dès le début, sans le savoir, cette barbare me déclara la guerre par une insulte suprême. Elle baptisa ma noble « côte varoise » du nom infâmant « d’azur ». Moi, un provençal, me comparer à ces voleurs d’enjoliveurs que sont ces primates d’italiens, surtout que je n’ai jamais oublié le traumatisme vécu quand Napoléon le petit amputa mon beau département au profit de ces « Nissartes » tout fraîchement français. Résultat, nous fûmes les cocufiés de l’empire en portant le nom d’un fleuve qui ne passait même plus chez nous… Je me devais donc de laver l’honneur, en la délestant sans remords de ses deniers.

Elle adorait les druides et autres formes chamaniques, et me raconta une drôle d’histoire. Dans les bois de Brocéliande, quand elle n’était encore qu’une jouvencelle, elle aurait rencontré des fées, farfadets et autres monstres de légende. Par Saint Patrick ! Restant  fidèle à ma pensée et malgré l’enthousiasme qu’elle avait à déclamer toutes ses folies, je restai sceptique et rationnel, et m’empêchai de rigoler. A mon avis, elle avait surtout mangé trop de champignons hallucinogènes. Je commençai même à voir les mauvais tours que je pourrais tirer de sa prose. Sous l’apparence de l’ignoble Scarabée, je lui fis part du fait que je communiquais par télépathie avec le plus grand des ermites aux pouvoirs surnaturels : « le grand Momo ». Il vivait dans les grottes du massif des Maures, et entrait en communication avec les esprits en dansant le corps couvert de miel, avec des abeilles, dans les parcs publics. Ce marabout moderne était en plus un descendant direct du grand Nostradamus.

La godiche mit les deux pieds dedans. C’était pourtant tellement «bête» comme propos ! Comment pouvait-on s’imaginer un crétin nu, la zigounette protégée de douceur, forniqué avec de belles apis ? Il ne ferait pas deux pas sans qu’on lui passe une camisole de force et direction l’asile ! Dieu est grand et merveilleux et nous a créé de belles surprises. Conquise par ma disproportion, elle proposa à Scarabée de l’aider à rentrer en relation avec le Saint homme. Bien sûr, votre bon ami hésitait : on ne dérange pas un bienheureux comme cela. Mais peut-être pouvait-on l’amadouer avec une aide matérielle ; et ça tombait bien, le grand Momo désirait partir chez les touaregs leur apprendre les valeurs chrétiennes. Aider les petits sauvages à s’éduquer termina de la convaincre. Elle adora, et versa même une larme à la réussite du projet.

Scarabée fut donc convié dans son adorable foyer pour le début de la soirée. Elle-même l’avait supplié de la laisser devenir une bienfaitrice de l’humanité, en donnant pour le dessein de Momo (entre nous, la grande girafe n’était rien d’autre qu’une post-coloniale qui s’ignorait). La miss habitait dans un quartier très chic de la ville ; en sonnant à sa porte, il avait vite compris qu’il avait tiré le bon numéro.

Le maître d’hôtel qui lui ouvrit le conduisit directement dans le petit fumoir. Quelle ne fut pas sa surprise, toute une bande de disjonctés étaient présents  pour l’entendre narrer les exploits du vénérable anachorète. Vous ne pouvez pas vous douter comme on peut se sentir seul dans des moments pareils et, ce jour-là,  il en fit l’amère expérience.

La chaise du condamné posée en plein milieu de la pièce l’attendait, pendant que ses bourreaux assis autour de lui l’applaudissaient. Il sentit son pas repartir en arrière, mais se ressaisissant à temps, il ne se laissa pas démonter, et se tint sur son séant. Il extrapola et inventa des histoires plus folles et plus mirobolantes les unes que les autres : son héros tantôt devenait le messie ressuscité ou pratiquait des messes sataniques, ou bien lisait dans les runes, les tarots ou le courant de l’eau, l’avenir de tout un chacun. Et chaque minute qui passait devenait plus incroyable que la précédente, et le plus prodigieux, c’est que ça marchait. La soirée, riche en émotions et en rebondissements de toutes sortes, fut bien récompensée. Tout ces « Angliches » eurent la paluche large ; et pour quelques élucubrations et non-sens, Scarabée repartit avec des sacoches bien remplies.

Ce régime se poursuivit presque chaque soir pendant plusieurs mois. Et vous ne pouvez pas imaginer le nombre de cinglés qui sont prêts à payer pour qu’on les fasse rêver et voyager. Malencontreusement, mal lui en prit, car un soir, dans son élan lyrique, il prêta à son héros de cocagne le pouvoir de communiquer avec des êtres fantastiques aux pouvoirs surnaturels. La demi-folle voulut voir de suite cela. Il eut beau protester et lui expliquer que c’était impossible, qu’on  ne dérangeait pas le sage, le mal était fait. S’il ne lui amenait pas de suite une preuve de ses dires, la demoiselle lui coupait les crédits. Cependant, Scarabée avait bien l'intention de profiter encore un peu de l’aubaine, il décida de prouver à cette dernière que son récit était vrai. Lui empruntant son appareil photo, il lui promit d’aller prendre quelques clichés du grand Momo et de ses fées. Ce qui l’embêtait, c’était  qu’il allait devoir faire appel à un complice. Dupa Grave ferait un magnifique maestro, mais ce qui l’agaçait amèrement était de devoir partager dorénavant une partie de sa cagnotte avec son ami. Pour l’image des fées, la chose fut des plus simples, il découpa des représentations de quelques lolitas auxquelles il rajouta des ailes et les colla sur des épingles.

Et voilà nos deux compagnons dans les forêts du coin, l’un s’improvisant photographe pendant que l’autre, en tenu d’Adam,  une perruque de grand fauve sur la tête et de faux ongles aux mains, devenait un respectable homme des bois. Il ne restait plus ensuite que d’enfoncer dans le sol nos petits trucages. Quand nous développâmes les photos, à notre grande surprise, elles paraissaient bien plus véridiques que nous ne l’aurions pensé, l’affaire se trouva alors être dans la poche. Avec un certain mépris, je lui offris les preuves irréfutables de mon intégrité, et évidemment, elles firent sensation.

Ce à quoi je n’avais pas pensé, c’est que la miss montrerait mes clichés à un groupe théosophique. Et de ce fait, ils décidèrent de faire une enquête impartiale sur le sujet. Les spéculations les plus folles de certains de ces illuminés étaient des plus cocasses. Ils voyaient en elles une prétendue communication avec les divinités païennes. Selon leur expertise, les photos ne pouvaient en aucun cas avoir été truquées, et ces fous me payèrent une fortune pour en avoir de nouvelles. Évidemment, les fées refusaient d'apparaître si le grand Momo et moi-même n’étions pas seuls. J’avais peur que la plupart d’entre eux ne soupçonnent un montage ou un trucage ; mais, allez savoir pourquoi, les nouvelles photographies leur semblèrent encore plus crédibles que la première fois. Moi, je ne voyais pas la différence, vu qu’il s agissait des reliquats du premier lot que je leur avais revendu, comme quoi…

Ils firent même appel aux plus grands médiums, pour confirmer avec leurs pendules que la forêt se trouvait remplie de fées, de gnomes et autres farfadets, ne manquant plus à l’image qu’une « licorne » pour que tout soit parfait… Mais très vite, je sentis l’affaire m’échapper, ces imbéciles n’ayant pas trouvé mieux que de révéler dans la presse tous les détails de leur enquête. Et le monde entier s’excita : «  Un univers parallèle existe ! ». Par leur faute, en publiant les fameux clichés, je me retrouvai en danger, et mes faux papiers d’identité ne me sauveraient pas encore bien longtemps.

Je désirai donc terminer au plus vite par un coup d’éclat.

Il était temps au grand Momo d’aller évangéliser les terres d’Afrique. Je remis à la démente la dernière lettre d’adieu de son protégé, et lui montrai le billet d’avion (que je me fis rembourser juste après) qui l’emportait à Bâb-El-Oued. Mais très vite, il termina sa triste carrière, mangé à la broche par quelques sauvages du sahel; et dans ma grande générosité, je créai une association afin de récolter une grosse somme pour rapatrier ses cendres. Une messe solennelle et discrète fût même faite en son honneur. Sa veuve platonique, en la personne de la vieille Anglaise, était là pour le pleurer.

Tendrement, je lui offris la boîte en carton où il reposait, et à l’oreille, je lui glissai mes sincères condoléances, tout en lui conseillant de faire une demande de canonisation auprès du Saint-Père. Elle me remercia encore et encore de toute l’amitié que je lui avais toujours témoignée, à elle-même et à cet homme si parfait, et avant de partir, elle m’offrit une dernière enveloppe pour l’inaltérable dévotion à leur égard ; m’offusquant, je la refusai, mais je n’oubliai pas de la glisser aussi vite que possible dans ma poche. Je lui aurais bien dit que les cendres récupérées venaient tout droit de sa cheminée, mais que voulez-vous, je n’aime pas faire de mal, elle était tellement heureuse avec cela.

Ainsi, le grand Momo termina glorieusement entre deux candélabres sur la cheminée juste au-dessus de là où il était sorti, ne pouvait-on rêver fin plus glorieuse ? Quant à moi, j’avais enfin de quoi me faire oublier et me retirer du métier. Je lui dis donc adieu, car je partais à tout jamais dans un monastère de Poméranie, et n’attendant pas mon reste, je déguerpis aussi vite. Malheureusement, le gagne-pain ne l’entendait pas de cette manière, et sortir de la truanderie n’est pas chose aussi facile. Quand Dupa Grave survint pour chercher sa part, il m’apprit une bien triste nouvelle.  Encore une fois mon passé me rattrapait, et j’allai devoir prendre une décision des plus importantes.

Mais cela reste encore une autre éphéméride.

 (A suivre)


 

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